par
Rachel Rioux-Risi
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15 Août 2016

Arrérages de pension alimentaire : application complémentaire de l’article 17 de la Loi sur le divorce et de l’article 596 du Code civil du Québec

Par Rachel Rioux-Risi


Par
Rachel Rioux-Risi
Avocate

Monsieur
doit plus de 56 000 $, à titre d’arrérages de pension alimentaire, laquelle a
été ordonnée en 2008, suite à un divorce. Est-ce que la Cour supérieure peut
annuler le paiement d’un tel montant ? Oui, répond la Cour d’appel, dans
l’affaire Droit de la famille – 161932,
2016 QCCA 1262 et ce, sur la base de la cohabitation de l’article 596 du Code civil du Québec et de l’article 17
de la Loi sur le divorce.

Faits

Monsieur
et Madame se sont mariés en octobre 2003 et ont eu deux enfants.

Le
jugement sur le divorce est prononcé en mai 2008. Madame obtient la garde exclusive
des enfants et pour ces derniers, Monsieur est tenu au versement d’une pension
alimentaire hebdomadaire au montant de 212,88 $. Celle-ci est calculée en
fonction des revenus des parties, en 2007, soit 45 000 $ pour Monsieur et 26
000 $ pour Madame.

Par la
suite, Monsieur vit plusieurs difficultés financières. C’est ainsi qu’en
novembre 2011, il dépose une requête en modification des mesures accessoires,
afin, notamment, de réduire la pension alimentaire et obtenir l’annulation des
arrérages de pension alimentaire qui s’élève, à ce moment, à 18 088,82 $. Malheureusement,
il abandonne cette requête, car n’a pas les moyens pour payer son avocat.

Finalement,
c’est en mars 2015 que Monsieur dépose une nouvelle requête en modification des
mesures accessoires. À cette occasion, il demande la révision du montant de la
pension alimentaire et l’annulation des arrérages qui sont désormais de 56
171,11 $.

Analyse

Première
instance

La Cour
supérieure annule les arrérages dus et ce, en vertu de l’article 17 de la Loi sur le divorce (ci-après, « LD »), écartant du même coup l’article
596 du Code civil du Québec (ci-après,
« CcQ »).

À
l’instar des enseignements de la Cour d’appel du Québec, notamment, dans Droit
de la famille – 356
,
[1987]  R.J.Q. 764 (QCCA)
, la Cour supérieure est d’avis
que cette disposition ne s’applique pas en matière de divorce.

La Cour
supérieure, en vertu de l’article 17 de la LD, a un pouvoir discrétionnaire
important. Elle souligne que bien qu’à cette disposition, il ne soit pas
indiqué textuellement qu’une impossibilité d’agir doit être démontrée, comme l’article
596 du CcQ, cette condition doit être satisfaite.

Pour
plus de clarté, nous reproduisons l’article 596 du CcQ et l’article 17 de
la LD :

596. Le débiteur de qui on réclame
des arrérages peut opposer un changement dans sa condition ou celle
de son créancier survenu
depuis le jugement et être libéré de tout ou
partie de leur paiement.

Cependant,
lorsque les arrérages sont dus depuis
plus de six mois
, le débiteur ne peut être libéré de leur paiement que s’il
démontre qu’il lui a été impossible d’exercer ses recours pour obtenir une
révision
du jugement fixant la pension alimentaire.

17 (1) Le tribunal compétent peut
rendre une ordonnance qui modifie, suspend ou annule, rétroactivement ou
pour l’avenir :
a) une ordonnance alimentaire ou telle de ses dispositions,
sur demande des ex-époux ou de l’un d’eux;

[…]

(3) Le tribunal peut assortir une
ordonnance modificative des mesures qu’aurait pu comporter, sous le régime de
la présente loi, l’ordonnance dont la modification a été demandée.

(4) Avant de rendre une
ordonnance modificative de l’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant
, le tribunal s’assure qu’il est
survenu un changement de situation, selon les lignes directrices
applicables, depuis que cette ordonnance ou la dernière ordonnance modificative
de celle-ci a été rendue.

[…]

(6.1) Le tribunal qui rend une
ordonnance modificative d’une ordonnance alimentaire au profit d’un enfant la
rend conformément aux lignes
directrices applicables
.

(6.2) En rendant une ordonnance
modificative d’une ordonnance alimentaire au profit d’un enfant, le tribunal
peut, par dérogation au paragraphe (6.1), fixer un montant différent de celui
qui serait déterminé conformément aux lignes directrices applicables s’il est
convaincu, à la fois
:

a) que des dispositions spéciales
d’un jugement, d’une ordonnance ou d’une entente écrite relatifs aux
obligations financières des époux ou au partage ou au transfert de leurs biens
accordent directement ou indirectement un avantage à un enfant pour qui les
aliments sont demandés, ou que des dispositions spéciales ont été prises pour
lui accorder autrement un avantage;

b) que le montant déterminé
conformément aux lignes directrices applicables serait inéquitable eu égard à
ces dispositions.

(6.3) S’il fixe, au titre du
paragraphe (6.2), un montant qui est différent de celui qui serait déterminé
conformément aux lignes directrices applicables, le tribunal enregistre les
motifs de sa décision.

[…]

(Nos
emphases)

Cour
d’appel

La Cour
d’appel est d’avis contraire.

L’article
17 de la LD et l’article 596 du Code civil du Québec cohabitent
ensemble.

À cet
effet, la Cour d’appel explique que la Cour supérieure a appliqué des
enseignements qui ont trouvé une incompatibilité entre l’article 17 de la LD et
l’article 596 du CcQ.
En
effet, nous remarquons que le pouvoir conféré par l’article 17 de la LD est
plus étendu que celui de l’article 596 du CcQ. Plus précisément, le juge, en
vertu de l’article 17 de la LD, peut se permettre d’annuler des arrérages dus
depuis plus de six mois. Cependant, sous l’article 596 du CcQ, afin de faire de
même, la démonstration d’une impossibilité d’agir doit être réalisée.

Cependant,
depuis ces enseignements, la Cour d’appel, dans la présente affaire, souligne
qu’il y a eu des nombreuses modifications législatives faisant en sorte que
lorsqu’une pension alimentaire est déterminée pour un enfant, un juge doit
tenir compte à la fois des articles 15.1 et 17 de la LD et des articles 585 à
596.1 du CcQ.

Le
raisonnement de la Cour d’appel est construite comme suit :

[36] Comme
l’indiquent les paragraphes 4 et 6.1 de l’article 17 de la Loi sur le
divorce
, le tribunal qui rend une ordonnance modificatrice d’une
ordonnance alimentaire au profit d’un enfant la rend conformément aux lignes
directrices applicables
(sauf les exceptions prévues aux paragr. 6.2 et
s.).

[37] L’article
2 de la Loi sur le divorce a pour sa part été modifié afin d’inclure la
définition suivante des « lignes directrices applicables »
 :

2.
(1)

« lignes
directrices applicables » S’entend 
:

a) dans
le cas où les époux ou les ex-époux résident habituellement, à la date à
laquelle la demande d’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant ou la
demande modificative de celle-ci est présentée ou à la date à laquelle le
nouveau montant de l’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant doit être
fixée sous le régime de l’article 25.1, dans la même province — qui est
désignée par un décret pris en vertu du paragraphe (5) —, des textes
législatifs de celle-ci précisés dans le décret;

b) dans
les autres cas, des lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires
pour enfants.

[38] Cet
article, aux paragraphes (5) et (6), prévoit la possibilité de
désigner une province par décret
et d’y indiquer les textes législatifs
adoptés par celle-ci qui constitueront les lignes directrices applicables

dans cette province :

(5)  Le
gouverneur en conseil peut, par décret, désigner une province pour
l’application de la définition de «lignes directrices applicables» au
paragraphe (1) si la province a établi, relativement aux aliments pour enfants,
des lignes directrices complètes qui traitent des questions visées à l’article
26.1. Le décret mentionne les textes législatifs qui constituent les lignes
directrices de la province.

(6)  Les
lignes directrices de la province comprennent leurs modifications éventuelles.

[…]

[40] C’est
dans ce contexte, et particulièrement celui du paragraphe 2(5) de la Loi sur le
divorce, qu’une demande de désignation a été adressée par la province de
Québec au gouverneur en conseil
au terme d’une demande de consultation
législative auprès de l’Assemblée nationale, dont les détails ont déjà été
relatés par notre Cour dans l’affaire Droit de la famille – 139.

[41]
L’exercice a mené à l’adoption du Décret désignant la province de Québec
pour l’application de la définition de « lignes directrices
applicables » au paragraphe 2(1) de la Loi sur le divorce
(« Décret »), entré lui aussi en vigueur le
1er mai 1997, lequel prévoit :

2.  Aux
fins du paragraphe 2(5) de la Loi sur le divorce, les textes législatifs
suivants constituent les lignes directrices complètes de la province de
Québec 
:

a)  la
Loi modifiant le Code civil du Québec et le Code de procédure civile
relativement à la fixation des pensions alimentaires pour enfants, L.Q. 1996,
ch. 68;

b)  le
Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, édicté par le
décret 484-97 du 9 avril 1997;

c)  le Titre Troisième
du Livre Deuxième du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64;

d)  le
Chapitre VI.1 du Titre IV du Livre V du Code de procédure civile, L.R.Q., ch.
C-25.

[42]
L’idée sous-jacente à l’article 2, paragraphes (5) et (6) de la Loi sur le
divorce, qui prévoit la possibilité que des dispositions législatives
provinciales soient déclarées applicables en matière de divorce, est
conforme à l’idéal de fédéralisme coopératif favorisant l’application
concurrente des lois adoptées par les deux ordres de gouvernement et qui a, par
ailleurs, déjà été reconnu par la Cour suprême
[…].

[43] En somme, 
l’article 596 C.c.Q. et  les autres articles du Titre troisième du Livre
Deuxième du Code civil du Québec trouvent application en matière de divorce,
sauf exceptions prévues à la Loi sur le divorce ou incompatibilité avec
celle-ci.

(Nos
emphases)
(Références
omises)

Le texte
de la décision se trouve ici.

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