La responsabilité solidaire de 2118 CCQ : comment l’ingénieur peut-il s’en dégager?
Par Audrey-Anne Guay
Par Audrey-Anne Guay
Dans Installations GMR inc. c. Pointe-Claire (Ville de), 2015 QCCA 1521, la Cour d’appel revient sur la notion de la perte de l’ouvrage et sur l’application des articles 2118, 2119 et 2120 du Code civil du Québec, principalement en ce qui a trait à la responsabilité des ingénieurs sur une projet de remplacement et de relocalisation de réservoirs qui présentaient des fuites.
Contexte
Le projet consistait à remplacer et à relocaliser trois réservoirs intégrés au réseau de distribution de produits pétroliers de la Ville de Pointe-Claire (« Ville »). Deux de ces trois réservoirs ont rapidement présenté des fissures et ont dû être remplacés. Quelques années plus tard, les réservoirs de remplacement présentent de graves défectuosités. À qui la faute?
En première instance, la Cour a reconnu la responsabilité de Les Installations GMR inc. (« GMR ») à titre d’entrepreneur et a condamné l’entreprise à payer des dommages à la Ville. La réclamation contre la firme d’ingénieurs (« Firme ») a toutefois été rejetée. Autant la Ville que GMR se pourvoit contre le jugement : les deux demandent que la responsabilité des ingénieurs soit retenue.
Analyse
La Cour d’appel reconnaît que le juge de première instance a commis une erreur en écartant l’application de l’article 2118 CCQ relatif à la perte de l’ouvrage et en se référant plutôt à 2120 CCQ.
« [9] Il est bien établi, et la Cour l’a rappelé en quelques occasions, qu’une défectuosité grave entraînant des inconvénients sérieux et rendant l’ouvrage impropre à son usage constitue une perte. En l’espèce, la défectuosité dont était affecté l’ouvrage constituait un vice de conception grave, qui s’est manifesté dans les cinq ans de la fin des travaux, et elle entraîne l’application de l’article 2118 C.c.Q. et la responsabilité des défenderesses GMR et CIMA. Elles peuvent toutefois s’en dégager en faisant la preuve d’un moyen d’exonération prévu à l’article 2119 C.c.Q. » [Références omises]
Le Tribunal préfère faire preuve de déférence quant aux conclusions de fait du juge de première instance. Il en vient aux mêmes conclusions en ce qui a trait à la responsabilité de la Firme; celle-ci a réussi à se dégager de sa responsabilité. En effet, la Firme a démontré que les vices résultent plutôt des décisions imposées par la Ville. Elle s’est opposée à de nombreuses reprises, par écrit et à l’oral, au remplacement des réservoirs provenant du même fabricant.
[16] Une fois la décision prise d’installer des réservoirs Beluga malgré les objections de CIMA, la certification des travaux par celle-ci ne nous apparaît pas fautive. Les travaux ont bel et bien été exécutés et quoique CIMA aurait souhaité que d’autres réservoirs soient installés, les défectuosités des réservoirs ne se sont pas encore révélées lesquelles, rappelons-le, relèvent d’un défaut de conception et non d’une non-conformité aux plans et devis.
La Cour d’appel reprend certains extraits du jugement de première instance :
[18] Le juge n’est pas tendre pour la Ville lorsqu’il traite des reproches qu’elle formule à l’endroit de CIMA. Il est à-propos de reproduire ici de larges extraits de la décision attaquée dans lesquels il analyse méticuleusement la preuve :
[…]
[85] La réaction de CIMA+ est claire et sans équivoque. Elle exigeait que les trois (3) réservoirs soient remplacés par des neufs du manufacturier ZCL. […]
[89] CIMA+ a refusé l’offre de Beluga, et ce par voie de sa lettre datée du 24 octobre 2001. Les ingénieurs exigeaient l’installation des réservoirs ZCL. Une copie de ladite lettre de CIMA+ a été transmise à l’ingénieur Kusalic de la Ville la journée même.
[90] La Ville et GMR plaident que ladite lettre n’est pas claire quant à l’exigence d’installer les ZCL. Le Tribunal ne partage pas leur difficulté d’interprétation. Immédiatement après la phrase « les spécifications du devis sont des exigences minimales et il nous apparaît que le manufacturier Béluga ne peut pas les rencontrer », CIMA+ réitère sa demande de procéder à l’installation des « réservoirs spécifiés ». Dans ce contexte, il ne s’agit que des réservoirs ZCL. L’experte Genest, dans son témoignage, confirmait que CIMA+ avait exigé l’installation des ZCL.
[…]
[114] En concluant ainsi, le Tribunal garde à l’esprit le niveau de connaissance et de compétence de la Ville dans le domaine de l’ingénierie. Ses propres ingénieurs ont bien compris les enjeux, la Ville ayant déjà vécu la rupture des réservoirs Beluga en automne 2001. Ils possédaient les faits pertinents à leurs décisions, notamment l’opposition et les recommandations de CIMA+. Il s’agit d’un propriétaire informé avec une expertise dans le domaine de l’ingénierie et avec de l’expertise dans l’opération desdits équipements pétroliers.
[115] Dans de telles circonstances, la Ville connaissait ou aurait dû connaître les risques associés avec sa décision et ne peut pas, aujourd’hui, plaider avec succès que c’est dû à la faute de CIMA+ ou à une erreur dans ses plans et devis. [Références omises]
Vous trouverez la décision intégrale ici.
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