par
Rachel Rioux-Risi
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01 Août 2016

Contrat de mère porteuse conclu en Inde : demande de placement en vue de l’adoption

Par Rachel Rioux-Risi


Par Rachel Rioux-Risi
Avocate

Dans l’affaire Adoption – 1631, 2016 QCCQ 6872, il est question d’une demande de
placement en vue de l’adoption de deux enfants issus d’un contrat de mère
porteuse conclu en Inde. Analysant la question en litige, la Cour du Québec,
passe en revue la jurisprudence applicable en la matière et la doctrine publiée
à ce sujet, dressant ainsi un portrait complet. 

Faits


Un couple de même sexe, qui s’est
rencontré en décembre 1996, pour avoir des enfants, ont décidé de recourir à la
procréation assistée en Inde et ce, en vertu d’un contrat de mère porteuse,
conclut le 5 février 2012. C’est ainsi que deux jumelles sont nées en Inde.

Au certificat de naissance de ces
enfants, un seul membre du couple s’y retrouve, à titre de père biologique
(ci-après, « Monsieur B »). Pour les
fins du présent résumé, le conjoint de Monsieur B sera nommé Monsieur A. C’est ce dernier qui fait
la demande pour le placement en vue de l’adoption des enfants.

Dans le contrat de mère porteuse, signé
par la mère porteuse, son conjoint et par Monsieur B, la mère porteuse et son
conjoint renoncent à tous droits sur les enfants à naitre. Monsieur B s’engage
à verser une somme d’argent à la clinique qui agit à titre d’intermédiaire.

Suite à la naissance des enfants, la
mère porteuse a signé une déclaration assermentée dans laquelle il est
mentionné qu’elle a effectivement donné naissance à deux enfants, qu’elle a
remis ces derniers à Monsieur B, qu’elle n’a pas d’objection à ce qu’il quitte
l’Inde avec les enfants et que finalement, elle reconnait avoir reçu une
compensation financière.

En mai 2013, Monsieur B signe un
consentement spécial à l’adoption par Monsieur A. Ces derniers souhaitent
assurer une filiation complète. Ainsi en cas de décès ou de séparation,
Monsieur A aura les mêmes droits que Monsieur B. Monsieur A demande ainsi le placement en vue de son adoption des enfants. 

L’enjeu est le suivant : selon
l’article 541 du Code civil du Québec
(ci-après, « CcQ »), le contrat de
mère porteuse au Québec est nul de nullité absolue. Dans ce contexte, les
conditions relatives à l’adoption, prévues à l’article 543 du CcQ, sont-elles
satisfaites ? Est-ce qu’il est possible de permettre l’adoption par Monsieur A,
alors que les enfants sont issus d’un contrat de mère porteuse conclu en Inde ?

Analyse


Portait des dispositions applicables et
des enseignements de la jurisprudence



Débutant son analyse, la Cour dresse un
portrait des dispositions et de la jurisprudence applicables dans le cas en l’espèce.
Nous nous permettons de reproduire quelques dispositions du Code civil du
Québec :

En matière d’adoption :

543. L’adoption ne peut avoir lieu que dans l’intérêt
de l’enfant
et aux conditions prévues par la loi.
Elle ne peut avoir lieu pour confirmer
une filiation déjà établie par le sang.
544. L’enfant mineur ne peut être adopté que
si ses père et mère ou tuteur ont consenti à l’adoption ou s’il a été
déclaré judiciairement admissible à l’adoption.
555. Le consentement à l’adoption
peut être général ou spécial. Le consentement spécial ne peut être donné qu’en
faveur d’un ascendant de l’enfant, d’un parent en ligne collatérale jusqu’au
troisième degré ou du conjoint de cet ascendant ou parent; il peut également
être donné en faveur du conjoint du père ou de la mère
. Cependant,
lorsqu’il s’agit de conjoints de fait, ces derniers doivent cohabiter depuis
au moins trois ans
.
(Nos soulignements)

Relativement à l’intérêt des
enfants :

32. Tout enfant a droit à la
protection, à la sécurité et à l’attention
que ses parents ou les personnes
qui en tiennent lieu peuvent lui donner.
33. Les décisions concernant
l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits
.
Sont pris en considération, outre les
besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa
santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa
situation.
522. Tous les
enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes
obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance
.
         (Nos
soulignements)

Dès les premiers paragraphes, la Cour
souligne la présence d’un courant jurisprudentiel établi, notamment, par les
deux arrêts de la Cour d’appel suivants : Adoption
– 1445
, 2014 QCCA 1162
et Adoption
161
, 2016 QCCA 16
.

Dans le premier cas, la mère porteuse et
le père biologique se retrouvaient à l’acte de naissance. Ces derniers ont
consenti à ce que la mère d’intention, soit la conjointe du père biologique,
puisse adopter. Dans le second cas, la mère porteuse n’a pas été déclarée à
l’acte de naissance et le père biologique a consenti en faveur de son conjoint.

Nous résumons comme suit les enseignements :
bien qu’il ne fasse aucun doute qu’un contrat de mère porteuse est nul de
nullité absolue et que dans un tel cas, la mère porteuse ne peut être forcée à
poursuivre une grossesse et qu’elle ne peut être forcée à signer un
consentement à l’adoption, l’enfant issu d’un contrat de mère porteuse a les
mêmes droits qu’un autre enfant, conformément à l’article 522 du CcQ. Ce sont ses
intérêts qui doivent primer dans la décision relative à l’adoption. Ainsi, dans
le cadre d’une demande de placement en vue de l’adoption, le rôle du Tribunal
n’est pas de sanctionner ledit contrat, mais bien de s’assurer que les
conditions relatives à l’adoption sont réunies. En d’autres mots, la nullité d’un contrat de mère
porteuse ne devrait pas avoir d’impact sur le statut de l’enfant.

Dans le cas en l’espèce, le contrat de
mère porteuse a été conclu en Inde. Quel est l’effet de cela ? Revenons à l’article 543 du CcQ et aux
conditions qui y sont prévues. 

La Cour du Québec explique :

[109] […] en matière d’adoption
plusieurs auteurs et décisions des tribunaux l’ont déjà souligné, l’intérêt de
l’enfant ne suffit pas. Les règles prescrites par la loi doivent être
respectées en s’assurant du respect des conditions applicables tant à
l’adoptant qu’à l’enfant
.
(Références
omises) (Nos soulignés)

C’est ainsi que la Cour du Québec fait un tour d’horizon de la loi en Inde et au Québec. 




Législation indienne : validité du
contrat de mère porteuse



La Cour du Québec, évaluant la preuve
soumise par Monsieur A relativement aux conditions prévues par la législation
indienne, retient les éléments suivants :

[117] Le Tribunal retient donc les
aspects de la preuve soumise à cet égard :

  • Au
    moment de la démarche réalisée par le mis en cause et le requérant il y
    avait absence de loi en Inde concernant la maternité de substitution
    , cette
    pratique était plutôt encadrée par les lignes directrices préparées par
    l’ICMR (Indian Council of Medical Research);
  • Les
    cliniques de procréation assistée en Inde (ART) sont régies par des règles
    d’éthique ;
  • La
    Cour suprême de l’Inde aurait reconnu que les contrats de mère porteuse sont
    valides
    , lient les
    parties et sont exécutoires en vertu de l’Indian contract Act, 1872. Cette
    décision n’a toutefois pas été produite;
  • Au
    moment où le mis en cause et le requérant ont procédé aux démarches, un
    projet de loi sur la réglementation et la surveillance de la gestation pour
    autrui était sous étude
    ;
  • Ce
    projet prévoit que l’enfant né d’une mère porteuse est l’enfant du ou des
    parents(s) d’intention et non celui de la mère porteuse
    ;
  • Il
    y est aussi prévu que la mère porteuse devra renoncer à tous les droits
    parentaux
    , lesquels sont attribués aux parents d’intention dont les noms
    apparaîtront sur l’acte de naissance de l’enfant. L’enfant n’aura donc pas la
    citoyenneté indienne;

         (Références
omises) (Nos soulignés)

C’est ainsi que la Cour du Québec conclut que la démarche suivie par Monsieur A et Monsieur B s’inscrit dans le
cadre légal établi par l’Inde en matière de contrat de mère porteuse.

Législation québécoise : nullité du
contrat de mère porteuse


Relativement à la législation
québécoise, laquelle considère le contrat de mère porteuse nul de nullité
absolue, la Cour du Québec, à l’instar des deux arrêts de la Cour d’appel, est
d’avis que ce n’est pas son rôle de sanctionner ledit contrat ou de soulever
les questions morales ou éthiques. 

Plus précisément au cas en l’espèce, elle
ajoute :

[130]      De
plus, bien que ce contrat pourrait être déclaré nul et à l’encontre de
certaines dispositions de notre droit, il ne vient pas mettre en doute la
bonne foi du requérant et du mis en cause
qui ont agi avec transparence
dans un pays où ils ont estimé que c’était permis tout en se conformant aux
pratiques en vigueur en Inde
.

Législation québécoise : consentement
requis



Quant aux exigences entourant le consentement
dans le cas en l’espèce, prévues à l’article 555 du CcQ, Monsieur A et Monsieur
B cohabitent ensemble depuis plus de 3 ans.

L’absence de filiation maternelle ne
fait pas obstacle au consentement unique de Monsieur B et au processus d’adoption. 

Premièrement, le consentement de la mère porteuse n’est pas nécessaire, car
celle-ci ne se retrouve pas à l’acte de naissance. Deuxièmement, il a été mis
en preuve, par deux déclarations sous serment, que la mère porteuse a consenti
à ne pas déclarer sa filiation. 

Bien qu’il soit possible de remettre en doute
un tel consentement, considérant le contrat et les sommes d’argent échangées,
la Cour du Québec réitère que ce n’est pas son rôle de sanctionner le contrat,
mais bien de veiller à l’intérêt de l’enfant. L’adoption doit être distinguée
du caractère nul du contrat de mère porteuse.

Intérêt de l’enfant


La Cour du Québec s’appuie sur les
enseignements de la Cour d’appel :

[155] La
Cour d’appel, à deux occasions, a pris position au sujet de l’application du
principe de l’intérêt de l’enfant dans un pareil contexte. Elle en arrive à
la conclusion que le recours à l’ordonnance de placement en vue d’adoption
constitue la solution la moins insatisfaisante et très certainement celle qui
sert le mieux l’intérêt de l’enfant
.
(Références
omises) (Nos soulignés)
Dans le cas en l’espèce, il s’agit d’un
couple qui souhaite ardemment être parent et qui souhaite établir la filiation
à l’égard des enfants, et ce, afin d’assurer leur futur. Ces enfants habitent
avec Monsieur A et Monsieur B depuis leur naissance et la preuve démontre qu’ils
y évoluent bien.

Bien qu’il s’agisse d’un contrat de mère
porteuse et que l’adoption dans un tel contexte peut sembler être une manière
de contourner le caractère nul d’un tel contrat, il en demeure que l’intérêt
des enfants sera servi si la demande pour placement en vue de l’adoption est
accueillie.

Le texte de la décision se trouve ici.

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