La Cour d’appel se prononce dans l’affaire Buesco : l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont a droit à des dommages-intérêts à la suite de la résiliation du contrat
Par Audrey-Anne Guay
Par Audrey-Anne Guay
Certains attendaient l’arrêt Hôpital Maisonneuve-Rosemont c. Buesco Construction inc., 2016 QCCA 739 avec impatience. Ils pensaient y trouver une analyse de la Cour quant à la possibilité de cumuler les recours en résiliation (résiliation unilatérale et résiliation-sanction du contrat). Meilleure chance la prochaine fois ; la Cour a déterminé qu’il n’était pas nécessaire de trancher la question aux fins de cette cause. Le jugement demeure toutefois intéressant puisque la Cour d’appel reprend l’analyse de ce que constitue l’abus de droit dans un contexte contractuel.
Contexte
En première instance, le Tribunal a été d’avis que bien que des manquements graves de la part de Buesco aient ouvert la porte à la résiliation-sanction prévue au contrat, l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (« HMR ») avait eu un comportement abusif dans l’exécution de son contrat avec Buesco Construction inc. (« Buesco »), le privant ainsi de son recours en dommages-intérêts. Reprenons les faits importants :
Buesco s’est vu octroyée le contrat du projet de construction du centre ambulatoire de HMR, ayant été le plus bas soumissionnaire conforme. Lors de la deuxième réunion de chantier le 18 novembre 2002, Buesco propose un échéancier prévoyant une fin des travaux au 30 mai 2003, bien que les documents d’appel d’offres aient indiqué une date de fin des travaux au 15 avril 2003. L’échéancier est donc refusé par HMR; celui-ci demande la présentation d’un nouvel échéancier qui respecte le délai contractuel. Buesco laisse alors entendre que la date du 15 avril pourrait être impossible à respecter.
Le 2 décembre 2002, HMR demande à nouveau à Buesco de déposer un échéancier conforme, ce qui est fait quelques jours plus tard. Celui-ci est alors jugé insatisfaisant par les professionnels au projet. Buesco réaffirme le 9 décembre 2002 qu’elle est dans l’impossibilité de respecter les délais. C’est également à cette date que le problème de gel au sol est abordé.
L’échéancier et les conditions de sol seront deux éléments longuement discutés au cours du mois de décembre 2002 et janvier 2003. Il faut savoir qu’aucun entrepreneur à Montréal n’a choisi de couler du béton sur un sol gelé dans l’histoire des grandes constructions de la Ville.
Il fallait donc trouver une solution pour sauver le projet. Le 13 janvier 2003, Buesco propose de mettre en place des étais sur le sol et de dégeler les endroits nécessaires pour l’installation de ce système. Les professionnels demandent à Buesco de mettre par écrit cette solution.
Le 14 janvier 2003, une première mise en demeure est envoyée par HMR à Buesco pour défaut de produire un échéancier acceptable, ceci représentant selon lui un manquement grave. Il lui donne quatre jours pour régler la situation.
Buesco présente sa solution quant au sol aux professionnels mais celle-ci consiste maintenant à couler la dalle structurale sur un sol gelé. Le dégel du sol ne fait plus partie de la solution envisagée. Les professionnels refusent cette proposition.
Le 23 janvier 2003, une deuxième mise en demeure est envoyée par HMR à Buesco. Celle-ci vise toujours l’absence d’échéancier conforme déposé ainsi que le manquement grave à l’effet que Buesco a permis que le gel s’installe dans le sol, mettant à risque l’intégrité des structures.
Buesco répond à la mise en demeure en proposant deux solutions quant au sol gelé, l’une d’elles étant automatiquement rejetée.
Il faut savoir que les professionnels au projet travaillaient en parallèle sur la possibilité de poser des étais sur un sol gelé, en effectuant des simulations.
S’en suivent plusieurs échanges entre les professionnels et Buesco pour l’élaboration d’une méthode. Le 29 janvier 2003, des avis écrits sont transmis par HMR à Buesco quant aux attentes de HMR pour l’élaboration d’une méthode efficace par Buesco. Les résultats des simulations des professionnels sont également transmis à Buesco.
Le 30 janvier 2003, une nouvelle méthode est transmise à HMR. Celle-ci est rejetée.
Le 3 février 2003, après avoir été informé par les professionnels que les travaux ne pourront jamais être terminés pour le 15 avril, ni même le 8 mai 2003, HMR décide de résilier le contrat sur la base des manquements décrits dans la mise en demeure du 23 janvier 2003. HMR décide de se prévaloir de la résiliation-sanction prévue à la clause 57 du contrat.
Le jugement de première instance quant à l’abus de droit
Le juge de première instance a conclu que Buesco avait commis des manquements graves et n’avait pas respecté son obligation de résultat. Toutefois, il affirme que HMR a eu un comportement abusif en cours d’exécution du contrat. Cet abus, à son avis, devait donc être sanctionné par une fin de non-recevoir de la réclamation de HMR. Le juge soutient que HMR a manqué à son obligation de renseignement en refusant de lui transmettre des directives pour l’élaboration d’une nouvelle méthode pour le sol gelé alors que selon lui, il détenait toute l’information technique qui permettait à Buesco de finaliser les travaux.
« [134] […] HMR avait commis trois fautes distinctes qu’il assimile à une conduite abusive. Il les résume ainsi :
[277] […]
• Avoir rompu son entente intervenue le 28 janvier 2003 prévoyant d’une part la transmission d’une directive détaillée par PSA permettant ainsi l’élaboration d’une méthode de construction une fois les éléments techniques modifiés par PSA;
• Avoir refusé de communiquer les renseignements qu’elle détient et que PSA a mis au point afin d’apporter une solution aux problèmes vécus au chantier, soit la pose d’étais sur sol gelé;
• Ne pas avoir respecté son obligation principale, soit le paiement à son créancier des travaux exécutés et approuvés, tel que le prévoient le Contrat et la Loi » [Références omises]
Analyse
La Cour d’appel rappelle que les articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec représentent en quelque sorte la codification de la notion jurisprudentielle de l’abus de droit.
Elle rappelle également que les auteurs sur le sujet considèrent qu’il faut établir une distinction entre un comportement qui serait contraire à la bonne foi et un comportement abusif à proprement dit.
« [142] On observe donc que la doctrine réserve la théorie de l’abus de droit qu’aux cas manifestes de comportement abusif souvent qualifié par la jurisprudence d’intransigeant et d’obstiné équivalant à un usage déraisonnable des droits du créancier.
[143] En l’espèce, j’estime que, dans la présente affaire, le Juge a été trop sévère au moment de conclure que HMR avait abusé de ses droits. […]» [Références omises]
La Cour d’appel est d’avis que le juge de première instance a tiré des inférences erronées quant aux discussions relatives à la transmission d’une directive à Buesco lui indiquant les modifications techniques pour permettre l’élaboration d’une nouvelle méthode de conception pour travailler en sol gelé.
« [151] La preuve ne supporte pas l’idée que HMR a choisi de pallier l’incurie de Buesco par sa volonté d’implanter ses propres changements techniques et d’imposer une méthode de travail, soi-disant pour permettre d’œuvrer sur du sol gelé. Cette proposition devient encore plus difficile à concevoir si on prend en compte l’affirmation de Buesco selon laquelle les frais liés à ces changements seraient désormais à la charge de HMR.
[152] La prétention d’une mutation aussi draconienne dans les rapports contractuels entre les parties nécessitait une preuve convaincante de l’existence d’un consentement à une modification de cette envergure, ce que le dossier ne fait pas voir. »
Quant aux renseignements non communiqués, la Cour rappelle que l’obligation de renseignement a deux côtés. Celle-ci doit respecter un équilibre entre l’obligation d’information et celle de s’informer.
« [173] Le Juge a conclu que HMR a manqué à son obligation de renseignement. Prenant appui sur l’arrêt Bail, il estime que ceux recueillis lors des simulations devaient être communiqués à Buesco.
[174] Ces informations seraient celles contenues dans un projet de directives qui ne s’est jamais concrétisé. Le jugement ne précise toutefois pas la nature exacte de l’information manquante. La preuve fait cependant voir que les résultats des simulations ont été communiqués à l’entrepreneur dès le 29 janvier. De plus, d’autres informations pertinentes en lien avec la solution ont été transmises à Buesco […] » [Références omises]
La Cour rappelle que la notion « d’homme de l’art » évoquée par Buesco n’est pas utile dans la situation puisqu’il a été établi que « l’homme de l’art » ne possédait pas les connaissances pour établir une méthode permettant d’implanter des étais sur sol gelé. Les parties se situaient au même niveau quant à leurs connaissances sur le sujet.
« [191] Le Juge a refusé de considérer la réclamation de HMR au motif que ce dernier avait abusé de ses droits. Il avait pourtant conclu que Buesco était tenue à une obligation de résultat. Il avait aussi déterminé que le propriétaire avait en main une raison suffisante qui autorisait la résiliation de l’entente. La jurisprudence reconnaît que l’inexécution ou encore la mauvaise exécution des obligations de l’entrepreneur autorise le donneur d’ouvrage à mettre fin au contrat pour l’avenir et à réclamer une indemnité pour les dommages subis :
[10] Il est vrai que le donneur d’ouvrage peut unilatéralement résilier un contrat, sans avoir le droit d’obtenir des dommages (art. 2125 C.c.Q.). Toutefois, lorsque la résiliation a lieu pour cause, il a droit à des dommages-intérêts. En refusant d’octroyer des dommages, malgré sa détermination voulant que la résiliation ait été justifiée, la juge a commis une erreur de droit pour laquelle il faut intervenir.
[192] En l’espèce, non seulement il a été démontré que HMR détenait une cause valide de résiliation selon la loi, mais cette possibilité était également prévue à l’entente contractuelle ainsi que les conséquences susceptibles d’en découler. Il convient maintenant de revoir la question des dommages selon la responsabilité respective de HMR et de Buesco. » [Références omises]
L’appel est accueilli en partie contre Buesco et sa compagnie de caution. Celles-ci sont solidairement condamnées à payer à HMR la somme de 3 636 133,37 $. La Cour établit la condamnation de HMR à 1 510 545,75 $. Elle ordonne également que les dettes s’éteignent par compensation jusqu’à concurrence de la moindre.
La Cour s’attarde longuement dans le jugement sur l’analyse des dommages. Ce point n’a pas été traité dans ce billet, l’auteure préférant se concentrer sur l’aspect lié à l’abus de droit. Cette partie du jugement est toutefois intéressante.
La décision intégrale peut être consultée ici.
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