In vino veritas
Par Marie-Hélène Beaudoin
McCarthy Tétrault
C’est
vendredi. Il fait beau. Un petit verre de vin sur une terrasse serait une idée
fantastique pour passer l’heure du diner, n’eut été de mon engagement à écrire
la présente chronique du vendredi décontracté. Je prends donc le vin comme inspiration,
prends une grande respiration et me lance dans la rédaction avant que n’arrive
l’heure d’expiration de mon délai ultime de publication (?).
Le vin et le patrimoine familial
Le
vin fait-il partie du patrimoine familial? Cela dépend des faits particuliers
de chaque espèce. Dans Droit de la
famille — 113301, 2011
QCCS 5648, la Cour supérieure a conclu que oui.
« [59] Rappelons
que celle-ci est évaluée à la somme de 7 456 $. Deux thèses contradictoires
sont soulevées, d’une part le demandeur parle de collection et soutient des
décisions à l’appui à son exclusivité [6] et d’autre part, on souhaite l’inclure
puisque la preuve démontre un usage du ménage.
[60] Il
importe de ramener le tout à ce que révèle la preuve, à savoir : le vin
est acheté à partir du compte conjoint, le vin est consommé en famille lors de
bons repas cuisinés à la maison. La passion du vin est discutée librement entre
les parties et fait l’objet d’une activité commune (cours de dégustation). Le
cellier, bien que construit par le défendeur, est dans une pièce de la
résidence.
[61] Enfin, la
liste des vins sur support logiciel spécialisé (avosvins 6.0) prévoit des
alarmes d’échéance pour en permettre la consommation. On ne saurait parler de
collection.
[62] Le
tribunal y voit une certaine analogie avec les faits rapportés dans une
décision de la Cour d’appel de 1996 [7] :
« La résidence familiale de la rue D… fut construite
en 1966, une cave à vins y étant incorporée en 1976 et parfaite par la suite,
quelque 2 000 bouteilles de vin et de champagne y étant entreposées. Ajoutons
que les parties avaient de part et d’autre développé pendant leur vie commune
un goût pour la fine cuisine et les grands vins, offrant assez régulièrement à
des invités de choix des dîners gastronomiques ».
(soulignements ajoutés)
[63] Or, dans
cette affaire, le juge Chouinard parle d’une avenue souhaitable dans cette
approche spécifique [8] :
[…] Une interprétation favorable relative au partage
au moins partiel de la cave à vins aurait pu être retenue (Droit de la famille
– 1636, J.E. 94-10), ce qui n’exclut pas que d’autres motifs valables
existaient permettant d’en décider comme le premier juge l’a fait ».
(soulignements ajoutés) »
La valeur du vin
L’affaire
Bourdages c. Groupe CGU Canada Ltée., 2001
CanLII 15368 (C.Q.) concerne une réclamation d’assurance effectuée suite à
un vol, incluant notamment une somme de 1200$ pour 55 bouteilles de vin. L’assureur
refuse de couvrir car il juge qu’il n’y a pas de pièces justificatives
suffisantes et que l’assuré a omis de fournir les renseignements pertinents. Comment
la Cour arrive-t-elle à déterminer la valeur de ces bouteilles?
« [35] […] Dans le formulaire (D‑2) remis à la représentante de l’assureur, le
demandeur indique « 55 bouteilles de vins de provenance un peu partout » (sic).
[…]
Ceci dit, il y avait, parmi ces bouteilles, des
bouteilles acquises de la Société des alcools.
Il appert qu’il s’agissait de vin de consommation courante. Le demandeur en avait acheté lui‑même
quelques bouteilles. Il en avait reçu en
cadeau, notamment de son frère. Il est
difficile de conclure qu’elles pouvaient, en moyenne, valoir plus de 13,50$ par
bouteille. Le frère du demandeur précise
que les bouteilles qu’il avait données en cadeau à son frère valaient de 10$ à
17$.
Enfin, le frère du demandeur avait fabriqué du
vin. Le résultat avait été
aléatoire. La preuve révèle que, bien
que ce vin ait été consommable, la couleur n’en était pas attrayante et il
s’était formé des dépôts. Selon la
preuve prépondérante, ce vin n’était pas vinaigré. Le frère du demandeur l’affirme. Il en a d’ailleurs donné 18 bouteilles au
demandeur. On se demande bien pourquoi
il aurait fait ce cadeau si le vin avait été vinaigré et imbuvable. Les amis du demandeur en avaient d’ailleurs
consommé. Son frère précise que la
fabrication pouvait lui avoir coûté de 8$ à 10$ la bouteille mais qu’il était
difficile d’évaluer ce coût. Nul doute
que la valeur à neuf d’un tel produit est aléatoire et difficile à établir.
[36] En somme,
la preuve ne me convainc pas que la valeur indiquée (1 200$) qui correspond à
une moyenne de 22$ la bouteille, soit réaliste dans les circonstances, même en
tenant compte de l’échange. Il
m’apparaît plus réaliste d’établir cette valeur à environ 14$ la bouteille,
soit 770$ pour le lot. Toutefois,
n’ayant pas entendu le témoignage de la préposée de l’assureur qui a fait
compléter la preuve de perte, je tiens compte du témoignage du demandeur qui
laisse croire qu’elle n’a pas posé de questions très précises pour tenter
d’établir la valeur avec plus de précision, lui laissant croire qu’une
approximation générale était suffisante. »
Dans,
Droit de la famille — 114241, 2011
QCCS 7206, une évaluation effectuée par un expert a été mise de côté en ces
termes :
« [21] Pendant
ce temps, monsieur continue d’avoir du succès dans sa profession et continue
également sa passion pour les vins. Madame témoignera à l’effet qu’il utilise
la marge de crédit non seulement pour les besoins de la famille mais également
pour l’achat de ses vins. Elle donne l’exemple qu’une seule caisse de Romani
Conti peut coûter entre 4 et 5 000 $. Tous les citoyens ont droit à avoir une
passion; il y en a que c’est dans le sport, d’autre ça peut être dans la
musique et monsieur c’est dans le vin. Il est évident du témoignage de monsieur
qu’il est un passionné du vin; lorsqu’il a parlé de dégustation d’un bon vin
lors d’un repas en compagnie d’amis, son visage et son sourire ne trahissaient
pas sa passion. Madame témoigne que monsieur a acheté du vin à l’extérieur de
la province de Québec et que sa cave compte environ un millier de bouteilles.
Monsieur évalue, au procès, sa cave à 175 000 $ alors qu’antérieurement, au
début des procédures, sous serment, il l’avait évaluée à 375 000 $ pour, par la
suite, la ramenée à 260 000 $ et rendu au procès à 175 000 $, disant qu’il s’appuyait
sur la réponse de l’évaluation qu’il avait fait faire par monsieur Séguin.
[22] L’évaluation
de monsieur Séguin n’est pas retenue pour les raisons suivantes :
22.1. il n’a
pas vu les bouteilles ni la cave;
22.2. son
évaluation en est une de liquidation d’après son témoignage, ce qui n’apparaît
pas dans son écrit;
22.3. l’expert
ne vérifie pas ou ne veut pas se prononcer sur la vente de bouteilles à
l’extérieur du Québec, même si c’était au Canada. Il dit ne pas connaître les
règles à l’extérieur du Québec, toute sa présentation reposant qu’au Québec la
SAQ a un monopole et, de ce fait, compte tenu que si la SAQ vendait les
bouteilles de monsieur, elle prendrait une charge de 40 % de frais de vente ce
qui ferait en sorte que monsieur resterait avec une somme équivalant à 60 % de
la valeur. C’est donc dire que la valeur devrait au moins être redressée de 40
%;
22.4. il
n’examine pas que le vin peut être revendu en privé; il n’émet aucun
commentaire sur le sujet, bien que cela se fasse;
22.5. il n’examine pas non plus les ventes qui
peuvent être faites soit à Toronto ou à Vancouver mais, d’après son témoignage,
les bouteilles valent pas mal plus cher à Toronto qu’à ville C. Il ne veut pas
discuter du marché secondaire;
22.6. et,
finalement, le Tribunal ne retient pas l’évaluation de l’expert parce qu’elle
est en deçà de l’évaluation même que monsieur en avait faite.
[23] On n’a
pas déposé l’inventaire, ni un relevé des coûts de chacune des bouteilles se
trouvant dans la cave, ce qui milite en faveur de retenir comme évaluation de
la cave la somme de 375 000 $. »
Le vin et les avocats
Dans
Bourdon c. Lafond, 2008
QCCQ 3610 (petites créances), le demandeur, avocat, cherchait à obtenir
paiement de ses honoraires professionnels, que son ancienne cliente contestait
en prétendant que la qualité des services rendus ne justifiaient pas de tels
honoraires. Bien que le reproche n’ait pas été retenu par le Tribunal, on
comprend des commentaires suivants que toute solution créative à un litige
n’est pas opportune :
« [20] La
défenderesse reproche aussi au demandeur son manque de sérieux à une occasion
au cours du procès. À la fin de la
première journée d’audition, alors qu’il était question de la cave à vins, le
demandeur dit :
« Oui. Maître
Kushnir et moi, on a déjà proposé de le boire pour régler le problème. »
[21] Bien que
faite pour détendre l’atmosphère, selon ce que prétend le demandeur, il demeure
qu’en rétrospective cette phrase était sans doute de trop dans le cadre d’un
procès où la tension pouvait être grande.
Par contre, la juge de première instance n’est pas intervenue pour
réprimander l’avocat à cette occasion. »
Cours sur les vins (AJBM)
Avez-vous
noté à votre agenda le cours sur les vins qui est organisé par l’AJBM et se
tiendra le 28 mai cette année? Beaucoup de plaisir en perspective! Pour plus
d’infos, cliquer ici.
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