La Cour supérieure réaffirme les critères applicables à l’homologation des transactions et la théorie du mandat apparent à l’égard des administrateurs et dirigeants
Par Arad Mojtahedi, Avocat et Vera Katkova, Avocate
Dans une décision récente[1] de la Cour supérieure du Québec, le juge Ouellet rappelle les principes applicables à l’homologation des transactions et souligne le rôle limité que jouent les tribunaux lorsqu’ils sont amenés à se prononcer sur de telles demandes.
Dans le cadre de la détermination de la validité du consentement donné par l’une des compagnies défenderesses ayant exécuté une transaction, le tribunal applique le test en quatre étapes établi par l’arrêt London Life Insurance Company c. Long[2] pour la vérification de l’application du mandat apparent. La Cour conclut qu’en raison des actions d’un administrateur, il était légitime pour un actionnaire passif de la société défenderesse de croire que cet administrateur agissait dans les limites d’un mandat valide.
Les faits
Les représentants des parties étaient des pilotes d’avion qui ont décidé d’entreprendre un projet commun de construction de hangars pour avions privés à l’aéroport international de Montréal-Mirabel. Le projet était structuré de telle sorte que la demanderesse était l’une des actionnaires principales de la défenderesse principale (ci-après la défenderesse), et que la défenderesse détenait l’unique bail avec Aéroports de Montréal (ADM) pour les terrains sur lesquels les hangars étaient construits. Plusieurs différends ont surgi dans le cadre de cette relation d’affaires, menant à un litige entre les parties.
Après plusieurs négociations, un document manuscrit de règlement a été rédigé et signé par le président du conseil d’administration de la défenderesse. L’administrateur unique de la demanderesse a également signé le document au nom de la demanderesse. Essentiellement, l’accord visait à modifier le bail entre la défenderesse et ADM afin que chaque partie puisse ensuite obtenir son propre bail avec ADM. L’accord prévoyait également que la demanderesse verse certaines sommes à la défenderesse afin de régler le litige en cours. Suite au refus de la défenderesse de collaborer, la demanderesse a finalement demandé l’homologation du règlement.
Les questions en litige
Les questions soumises au tribunal étaient les suivantes :
- Le document manuscrit P-2 est-il une transaction au sens des articles 2631 et suivants du Code civil du Québec[3](CCQ)?
- Est-il possible d’homologuer le document P-2 malgré le fait qu’il ne soit pas possible de donner suite à chacune de ses conditions?
- Le consentement de la défenderesse à la signature du document manuscrit P-2 a-t-il été valablement donné?
- Dans l’éventualité d’une réponse négative à cette dernière question, la théorie du mandat apparent trouve-t-elle application enl’espèce?
La décision
Conditions d’homologation
La Cour rappelle les trois éléments nécessaires afin de conclure à l’existence d’une transaction :
- L’objectif de l’entente doit être de prévenir un litige anticipé entre les parties ou de mettre fin à un litige existant;
- Les parties doivent avoir convenu de concessions ou de réserves réciproques; et
- Les parties doivent avoir trouvé un accord de volonté sur tous les aspects essentiels de la transaction.
La Cour dresse également une liste exhaustive des principes applicables à l’homologation d’une transaction :
- La transaction est, par nature, un contrat déclaratif et non synallagmatique qui n’exige généralement pas de forme particulière, ce qui implique qu’elle ne peut être annulée pour inexécution des obligations qui y sont stipulées ;
- La transaction doit satisfaire aux règles générales applicables à tous les contrats : elle doit émaner de parties ayant la capacité de contracter, elle doit résulter d’un échange de consentements et elle doit avoir une cause et un objet valides ;
- Il ne faut pas confondre l’existence d’une transaction et sa mise en œuvre. Par exemple, la présence d’éléments non essentiels et non résolus ou la nécessité de signer d’autres documents pour donner effet à la transaction ne constituent pas des obstacles à la conclusion qu’une transaction existe ;
- La portée d’une transaction peut être déterminée en examinant les circonstances contextuelles qui révèlent les intentions des parties ;
- Il incombe à la partie alléguant une transaction d’en prouver l’existence selon la prépondérance des probabilités ;
- Les présomptions basées sur des faits graves, précises et concordantes peuvent être utilisées pour prouver une transaction ;
- L’erreur de droit n’est pas un motif valable pour annuler une transaction ; et
- Une transaction a l’autorité de la chose jugée entre les parties en ce qui concerne les éléments qui y sont stipulés.
La Cour note également que, conformément à l’article 528 alinéa 2 du Code de procédure civile[4] (CPC), le rôle du tribunal saisi d’une demande d’homologation d’une transaction consiste uniquement à vérifier si cette transaction existe, si elle n’est pas nulle et si elle ne contrevient pas à l’ordre public. Il ne peut pas se prononcer sur l’opportunité ou sur le bien-fondé de la transaction, à moins qu’une disposition spécifique ne lui accorde une telle compétence. En effet, le rôle du juge à qui l’on demande d’approuver une transaction est limité. Ainsi, toute partie à une transaction a le droit d’en demander l’homologation et le tribunal ne peut la refuser que si la nullité est soulevée pour l’une des causes prévues aux articles 2634 à 2637 du CCQ.
Éléments essentiels
Appliquant ce cadre juridique, la Cour détermine ensuite si elle peut homologuer la transaction signée par les parties malgré l’impossibilité de respecter l’une de ses conditions et l’absence de consentement formel à sa conclusion de la défenderesse.
En ce qui concerne le respect de la condition, la deuxième clause de la transaction stipulait que l’avocat de la demanderesse rédigerait une convention de cession de bail reflétant l’intention des parties. En fin de compte, la convention de cession de bail a été préparée par un autre avocat. La Cour a estimé que l’identité du rédacteur n’était pas une condition essentielle de la transaction. Selon elle, puisque les circonstances ne crédibilisent pas l’argument selon lequel l’intention des parties commandaient la rédaction de la convention par un avocat spécifique, il ne s’agit pas d’une condition sine qua non à la conclusion de la transaction.
En ce qui concerne l’absence de consentement formel à la conclusion de la transaction de la défenderesse, la Cour note que son représentant (qui était aussi le président de son conseil d’administration) a signé l’acte de transaction en tant que seul signataire de la défenderesse. Pour sa part, la défenderesse soutient qu’au moment de la signature, ce représentant n’avait pas l’autorité nécessaire pour signer l’acte en son nom. La Cour rappelle qu’afin d’engager la société, les mandataires et dirigeants doivent avoir un mandat valide de la société et doivent exécuter leurs actes dans les limites de ce mandat. Après avoir examiné le libellé des résolutions du conseil d’administration, qui accordaient au représentant le pouvoir d’accepter certaines propositions faites dans le cadre des négociations menant à la conclusion de la transaction, la Cour statue qu’il n’y a aucune preuve d’un mandat valide donné au représentant pour l’exécution de la transaction elle-même.
Mandat apparent
Le Tribunal a ensuite examiné le concept de mandat apparent afin de déterminer s’il pouvait être invoqué afin que la défenderesse soit tout de même liée par l’accord de transaction cherchant à être homologué par la demanderesse. Le Tribunal rappelle que, dans la mesure où un administrateur ou un dirigeant d’une société outrepasse son mandat ou agit sans mandat valable, la société peut quand même être liée par l’acte si (i) elle a expressément ou tacitement ratifié l’acte qui a dépassé les limites du mandat; si (ii) elle a donné à un tiers de bonne foi des motifs raisonnables de croire qu’une personne était son mandataire alors que ce n’était pas le cas; ou si (iii) un mandat existait et a ensuite été résilié, le tiers n’étant pas au courant de la résiliation.
Afin de déterminer s’il existait un mandat apparent dans les circonstances, la Cour applique le test en quatre étapes suivant, défini par la Cour d’appel dans l’arrêt London Life :
- L’absence de mandat ou de pouvoir de représentation du mandataire apparent;
- La bonne foi du réclamant (le volet subjectif de la bonne foi);
- La croyance légitime du réclamant voulant que le mandataire apparent ait été mandataire ou qu’il ait réellement détenu le pouvoir de représentation; et
- Une croyance légitime qui découle d’action ou d’omissions du mandant apparent.
Comme mentionné précédemment, la Cour a déterminé qu’il n’y avait pas de mandat accordant au représentant de la défenderesse le pouvoir de lier la défenderesse dans la transaction.
La Cour a également conclu que la demanderesse était de bonne foi, tant objectivement que subjectivement, étant donné que la défenderesse n’a pas réussi à renverser la présomption de bonne foi accordée par l’article 2805 CCQ. Il est intéressant de noter que le statut d’actionnaire passif, ne se faisant plus inviter aux assemblées des actionnaires de la compagnie, a été retenu par la Cour comme appuyant la présomption de bonne foi. En effet, un tel actionnaire passif n’était pas, ne pouvait pas et ne devait pas être au courant des activités de la compagnie ou de l’absence de pouvoir d’un représentant pour exécuter une transaction au nom de la compagnie.
Enfin, la Cour détermine que la défenderesse a donné à la demanderesse des motifs raisonnables de croire que le représentant en question avait l’autorité de la représenter dans la transaction. Pour ce faire, la Cour s’appuie sur les fonctions de ce représentant en tant que fondateur et président de la compagnie, ainsi que sur le fait que les avocats de la défenderesse ont suivi les instructions de ce représentant relativement à la transaction et à l’exécution des obligations qui y étaient stipulées. En effet, la Cour conclu que si les avocats de la compagnie avaient eux-mêmes l’impression que le représentant avait un mandat valide pour lier la compagnie et donner des instructions en son nom, « la proposition voulant que [la demanderesse] auraient dû se douter que [le représentant] agissait sans mandat est donc tout simplement intenable. »[5]
Le tribunal a donc accueilli la demande d’homologation de la transaction présentée par le demandeur, avec dépens.
À retenir
- Pour déterminer l’application du mandat apparent, la bonne foi du tiers demandeur est présumée. Le statut d’actionnaire passif d’un tiers renforce sa présomption de bonne foi, car il n’était pas, ne pouvait pas et ne devait pas être au courant des activités de la société ou de l’absence de pouvoir de l’agent de lier la société.
- Un tribunal peut conclure qu’un tiers croyait légitimement qu’une personne agissait dans le cadre d’un mandat pour le compte d’une société, même si cette personne prétend avoir révélé le fait qu’elle n’avait pas un tel mandat, si les circonstances environnantes créent un doute quant à la véracité et à la crédibilité d’une telle affirmation.
- Si les avocats d’une société semblent croire qu’un administrateur agit dans le cadre d’un mandat et suit ses instructions, il n’est pas déraisonnable pour un tiers de croire légitimement qu’il existe un mandat valide.
- En règle générale, l’identité du rédacteur d’un contrat connexe n’est pas une condition essentielle d’une transaction.
En savoir plus :
[1] Jet Version c. Mirajet, 2024 QCCS 1045 (Mirajet).
[2] London Life Insurance Company c. Long, 2016 QCCA 1434 (London Life).
[3] RLRQ c CCQ-1991 (CCQ).
[4] RLRQ c C-25.01 (CCP).
[5] Mirajet, supra note 1 au para 97.
Commentaires (0)
L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.