par
Lauréanne Vaillant
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09 Juil 2014

Adresse IP : La police peut-elle obtenir l’information sans mandat de votre fournisseur Internet?

Par Lauréanne Vaillant, Frédérick Carle, avocats


Par Lauréanne Vaillant
Frédérick Carle, avocats
Un policier fait enquête sur une infraction commise via le Web, qu’il s’agisse de fraude informatique, de harcèlement par les médias sociaux, ou de pornographie juvénile, et il n’a pas accès aux informations permettant d’identifier l’utilisateur d’un compte en particulier. Peut-il légalement demander cette information à un fournisseur de services Internet pour qu’il la lui transmette sans mandat? La Cour suprême répond à cette question dans l’affaire R. c. Spencer,  2014 CSC 43.

Contexte
Dans cette affaire, la police soupçonne qu’une personne possède une grande quantité de matériel pornographique juvénile via une plateforme de partage de fichiers. Le compte est toutefois anonyme et ne laisse voir que l’adresse IP, et par conséquent le fournisseur de services Internet. La police demande ainsi au fournisseur Internet en question de lui transmettre les renseignements permettant d’identifier cet abonné, dans le but d’établir un lien entre une personne précise et des activités en ligne précises. Important de souligner ici que les policiers n’avaient pas obtenu ni tenté d’obtenir une ordonnance de communication, ce qui est l’équivalent du mandat de perquisition dans le contexte.
Analyse
La Cour suprême en vient à la conclusion que la demande faite par la par la police visant à ce que le fournisseur de services Internet transmette les informations et renseignements identificateurs de façon volontaire constituait une fouille, donc une violation au sens de l’article 8 de la Charte canadienne. En effet, l’absence d’ordonnance de communication en bon et due forme, de même que les obligations de confidentialité imposées au fournisseur Internet en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques ne donnaient aucun pouvoir légal aux policiers pour obtenir de tels renseignements personnels.
La Cour suprême explique que l’identité d’une personne liée à son utilisation d’Internet donne naissance à un intérêt en matière de vie privée qui a une portée plus grande que celui inhérent à son nom, à son adresse et à son numéro de téléphone qui figurent parmi les renseignements relatifs à l’abonné :

« [47] […] [E]n établissant un lien entre des renseignements particuliers et une personne identifiable, les renseignements relatifs à l’abonné peuvent compromettre les droits en matière de vie privée de cette personne non seulement parce qu’ils révèlent son nom et son adresse, mais aussi parce qu’ils l’identifient en tant que source, possesseur ou utilisateur des renseignements visés ».

La Cour suprême, citant l’un de ces arrêts rendus en matière de droit au respect de la vie privée, rappelle que tous les renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État sont visés. (par.27)
La Cour indique, dans les termes suivants, la méthode à appliquer afin de qualifier les renseignements recherchés par la police au sens de l’expectative de vie privée :

« [31] Ainsi, il est évident que, pour définir l’objet de la fouille ou de la perquisition, il faut tenir compte de la tendance qui consiste à chercher à obtenir des renseignements pour permettre d’en tirer des inférences au sujet d’autres renseignements qui, eux, sont de nature personnelle. 

[…] Lorsqu’elle est appelée à identifier l’objet d’une fouille ou d’une perquisition contestée, une cour ne doit pas adopter une approche [TRADUCTION] « restrictive qui porte sur les actions commises ou sur l’espace envahi, mais plutôt une approche fondée sur la nature des droits en matière de vie privée auxquels l’action de l’État pourrait porter atteinte ». [références omises] 

[32] […] La fouille n’avait pas simplement pour objet le nom et l’adresse d’une personne qui était liée par contrat à Shaw. Il s’agissait plutôt de l’identité d’une abonnée aux services Internet à qui correspondait une utilisation particulière de ces services. […] 

[33] En l’espèce, la fouille avait pour objet l’identité de l’abonnée dont la connexion à Internet correspondait à une activité informatique particulière sous surveillance. »

Malgré la conclusion de violation à la Charte canadienne, la Cour suprême accepte que soit introduit en preuve les renseignements ayant permis à la police d’identifier l’utilisateur du compte Internet, et ce grâce à la croyance «de bonne foi» des policiers, conduite que la Cour suprême juge ne pas déconsidérer l’administration de la justice conformément à l’arrêt Grant, [2009] 2 R.C.S. 353.
Commentaires 
Dans un monde où les technologies évoluent rapidement et les moyens d’enquête policière également, la Cour rappelle dans un obiter bien senti (par. 37) que le lieu de l’activité Internet fait partie de l’expectative de vie privée et est assujetti au même droit au respect de la vie privée. Ainsi, on comprend que l’accès à Internet via un téléphone intelligent ou un ordinateur portatif dans un commerce offrant le Wifi est également protégé.
Plusieurs scandales sur l’existence de programmes gouvernementaux de surveillance des citoyens (Edward Snowden et la NSA pour ne nommer que celui-là) nous rappellent que les policiers et autres agents de l’État peuvent avoir accès à des renseignements personnels nous concernant, mais que leur utilisation devant les tribunaux est retreinte lorsqu’obtenu en violation du droit garanti au respect de la vie privée.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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