La prépondérance du critère de la bonne foi du failli
Par Francis Hemmings, Hemmings avocat inc.
Par Francis Hemmings
Hemmings avocat inc.
Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Malo, 2015 QCCA 1948, la Cour d’appel se penche sur un jugement portant sur une requête en modification des conditions de libération d’un failli. Essentiellement, dans le cas de requêtes en modification des conditions de libération, une preuve de la mauvaise foi d’un failli doit être prépondérante sur la diminution de la capacité d’un failli à remplir les conditions de libération.
Contexte
Dans cette affaire, l’intimé (« Failli »), qualifié de délinquant fiscal, a fait faillite à deux reprises. En premier lieu, il a fait faillite en 1989 en raison d’impôts impayés et il a ensuite été libéré peu de temps après. En 1999, il fait de nouveau faillite en raison de ses dettes fiscales.
Au moment de l’audience pour sa libération en 2001, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») s’oppose à la libération du Failli, notamment en raison du nombre de faillites pour dettes fiscales, en raison de l’absence d’efforts de sa part pour rembourser ses dettes, en raison de l’omission de déclarer certains actifs et en raison de sa témérité. La Cour supérieure suspend donc la libération du Failli jusqu’à ce qu’il rembourse 245 000 $ à la masse des créanciers.
Le 27 mars 2013, le Failli dépose une requête pour modifier les conditions de libération. Le 28 janvier 2014, la Cour supérieure diminue les conditions de libération du Failli à un remboursement de 18 000 $ additionnels à la somme de 5486 $ remboursée par le Failli depuis 1994.
L’ARC s’oppose à la modification des conditions et porte en appel le jugement, estimant que le tribunal de première instance n’a pas appliqué correctement les critères pour les conditions de libération du Failli.
Analyse
En premier lieu, la Cour d’appel souligne qu’il faut distinguer la procédure de libération de celle qui vise la modification des conditions de libération. La libération peut être conditionnelle et la discrétion du tribunal doit être exercée en tenant compte des trois critères mentionnés au paragraphe 42 du jugement.
Lorsque le tribunal rend une ordonnance de libération conditionnelle, cette ordonnance peut être modifiée si un failli parvient à démontrer (i) qu’il y a eu un changement de situation, (ii) qu’il est incapable de remplir ses obligations, (iii) qu’il est crédible et (iv) qu’il a fait des efforts de bonne foi. Voici les propos de la Cour d’appel sur ces points de droit :
« [40] D’entrée de jeu, il y a lieu de rappeler que la jurisprudence et la doctrine en matière de faillite distinguent la procédure de demande de libération de celle visant la modification d’une ordonnance existante.
[41] En matière de demande de libération, le tribunal détermine s’il y a lieu d’accorder, de refuser, d’assortir de conditions ou de suspendre la libération du failli en tenant compte des faits propres au cas d’espèce, conformément à l’article 172 (1) L.f.i..
[42] Lorsqu’il statue sur une demande de libération, le juge exerce un pouvoir discrétionnaire, guidé par les trois objectifs principaux de la L.f.i, à savoir : a) le droit d’une personne honnête, mais malchanceuse de repartir à zéro; b) le droit prima facie des créanciers d’être payés; c) le droit du public d’avoir confiance dans le système et son intégrité. De plus, il considère les causes de la faillite, la conduite du failli avant et depuis sa faillite et la capacité du failli à faire face à ses obligations courantes.
[43] Un an après l’obtention d’une ordonnance de libération conditionnelle, le failli peut demander la modification des conditions de libération. C’est alors qu’entre en jeu l’article 172 (3) L.f.i., dont il convient de reproduire le libellé : […].
[45] Puisque le tribunal ne siège pas alors en appel de l’ordonnance initiale, la preuve d’un changement dans la situation du débiteur est requise. Ce n’est donc pas l’opportunité de la décision initiale qui doit être considérée, mais plutôt l’opportunité de modifier cette dernière pour l’adapter à des circonstances ou à des faits nouveaux.
[46] Afin d’obtenir une modification des conditions de l’ordonnance de libération, le failli doit convaincre le tribunal des quatre éléments suivants : (1) l’existence d’un changement de circonstances pour des raisons hors de son contrôle survenues depuis l’ordonnance de libération; (2) son incapacité à se conformer aux conditions de l’ordonnance de libération; (3) sa crédibilité; (4) ses efforts de bonne foi afin de respecter les conditions de l’ordonnance de libération. [soulignement de l’auteur]
[47] La jurisprudence n’est toutefois pas unanime quant au poids à accorder à chacun des éléments. Une conclusion défavorable quant à un seul d’entre eux suffira pour justifier un rejet de la demande de modification selon certains jugements, alors que pour d’autres il s’agit simplement de facteurs servant à guider le tribunal dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
[48] Cela dit, le failli a néanmoins le fardeau de démontrer que, malgré ses efforts, [(soulignement du tribunal)] il est improbable qu’il puisse se conformer à l’ordonnance de libération conditionnelle dans un délai raisonnable. S’il est responsable de la situation précaire dans laquelle il se retrouve ou que cette situation était prévisible au moment où les conditions de libération ont été établies, ou si le failli n’est pas crédible ou n’a pas fait preuve d’honnêteté envers le syndic, les tribunaux n’auront pas tendance à modifier les conditions de libération. L’honnêteté du failli est une condition essentielle à l’octroi d’une telle demande et le failli doit faire la démonstration qu’il a fait des efforts sérieux pour se conformer à l’ordonnance de libération conditionnelle. »
Malgré une légère confusion dans l’application temporelle des lois, la Cour d’appel estime que les 4 critères pour la modification des conditions d’une ordonnance de libération ont été évalués par le tribunal de première instance : (i) il réfère à des changements de circonstances en raison de l’état vieillissant du failli et (ii) il affirme que le failli ne pourra probablement pas se conformer aux conditions de l’ordonnance de libération, mais que (iii) le failli a une faible crédibilité et (iv) que le failli n’a fait aucun effort de bonne foi.
Néanmoins, la Cour d’appel estime qu’il aurait été préférable de mettre l’emphase sur l’absence d’efforts de la part du failli. En effet, elle estime que la modification n’aurait pas dû être ordonnée en raison de l’absence d’efforts, car une modification ne tiendrait pas compte des intérêts des créanciers et de la nécessité de maintenir la confiance du public. Une telle modification encouragerait les créanciers à ne pas rembourser les créanciers et d’utiliser les prétextes d’un âge avancé ou de la maladie pour se libérer. Pour résumer, voici un passage intéressant sur la prépondérance à donner au critère des efforts de bonne foi :
« [60] Le juge affirme qu’il accorde une grande importance à la finalité ultime de la L.f.i. et au droit du débiteur failli d’espérer une libération éventuelle. Or, Malo est bien loin de la personne honnête, mais malchanceuse, invoquée notamment dans l’affaire Connor v. Rumanek & Co., où le failli, malgré des conditions physique et mentale difficiles, avait fait des efforts de remboursement qualifiés d’« héroïques » par son entourage. Au contraire, la feuille de route de Malo démontre l’absence de tout effort de sa part et un mépris total pour les autorités fiscales. Sa situation s’apparente plutôt à celle relevée dans les jugements Furlotte (Re) et Croft (Re), où des demandes de modification semblables ont été refusées. » [Références omises]
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
Commentaires (0)
L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.