De l’immunité agricole en matière de troubles de voisinage
Par Francis Hemmings, Hemmings avocat inc.
Par Francis Hemmings
Hemmings avocat inc.
Dans l’affaire Plantons A et P inc. c. Delage 2015 QCCA 7, la Cour d’appel revient sur la notion d’immunité agricole en matière de troubles de voisinage. En plus d’identifier les trois éléments nécessaires en vertu de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, c. P-41.1 (ci-après la « LPTAA ») [(1) exercer une activité agricole (2) les nuisances liées à cette exploitation et (3) les nuisances sont des poussières, des bruits ou des odeurs], mais aussi, le rôle des règlements adoptés en vertu de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme ch. A-19.1.
Contexte
Dans cette affaire, les parties appelantes œuvrent dans le domaine agricole. En décembre 2004, elles ont installé des fournaises artisanales pour chauffer des serres. Or, la fumée des fournaises provoquait des désagréments au voisinage. Malgré des ajustements, rien n’a vraiment changé. En 2010, les fournaises sont remplacées et la preuve ne démontre pas que les nouvelles fournaises causent les mêmes problèmes.
Les parties intimées ont poursuivi les parties appelantes pour troubles de voisinage. En première instance, les appelantes ont soulevé l’immunité conférée aux activités agricoles en vertu de l’article 79.17 LPTAA pour se protéger des articles 976 C.c.Q. et 20 de Loi sur la qualité de l’environnement, c. Q-2. Or, le tribunal considère que la LPTAA n’immunisait pas les appelantes.
Par ailleurs, le tribunal a estimé que les inconvénients subis excédaient les limites de la tolérance à laquelle les voisins sont normalement tenus. Le tribunal ordonne donc la compensation des parties intimées pour les dommages subis et il émet une injonction enjoignant les parties appelantes à ne plus utiliser les fournaises artisanales.
Décision
La Cour d’appel est-elle en accord la mise à l’écart de l’immunité agricole? Voici l’article interprété et cité dans la décision :
« 79.17. En zone agricole, nul n’encourt de responsabilité à l’égard d’un tiers en raison des poussières, bruits ou odeurs qui résultent d’activités agricoles, ni ne peut être empêché par ce tiers d’exercer de telles activités si celles-ci sont exercées, sous réserve de l’article 100 :
1° conformément aux normes réglementaires prises par application de la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2) en matière de poussières ou de bruits et, en matière d’odeurs, conformément aux normes visant à atténuer les inconvénients reliés aux odeurs inhérentes aux activités agricoles, découlant de l’exercice des pouvoirs prévus au paragraphe 4° du deuxième alinéa de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (chapitre A-19.1);
2° conformément aux dispositions de la Loi sur la qualité de l’environnement pour ce qui concerne tout élément n’ayant pas fait l’objet de normes réglementaires. » [Soulignements de la Cour d’appel]
Cette disposition immunisait-elle les appelantes? Les appelantes avaient besoin de satisfaire à trois critères : (1) elles devaient exercer une activité agricole, (2) les nuisances devaient être liées à cette exploitation et (3) les nuisances devaient être des poussières, des bruits ou des odeurs. Dans le présent cas, il ne fait aucun doute que les deux premières conditions étaient satisfaites.
Les nuisances étaient-elles des poussières, des bruits ou des odeurs? L’article 79.17 de la LPTAA a pour objectif de créer une certaine tolérance envers les atteintes environnementales par les activités agricoles. Toutefois, à la lumière du droit à la qualité de l’environnement et considérant que l’article est un régime d’exception par rapport au droit commun, l’article doit recevoir une interprétation restrictive. Dans ces circonstances, la fumée ne peut pas être considérée comme étant de la poussière au sens de l’article 79.17 de la LPTAA.
Quant à l’odeur, les activités agricoles sont protégées lorsqu’elles sont exercées dans les limites d’un règlement. Or, puisque la municipalité n’avait pas adopté de règlement, la protection ne pouvait pas être invoquée.
Voici les explications de la Cour d’appel :
« i) La fumée
[…]
[51] Il ne fait aucun doute que l’article 79.17 de la LPTAA vise à accorder au milieu agricole une certaine tolérance à l’égard de possibles atteintes à l’environnement. Cependant, le législateur a pris soin de limiter l’étendue de cette tolérance en précisant les nuisances pour lesquelles il a prévu une immunité relative de responsabilité. Cette énumération est exhaustive et elle se limite aux « poussières, bruits ou odeurs ».
[52] En matière environnementale, les législations de cette nature doivent recevoir une « interprétation favorisant le plein épanouissement du droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à sa sauvegarde ».
[53] Pour les mêmes raisons, il faut convenir qu’un régime d’exemption visant à limiter la responsabilité de ceux qui autrement contreviendraient à une loi à caractère écologique doit voir sa portée restreinte aux seules exceptions qu’il contient, c’est-à-dire être interprété de façon restrictive.
[54] Cette règle d’interprétation trouve aussi sa justification en raison du fait qu’en principe les régimes juridiques prévoyant une immunité de poursuite privent le citoyen d’un accès aux tribunaux lui permettant d’obtenir le redressement auquel il aurait normalement droit.
[…]
ii) L’odeur
[67] Personne ne conteste que l’élément odeur fait partie des nuisances énumérées à l’article 79.17 de la LPTAA. Pour jouir de l’immunité prévue à cette disposition, les activités de Plantons et de Coopérative devaient être exercées conformément aux normes visant à atténuer les inconvénients reliés aux odeurs inhérentes aux activités agricoles, de telles normes étant adoptées dans le cadre des pouvoirs que détient une municipalité par l’application du paragraphe 4 du deuxième alinéa de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.
[…]
[68] Il appert de la preuve que la municipalité de Sainte-Christine n’a pas adopté de règlement en matière de gestion d’odeurs en vertu de cette disposition.
[…]
[71] En résumé, je suis d’avis que l’immunité mentionnée à l’article 79.17 de la LPTAA ne s’intéresse pas à l’inconvénient causé par la fumée. Par ailleurs, les conditions donnant ouverture à la protection contre les poursuites judiciaires pour l’odeur de fumée ne sont pas ici réunies. Dans ces circonstances, le juge pouvait faire porter son analyse sur l’article 20 deuxième alinéa in fine de la Loi sur la qualité de l’Environnement pour ensuite, le cas échéant, discuter de l’application de l’article 976 C.c.Q.» [Références omises] [Nos soulignements]
L’immunité prévue pour les activités agricoles ayant été mise de côté, le régime de droit commun en matière de troubles du voisinage s’appliquait. Pour la Cour d’appel, il ne fait aucun doute que les critères de l’article 976 C.c.Q. sont satisfaits; bien que les inconvénients d’ordre physique ont été prouvés sans expert, les parties intimées ont subi des inconvénients excédant les limites de la tolérance à laquelle sont normalement tenus les voisins.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
N D.L.R. : Ce billet est également publié sur le site internet de Hemmings avocat inc.
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