L’enregistrement clandestin d’une consultation thérapeutique : entre enquête réglementaire et respect de la vie privée
Par Jessie McKinnon, avocate et Helene Sarah Dabo, Étudiante
Dans l’affaire Collège des médecins du Québec c. Jean Le Sieur, 2024 QCCQ 5635, un ostéopathe conteste l’utilisation d’un enregistrement clandestin réalisé lors d’une enquête visant à vérifier s’il a pratiqué illégalement la médecine. Le défendeur invoque une violation de ses droits fondamentaux, arguant que l’enregistrement clandestin porte atteinte à sa vie privée, contrairement aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte canadienne ») et à l’article 141.1 du Code de procédure pénale du Québec (le «CPP»). La Cour tranche en faveur du Collège. Cette décision illustre l’équilibre délicat entre la protection du public et le respect des droits individuels dans les investigations disciplinaires.
Contexte
En mai 2023, le Collège des médecins du Québec reçoit une plainte concernant un ostéopathe qui exercerait illégalement la médecine. Cette plainte vise la pratique de Jean Le Sieur, un ostéopathe déjà connu du Collège, puisqu’en 2015 il plaide coupable de quatre chefs d’accusation pour des infractions liées à la pratique interdite de la médecine.
Suite à l’analyse des actes dénoncés, le Collège mandate un enquêteur privé : monsieur Richard Michaud. Il a été convenu que l’enquêteur se fera passer pour un client afin de rencontrer le défendeur sur son lieu de travail et de vérifier ses pratiques. Lors de leur rencontre, le défendeur ignore que monsieur Michaud est un enquêteur et l’invite dans son bureau pour une consultation. Ainsi, l’enquêteur enregistre l’intégralité de la conversation sur son téléphone cellulaire, sans que le défendeur soit informé.
Le défendeur, M. Le Sieur demande l’exclusion de l’enregistrement, arguant que l’enregistrement a été effectué sans son consentement et sans autorisation judiciaire préalable. Il soutient que l’article 141.1 du CPP exige un mandat judiciaire avant de procéder à tout enregistrement.
De plus, la consultation ayant lieu dans un cadre privé entre un thérapeute et son client — où existe normalement une entente implicite de confidentialité — le défendeur considère cet enregistrement non consenti comme une saisie abusive et une violation de ses droits garantis au sens des articles 7 et 8 de la Charte canadienne.
Décision
L’enquête est-elle réglementaire ou quasi criminelle ?
Avant tout, la cour insiste sur une distinction majeure: loin des accusations criminelles, l’enquête qui s’ouvre se situe résolument dans le cadre du « droit réglementaire »[1]. L’enquête vise à établir si le défendeur a pratiqué la médecine de manière illégale, en se fondant sur la Loi médicale et le Code des professions. L’objectif de cette enquête est avant tout de protéger le public en s’assurant que les règlements et normes professionnelles soient respectés et non d’engager des accusations criminelles.
Le juge précise:
« Le Tribunal juge utile de souligner que le mot « pénal » est, en lui-même, objet d’une certaine ambiguïté. On l’utilise dans le contexte des infractions liées aux lois et règlements ayant une portée pénale; ce qui se justifie. Cependant, on omet souvent de départager les infractions qui conduisent à des sanctions criminelles ou quasi criminelles de celles dont la portée se limite à des condamnations pécuniaires. »
En conséquence, en puisant son argumentation sur l’arrêt Duarte[2] : « (…) Une conversation avec indicateur n’est pas une fouille, une perquisition ou une saisie au sens de la Charte. Toutefois l’interception et l’enregistrement électronique clandestin d’une communication privée en sont », le défendeur se met en erreur puisque l’arrêt Duarte se situe dans le contexte du Code Criminel.
De plus, le défendeur met l’accent sur le sous-alinéa 1 de l’article 141.1 du CPP, qui selon lui, requiert l’obtention préalable d’un mandat général délivré par un juge dès qu’un dispositif d’enregistrement est utilisé. Selon lui, à défaut d’un mandat, l’enregistrement d’une conversation privée sans autorisation violent ses droits.
Cependant, le juge conclut qu’en lisant l’article 141.1 du CPP dans son ensemble, l’obtention d’un mandat pour mener une enquête à l’aide d’un dispositif d’enregistrement n’est obligatoire que si l’enquête est intrusive au point de devenir une perquisition abusive.
Ainsi, le dernier argument en faveur du défendeur réside dans la dimension du droit individuel.
La première visite d’un client: s’agit-il d’une communication privée ?
Le défendeur est convaincu que l’enquêteur a outrepassé ses pouvoirs en enregistrant la consultation, lorsqu’il aurait pu de manière plus traditionnelle, s’en tenir à rédiger un rapport de visite ou des notes après la rencontre. Selon lui, la méthode d’enquête choisie est une technique déloyale au sens des articles 7 et 8 de la Charte.
Cependant, le Tribunal adhère à l’argument de la poursuivante selon lequel l’environnement de travail du défendeur joue un rôle dans l’évaluation de la preuve, en référant notamment à la décision dans Létourneau[3], et conclut que le défendeur ne peut prétendre qu’il s’agissait d’une activité privée. Tel que la poursuivante l’a soulevé, le défendeur exerce dans un lieu de travail ouvert au public et « Ce lieu est dénoncé tant en vertu de la Loi sur la publicité des entreprises, que via le site internet du défendeur et via les enseignes publicitaires conventionnelles qu’on y trouve »[4]. La rencontre entre le thérapeute et son client n’est pas non plus protégée par le secret professionnel comme tel serait le cas si on se trouvait chez un avocat[5].
En conséquence, sous l’argument de la violation de l’article 7 et 8 de la Charte canadienne, le juge conclut que le Collège, dans son enquête de la pratique de M. Le Sieur dans son lieu de travail, ne porte aucunement atteinte à sa vie privée puisque la consultation n’est pas qualifiée de privée dans son contexte et contenu.
Le Tribunal a donc finalement tranché en faveur de la validité de l’enquête réglementaire du Collège des médecins du Québec.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
[1] Collège des médecins du Québec c. Jean Le Sieur, 2024 QCCQ 5635, par. 23
[2] R. c. Duarte, [1990] 1 RCS 30, JE 90-263.
[3] Létourneau c. Ordre des psychologues du Québec, C.Q., 2017 QCCQ 10711
[4] Collège des médecins du Québec c. Jean Le Sieur, 2024 QCCQ 5635, par. 6
[5] Collège des médecins du Québec c. Jean Le Sieur, 2024 QCCQ 5635, par. 41
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