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François Joli-Coeur
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03 Nov 2014

Condamnation pour propos diffamatoires tenus dans le cadre d’une campagne électorale

Par François Joli-Coeur


Par François Joli-Coeur
Dans Rankin c. Rankin, 2014 QCCQ 8981, le demandeur réclame la somme de 20 000 $ en dommages et 10 000 $ en dommages punitifs pour des propos qu’il juge diffamatoires tenus par sa cousine sur les réseaux sociaux (Facebook), sur la place publique et lors d’assemblées publiques. Les commentaires reprochés à la défenderesse ont été faits dans les mois précédents les élections au conseil de bande de la communauté algonquine Abitibiwinni, auxquelles le demandeur était candidat, et ont perduré après celles-ci. Jugeant les propos diffamatoires, le Tribunal accorde la somme de 10 000 $ à titre de dommages et 3 000 $ à titre de dommages punitifs.

Contexte
Le demandeur monsieur Rankin a occupé le poste de conseiller au conseil de bande durant deux mandats consécutifs et se présentait aux élections pour ce même poste en juin 2014. À partir du mois de mai 2014, madame Rankin publie sur Facebook à l’attention de ses 344 « amis » des accusations contre monsieur Rankin. Notamment, elle le traite d’agresseur, de batteur de femme, elle mentionne qu’il a fait de la prison et qu’il a agressé une personne âgée. Environ la moitié des 344 « amis » Facebook de madame Rankin sont des membres de la communauté Abitibiwinni.

Monsieur Rankin en est mis au courant et met madame Rankin en demeure de se rétracter. Madame Rankin ne se rétracte pas et publie de nouveaux commentaires à son sujet sur Facebook (le traitant de « crisse de sauvage » et le prévenant que leurs grands-parents communs, décédés, « le voient »). D’autres commentaires de la sorte suivent et madame Rankin indique également à ses « amis » de ne pas voter pour son cousin, notamment puisqu’il serait raciste. Madame Rankin se présente par ailleurs à des réunions communautaires où elle réitère ses propos à l’endroit de monsieur Rankin. Elle se tient également sur la place publique avec des pancartes sur lesquelles elle incite la communauté à ne pas voter pour monsieur Rankin en dressant une liste des infractions criminelles pour lesquelles il aurait été condamné.

Monsieur Rankin a sept enfants dont la plupart sont au courant des propos tenus par madame Rankin. Il a témoigné avoir vécu des périodes de grand stress en conséquence des agissements de cette dernière. Sa femme aurait également été affectée par les propos de la défenderesse.

Décision
La Cour rappelle que le droit à la réputation est protégé par le Code civil du Québec et la Charte des droits et libertés de la personne. Sur le standard de faute en matière de diffamation, la Cour écrit :

« [44] Le Tribunal le répète, les propos diffamatoires peuvent être conformes à la vérité tout comme ils peuvent être faux. S’ils sont vrais, ils peuvent entraîner la responsabilité de celui qui les a tenus si l’auteur n’avait pas un intérêt légitime à les rapporter. S’ils sont faux, leur publication ou télédiffusion constitue en soi une faute. »

Ici, le Tribunal juge que la défenderesse a tenu des propos diffamatoires :

« [49] Les propos tenus par la défenderesse dépassent et excèdent largement les débats qui peuvent prendre place dans un cadre électoral. Les propos s’attaquent non pas au bilan des réalisations des deux termes où monsieur a servi la population de sa communauté, mais directement à la personne avec des qualificatifs qui constituent en soi une faute.

[…]

[53] Objectivement, les propos tenus sont de nature à déconsidérer le demandeur, à attitrer sur lui l’opprobre, à lui faire perdre la confiance de ses concitoyens. Les propos tenus sont méprisants et contiennent des critiques injustifiées et même malicieuses. La preuve est ici prépondérante que des propos diffamatoires ont été tenus. Certains de ces propos sont inexacts, faux, d’autres le sont sans preuve à leur soutien. D’autres, bien qu’exacts, remontent à un passé lointain et ne concernent pas l’intérêt général. Des accusations remontant à 2005, soit neuf ans, peuvent êtres vrais mais de les ramener sans explication aucune fait fi de tout travail de réhabilitation qui peut être fait par un contrevenant. Manifestement, après six ans passés au sein du conseil de la Nation Abitibiwinni, la réhabilitation de monsieur Rankin était soit complétée ou en voie de l’être.

[…]

[57] Les propos tenus par la défenderesse constituent une atteinte à l’image, à la réputation et à la compétence du demandeur et visaient clairement à lui faire perdre l’estime de ses concitoyens et de ses proches. »

Le Tribunal accorde au demandeur la somme de 10 000 $ à titre de dommages en tenant compte, notamment, du fait que la défenderesse n’est probablement pas fortunée. Pour justifier sa décision d’imposer des dommages punitifs, le Tribunal écrit :

[64] Ici, clairement l’attaque est non seulement illicite, mais aussi intentionnelle et l’état d’esprit de l’auteure de ces propos demeure clairement un désir de causer des conséquences néfastes au demandeur avec un but précis, celui de lui faire perdre l’estime de ses concitoyens, de noircir sa réputation.

Notons que la défenderesse n’a pas comparu au dossier et qu’elle était absente et non représentée lors de la présentation de la requête introductive d’instance de monsieur Rankin.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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