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Nadim Paul Fares
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28 Jan 2025

Abus de procédure en litige commercial : analyse de l’affaire Gestion Marigec inc. c. Immeubles Rimanesa inc.

Par Nadim Paul Fares, Avocat et Inès Ledru, Étudiante

Le législateur a codifié, dans le nouvel article 51 du Code de procédure civile (C.p.c.), la notion d’abus du droit d’ester en justice, en écartant l’intention de nuire comme critère de l’abus de droit pour s’en tenir aux résultats d’un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou téméraire. Néanmoins, la barre de l’abus de procédure reste très élevée, afin de ne pas banaliser la notion et d’éviter que cela constitue un frein à l’accès à la justice[1]. L’exigence d’un critère strict en matière d’abus de procédure est nécessaire pour offrir une chance équitable à la partie de s’expliquer. Aussi, il est important de garder en tête que l’abus de procédure ne doit pas être directement relié au fait d’avoir perdu une cause[2].

D’abord, l’évaluation de l’abus de droit doit être menée de manière méthodique et précise. L’affaire Gestion Marigec inc. c. Immeubles Rimanesa inc. illustre bien les difficultés pratiques de cette évaluation. En effet, en première instance, le juge avait conclu à un abus de procédure de la part de la partie défenderesse. Il leur été reproché d’avoir poursuivi une instance de cinq jours alors que leur position était manifestement incompatible avec les faits et les dispositions contractuelles.

Le tribunal de première instance avait qualifié les déclarations de la partie défenderesse pendant son témoignage de trompeuses et manquant de sincérité. Giuseppe Argento, représentant la défenderesse, avait maintenu une position niant que la résiliation constituait un « évènement déclencheur », alors que, comme le relève le juge, des documents écrits stipulaient clairement le contraire. Il n’avait pas réussi à démontrer l’absence d’abus en première instance.

Dans cet arrêt, le juge commence le second pourvoi par accueillir en partie, la demande d’appel du jugement du 10 mars 2021, alors même qu’une première demande d’appel avait été refusé en 2018, fondée sur les articles 51 et 53 C.p.c. et plus précisément sur la potentiel présence d’une question de droit nouvelle.

En scindant, dans cette demande d’appel, l’instance, le dossier a pu être traité de manière plus efficace. En effet, le jugement initial a reconnu qu’il pouvait y avoir la possibilité que l’action intentée par les parties soit abusive. La décision de suspendre l’appel en attendant le jugement de première instance permet de ne pas interrompre l’instance en Cour Superieur, tout en sauvegardant le droit des requérants de se pourvoir à l’encontre du premier jugement rendu. Effectivement l’article 54 C.p.c. permet que dans le cas où le tribunal décide qu’une procédure a été abusive, il est possible de scinder l’instance et de traiter la question des dommages ultérieurement à la condition que ceux-ci ne puissent pas être établis aisément à l’audition[3].

Cependant dans cet appel, la cour a conclu que les circonstances ne justifiaient pas une déclaration d’abus. La Cour précise que le simple fait qu’un juge n’ait pas souscrit aux arguments d’un défendeur ne signifie pas qu’il a entrepris un recours abusif. Le juge de première instance a dû analyser la preuve pour forger son opinion sur le sens à donner au contrat. L’appelant n’avait donc pas des arguments téméraires ou frivoles. Cette conclusion du juge de première instance a été qualifiée d’erreur manifeste par la Cour d’Appel. L’appréciation de la preuve en matière d’abus de droit d’ester en justice doit respecter un standard élevé.

L’arrêt Viel[4] a clarifié certains aspects de l’abus de procédure, notamment en précisant que le fait de ne pas présenter les meilleurs arguments ne constitue pas en soi un abus. Le comportement de la partie doit être blâmable et déraisonnable pour qu’il y ait abus.

Le droit d‘ester en justice est un droit fondamental codifié à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[5]. Il est essentiel de ne pas restreindre ce droit de manière excessive, car l’accès aux tribunaux reste un principe fondamental du droit judiciaire[6]. Il est crucial que les critères d’abus restent stricts pour ne pas décourager les justiciables de faire valoir leurs droits. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’une personne ayant intenté un recours manifestement abusif ou ayant clairement l’intention de nuire ne devrait pas être sanctionnée.

Une interprétation trop large de la norme d’abus de procédure par les juges pourrait aller à l’encontre du principe de contradiction, essentiel à la gestion de l’instance. Il est primordial que les parties puissent plaider tous les arguments qu’elles jugent nécessaires pour couvrir tous les aspects de leur cause et ressentir un véritable sentiment de justice. Cependant, le respect du principe de proportionnalité, inscrit à l’article 18 du C.p.c., limite le droit aux débats contradictoires afin de prévenir les abus. Les moyens utilisés par les parties doivent toujours être proportionnés aux enjeux en cause.

Pour conclure, l’article 51 C.p.c. rappelle que la procédure judiciaire n’est pas un outil de harcèlement ou de déstabilisation de l’adversaire. Néanmoins, comme l’illustre l’affaire Gestion Marigec inc. c. Immeubles Rimanesa inc., les juges doivent évaluer avec minutie les circonstances entourant chaque recours, afin de ne pas confondre un recours mal fondé avec un comportement véritablement abusif envers l’autre partie. C’est pourquoi, il est primordial de veiller à la préservation de cet équilibre car il est le fondement même de notre système judiciaire.


[1] Sénécal c. Mayer, 2022 QCCA 225

[2] Sxwell USA c. J.L. Freeman, 2019 QCCS 154

[3] https://imk.ca/blogue/proceder-en-deux-temps-face-un-abus-de-procedure-trois-cas-de-figure/

[4] Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée, 2002 QC CA

[5] Charte canadienne des droits et libertés, art. 23, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11

[6] Pierre LAROUCHE, « La procédure abusive », (1991) 70 R. du B. can. 650, 651 et 655.

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