Conforme ou non conforme, cette soumission?
Par Audrey-Anne Guay
Par Audrey-Anne Guay
Avocate
Bien que ce ne soit pas un
jugement basé sur les règles du Code de soumission du Bureau des soumissions
déposées du Québec (BSDQ), la décision Entreprises de réfrigération LS inc. c.
Hôpital général juif inc., 2016 QCCS 3396, demeure tout de même
intéressante en matière d’analyse de la conformité des soumissions.
La conformité des soumissions est
un sujet habituellement très sensible pour les entrepreneurs utilisateurs du
BSDQ. En effet, lors de l’octroi d’un contrat à la suite d’un dépôt de
soumissions au BSDQ, il est possible que la conformité/non-conformité de la
soumission entraîne des conséquences pécuniaires liées à une pénalité pour
infraction au Code de soumission mais entraîne également une poursuite au civil.
Dans l’éventualité d’une poursuite
civile, les entrepreneurs se retrouvent souvent en terrain inconnu, ne sachant
pas vraiment ce qu’un juge peut penser de cette situation.
Cette décision amène donc un
éclairage sur les critères mis de l’avant par les tribunaux lors de cette
analyse de conformité.
Faits
Un appel d’offres est lancé par
l’Hôpital général juif (ci-après « Hôpital »)
en décembre 2011 pour le remplacement de systèmes de ventilation d’un de ses pavillons.
Les documents d’appel d’offres prévoient que les soumissions doivent inclure en
prix séparé non inclus une unité de ventilation temporaire.
L’addenda M-1 est déposé le 7
décembre 2011, soit 8 jours avant la clôture du dépôt des soumissions au BSDQ.
Celui-ci vient modifier le Formulaire de
prix spéciaux pour changer le prix séparé non inclus de l’unité de
ventilation temporaire en prix séparé inclus.
Lors de l’ouverture des
soumissions, 9065-7610 Québec Inc. (ci-après « Air Ambiant ») se classe le plus bas soumissionnaire avec un
prix forfaitaire de 1 168 597 $. Réfrigération L.S. se classe
deuxième avec un prix forfaitaire de 1 184 300 $, soit 15 703 $
de plus que le premier.
Le rapport de compilation du BSDQ
démontre toutefois qu’Air Ambiant n’a pas soumissionné avec l’addenda M-1, ce
qui signifie que le prix de l’unité temporaire doit être additionné au prix
global.
Pour Réfrigération L.S. qui a
soumissionné en tenant compte de l’addenda M-1, le prix séparé constitue un
crédit, son prix global comprend donc l’unité temporaire.
Air Ambiant s’est rapidement
rendu compte de son erreur et a contacté les ingénieurs responsables du projet
pour expliquer que le prix séparé était bel et bien inclus malgré ce que le
formulaire de soumission laissait entendre. L’unité temporaire représente un
montant de 79 147 $ pour Air Ambiant. L’ingénieur permet donc au président
d’Air Ambiant de modifier le Formulaire
de prix spéciaux en annexe à la soumission, précisant ainsi que le prix
séparé est inclus à la soumission.
Les ingénieurs informent les
représentants de l’Hôpital de la situation tout en mentionnant qu’à leur avis,
Air Ambiant constitue le plus bas soumissionnaire conforme et le contrat
devrait lui être octroyé.
Réfrigération L.S. n’est
toutefois pas du même avis et avise l’Hôpital qu’elle est en droit de revendiquer
le contrat. Elle manifeste son intention de porter plainte au BSDQ ainsi que de
porter l’affaire devant les tribunaux civils pour faire respecter ses droits.
Malgré tout, le contrat est
octroyé à Air Ambiant.
Réfrigération L.S. réclame des
parties défenderesses – l’Hôpital et Air Ambiant – sa perte de gain sur le
contrat qui ne lui a pas été octroyé.
Analyse
La Cour doit déterminer si la
soumission déposée par Air Ambiant est conforme aux règles prévues aux
documents d’appel d’offres et si, dans la négative, l’entreprise pouvait faire
les corrections qu’elle y a apportées.
Le Tribunal rappelle les règles
contenues au Règlement sur les contrats
de travaux de construction des organismes publics qui sont applicables au
cas étudié.
Il fait également référence aux
instructions du soumissionnaire qui sont contenues aux documents d’appel
d’offres. À l’article 12, on peut lire la mention suivante :
« Sous réserve des dispositions relatives à la recevabilité, les erreurs
ou omissions en regard des documents d’appel d’offres n’entraînent pas le rejet
de la soumission, à condition que le soumissionnaire les corrige, au besoin, à
la satisfaction du Gestionnaire de projet dans les dix (10) jours d’une demande
de sa part à cet effet et que ces corrections n’aient aucune incidence sur
les prix soumis. »
(Nous soulignons)
Le Tribunal rappelle que le
traitement équitable des soumissionnaires est primordial et que le donneur
d’ouvrage doit respecter le principe d’égalité entre eux.
Aux yeux de la Cour, Air Ambiant
a clairement indiqué à sa soumission que le prix de l’unité temporaire n’est
pas inclus et qu’il constitue un supplément et ce, pour deux raisons : elle
a utilisé le formulaire de prix spéciaux fourni avant l’addenda M-1 et elle a
omis d’indiquer l’addenda à son formulaire de dépôt au BSDQ.
[40] Notons
immédiatement que n’eût été de l’émission de l’addenda M-1 le
7 décembre précédent, la soumission de Air Ambiant aurait répondu aux
exigences de l’appel d’offres. Mais puisque l’addenda M-1 a modifié
ces exigences pour dorénavant prévoir que le prix pour l’unité de ventilation
temporaire doit être inclus dans le prix de la soumission, la soumission de
Air Ambiant du 14 décembre 2011 n’était plus conforme à ce qui était
alors exigé.
[41] L’argument de
Hôpital voulant que les déclarations contenues aux paragraphes 1 a),
2 a) et 2 b) du formulaire de soumission annulent l’effet du
supplément annoncé au formulaire de prix spéciaux soumis par Air Ambiant
ne peut être retenu. Premièrement, tel qu’indiqué précédemment, le formulaire
de soumission contenait déjà ces déclarations avant que les ingénieurs-conseils
Pageau Morel n’émettent l’addenda M-1. Deuxièmement, le donneur
d’ouvrage ne peut faire fi de l’indication claire par Air Ambiant que
le coût de l’unité de ventilation temporaire constitue un supplément qui
s’ajoute au prix de la soumission de 1 168 597 $ la faisant
alors grimper à 1 247 744 $. Et ceci n’est pas sans importance
car Air Ambiant passe alors du premier au quatrième rang dans l’ordre des
soumissionnaires [Références omises]
(Nous soulignons)
La Cour considère important de
soulever le fait que lors de la modification du Formulaire de prix spéciaux par Air Ambiant, celle-ci avait pris
connaissance du rapport de compilation du BSDQ et connaissait les autres prix
déposés pour ce projet.
« [49] L’article 12
des instructions aux soumissionnaires prévoit la possibilité d’une correction
dans la soumission « sous réserve des dispositions relatives à la
recevabilité » et en autant « que ces corrections n’aient aucune
incidence sur les prix soumis ».
[50] Or,
tel qu’indiqué, la soumission ne répondait pas aux exigences relatives à sa
recevabilité car elle ne tenait pas compte des modifications apportées par l’addenda
M-1. Donc, il n’était pas possible de la corriger. » [Références
omises]
(Nous soulignons)
L’article 12 des instructions aux
soumissionnaires prévoient la possibilité de modifications de ce que la
jurisprudence a pour usage d’appeler « corrections mineures ». Il va
donc de soi que ces modifications ne visent pas celles qui auraient pour effet
d’annihiler le principe du traitement équitable des soumissionnaires.
« [59] Le Tribunal conclut donc que la soumission initiale de
Air Ambiant était irrecevable parce que non conforme aux documents
d’appel d’offres et que Hôpital ne pouvait accepter qu’elle la corrige. »
Cela dit, la deuxième partie du
jugement repose sur l’analyse de la conformité de la soumission de
Réfrigération L.S. qui a soumissionné avec des produits de substitution sans
respecter le processus d’acceptation prévu aux documents d’appel d’offres. Le
Tribunal en vient donc à la conclusion que la soumission de Réfrigération L.S.
n’est pas conforme et que l’entreprise ne pouvait légalement revendiquer le
contrat. La requête est donc rejetée.
Commentaires
Le Tribunal se lance dans
l’analyse et l’évaluation de la perte de gain de Réfrigération L.S. dans la
troisième partie du jugement, bien que cela ne soit pas nécessaire. Il est
intéressant de prendre connaissance des méthodes utilisés pour cette évaluation
et ce que le Tribunal en pense eu égard aux faits en l’espèce. À lire
également!
La décision intégrale se retrouve ici.
Très bon article