par
Francis Hemmings
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22 Oct 2015

L’enclave résultat de choix personnels ne donne pas droit à un droit de passage

Par Francis Hemmings, Hemmings avocat inc.


Par Francis Hemmings
Hemmings avocat inc.

Dans l’affaire Lubecki c. Lubecki, 2015 QCCA 1547, la Cour d’appel se penche sur une décision portant sur une succession. Plusieurs points de droit sont traités. Toutefois, c’est l’analyse sur le droit de passage qui intéresse l’auteur. Fait intéressant, la Cour d’appel précise qu’une servitude de nature judiciaire ne peut pas être imposée et une personne qui s’enclave, suite à des choix, ne peut pas réclamer un droit de passage par la suite. 

Contexte
Dans le cadre d’une succession, une héritière (« Héritière ») devait faire un choix. Elle devait choisir une partie d’un terrain d’une grandeur particulière et dans un endroit particulier : 

«ARTICLE A I add a particular legatee unto ARTICLE Ill, after paragraph d), which reads as follows:
d) To my daughter […] one and half acres (1 and 1/2) of land of my daughter’s choosing in the area of the tennis court of my property located at Bonnallie Lake, with a clear view of the lake, right away by the present road, access to the lake and enjoyment of the beach area located near ‘the boat houses and historically used by my family. » [Nos soulignements] 

L’Héritière a fait un choix, qui a été approuvé par le juge de première instance. Or, il y a un problème important. En raison du choix effectué, l’Héritière se trouve dans une situation d’enclave. Par conséquent, elle a également réclamé un droit de passage pour accéder à la route. En première instance, le tribunal lui a octroyé cette servitude de passage. 

La décision de première instance est contestée, notamment sur ce point. 

Décision
La Cour d’appel souligne en premier lieu qu’il ne peut y avoir de servitude judiciaire. Une servitude doit avoir pour origine un contrat, un testament, une destination du propriétaire ou un effet de la loi. Dans tous les cas, un écrit est exigé. 

Par ailleurs, le propriétaire d’un fonds enclavé peut exiger  un droit de passage (997, 999, 1181 C.c.Q.). Toutefois, l’état d’enclave ne peut résulter des choix faits par le propriétaire réclamant le droit de passage. 

La Cour d’appel conclut que le tribunal de première instance ne pouvait pas octroyer un droit de passage à l’Héritière, parce que l’état d’enclave découle de son choix. Par ailleurs, en raison de l’état d’enclave, la Cour d’appel remet les parties en état et demande aux parties d’effectuer de nouveaux choix. 

Voici un passage intéressant du jugement : 

« [71] Cela dit, l’emplacement que propose Maria et qui est intégralement repris dans les conclusions du jugement pose problème, puisqu’il en résulte un état d’enclave de la propriété qui ne rejoint en aucun point la route d’accès au chemin public. À mon avis, le juge ne pouvait remédier à la situation d’enclave créée par le choix d’un tel emplacement en imposant une servitude judiciaire comme il l’a fait dans ses conclusions en ces termes :

[77] ORDERS the imposition of a servitude for vehicular and pedestrian right of way on the portion of land held in undivided ownership in favour of the 1.5 acre of land inherited by Defendant;

[72] Dans l’affaire Hamel c. De Bellefeuille, notre cour, sous la plume du juge Jean Louis Baudouin, confirmait en termes clairs qu’il n’existe pas de « servitude judiciaire » :

Il n’existe pas, en effet, de «servitude judiciaire». En d’autres termes, une Cour de justice n’a pas le pouvoir, même pour des raisons d’équité, de créer ce droit réel. Sous le régime du Code civil du Bas-Canada (art. 545 C.c.B.-C.), une servitude ne peut être créée que par acte volontaire du propriétaire, ou par destination du père de famille (art. 551 C.c.B.-C.). Sous le régime du Code civil du Québec (art. 1181 C.c.Q.), elle s’établit par contrat, testament, destination du propriétaire ou par l’effet de la loi. 

[73] De fait, les titres constitutifs d’une servitude sont énumérés restrictivement et le juge ne pouvait ici contourner la règle voulant que la servitude s’établisse soit par contrat, par testament, par destination du propriétaire ou par l’effet de la loi. 

[74] La servitude testamentaire requiert un écrit, et ce, même si elle n’obéit pas à des règles terminologiques particulières […]. 

[75] Par ailleurs, afin d’être opposables aux tiers acquéreurs, toutes les servitudes, y incluant la servitude testamentaire, doivent être inscrites au registre foncier : […].  

[76] Il est vrai que l’article 997 C.c.Q. prévoit que le propriétaire dont le fonds est enclavé peut exiger de ses voisins un droit de passage […]. 

[77] Il est également établi que le droit de passage est un titre valable conféré par l’effet de la loi au sens de l’article 1181, al.1 in fine C.c.Q. En effet, suivant la doctrine, aucun autre titre n’est requis et le droit naît du moment que l’état d’enclave est constaté. 

[78] L’article 999 C.c.Q. prévoit, par ailleurs, les circonstances qui permettent au propriétaire enclavé de réclamer un droit de passage, notamment lorsque l’enclave résulte de la division d’un fonds à la suite d’un testament : […]. 

[79] Toutefois, cette mesure particulière, qui est une disposition d’ordre public, a pour but d’éviter qu’un propriétaire n’impose une charge immobilière au voisin de par son fait unilatéral. 

[80] À mon avis, cet article ne donne pas ouverture à la revendication d’un droit de passage pour Maria. En effet, l’état d’enclave du lot proposé ne résulte pas de la division du lot à la suite du Testament mais découle plutôt du choix d’emplacement exercé par Maria. La testatrice n’a jamais imposé à Maria un lot enclavé. Elle lui a plutôt donné la faculté de choisir l’emplacement et la configuration de son legs. […].  

[83] Évidemment, il n’y a pas d’enclave lorsque le propriétaire jouit d’une servitude réelle ayant l’effet d’un accès ou d’un chemin de tolérance, ou lorsque le propriétaire profite d’un chemin qui lui donne accès à la voie publique. […] 

[84] En l’espèce, le problème ne se poserait pas si la partie de lot proposée par Maria jouxtait le chemin existant par laquelle la testatrice souhaitait lui donner accès au chemin public, en précisant à l’article A) du Codicille que le lot comporte un droit de passage par la présente route (« right away (sic) by the present road »). Mais le lot tel que proposé par Maria n’est pas contigu au chemin existant et l’engagement de William, dont le jugement prend acte, ne concerne que l’octroi d’une servitude d’accès au lac et de jouissance de la plage et non à un chemin public. […]. » » [Nos soulignements] [Références omises]

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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