par
Audrey-Anne Guay
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15 Déc 2016

Les compagnies de caution et le refus de payer des donneurs d’ouvrage publics : quel lien existe-t-il ?

Par Audrey-Anne Guay


Par Audrey-Anne Guay
Avocate

En octobre dernier, une
décision fort intéressante de la Cour supérieure a été rendue relativement à
l’impact de la Loi 26 sur les contrats de cautionnement pour gages,
main-d’œuvre et matériaux. Il s’agit de l’affaire Investissements Hexagone inc.
(Faillite de), 6 octobre 2016.

Un
mois plus tard, l’Honorable Mark Schrager, juge à la Cour d’appel, se
prononçait sur la permission d’en appeler de ce jugement.

La
décision de première instance n’étant pas disponible en ligne, nous vous
référons à la décision Aviva compagnie d’assurances du Canada c.
Béton Brunet 2001 Inc.
, 2016 QCCA 1837.

Cela
dit, le présent billet porte principalement sur la première décision bien qu’il
sera très intéressant de suivre le dossier puisque la permission d’appeler a
été acceptée.

Cet
appel pourrait être décisif quant à la manière de traiter les dossiers
litigieux qui sont mêlés aux applications de la Loi 26 (Loi visant
principalement la récupération des sommes payées injustement à la suite de
fraudes et de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publics
) mais
également les dossiers découlant de l’après Commission Charbonneau. 

Contexte

En mars 2016, Hexagone
a entamé des procédures en vertu de la Loi sur les arrangements avec les
créanciers des compagnies
(LACC).

Une ordonnance initiale
a été accordée, suspendant ainsi toutes procédures et mesures d’exécution
contre Hexagone.

L’objectif de
l’entreprise est de mettre en place des mesures diverses afin de faciliter sa
restructuration et de percevoir des sommes dues par ses clients pour mieux
payer les sous-traitants. Ils sont plus de 140 sous-traitants impayés au
printemps 2016, totalisant une somme de plus de 25 millions de dollars.

Deux clients majeurs
d’Hexagone, la Ville de Montréal et la Ville de Laval, refusent de la payer
pour les travaux effectués. Elles accusent l’entreprise de fraude et de
manœuvre dolosive dans l’adjudication, l’attribution et la gestion de leurs
contrats.

En vertu de la Loi 26,
les Villes demandent un remboursement de sommes assez salées. Celles-ci
dépasseraient les montants dus à Hexagone par ces mêmes Villes.

En appliquant le
principe de la compensation, elles considèrent ne rien devoir à Hexagone.

Hexagone a, pour chacun
de ses contrats avec les Villes, des cautionnements pour gages, main-d’œuvre et
matériaux. Les deux compagnies de caution demandent donc, le 3 mars 2016, à
être elles aussi visées par l’ordonnance initiale et demandent la suspension
des procédures à leur endroit.

Après un refus initial,
le Tribunal accepte toutefois de prononcer une ordonnance de sauvegarde
suspendant ainsi les poursuites potentielles par les sous-traitants.

L’ordonnance initiale
et de sauvegarde ont été prorogées et renouvelées suffisamment pour être encore
en vigueur en date du présent jugement.

Les compagnies de
caution ont transmis aux sous-traitants une lettre le 29 juin 2016
leur expliquant leur position et leur refus de verser certaines sommes en vertu
des termes des cautionnements. Les Cautions invoquent le refus des Villes pour
elles-mêmes refuser de payer.

Trois motifs sont
soulevés dans cette lettre :

  • Le contrat de construction ainsi que
    l’obligation du propriétaire de payer pour les travaux effectués sont des
    éléments essentiels du contrat de cautionnement.
  • Les réclamations des Villes en vertu de la Loi
    26 n’étaient pas envisagées dans l’étendue du cautionnement.
  • Le refus de payer des Villes représente un bris
    de contrat du cautionnement.

Certains éléments constitutionnels ont été également soulevés par les Cautions, mais nous ne nous attarderons pas à ceux-ci.
Les sous-traitants ont saisi le Tribunal d’une demande pour directives et pour jugement déclaratoire.

Ils souhaitent que le Tribunal déclare :

  • Que le refus de payer par les Villes en vertu
    de la Loi 26 n’affecte en rien les obligations des Cautions envers les
    sous-traitants bénéficiant des cautionnements.
  • Que si les sous-traitants respectent les
    exigences prévues aux contrats de cautionnement applicables, que les Cautions
    ne puissent invoquer le refus des Villes d’acquitter les sommes à Hexagone afin
    de ne pas payer aux sous-traitants les sommes exigibles aux termes desdits
    cautionnements.

Analyse

Les trois motifs
évoqués par les Cautions sont analysés. Elles débutent leur argumentation en
précisant que les Villes ont l’obligation contractuelle de payer pour les
travaux effectués.

Avant toute analyse, le
Tribunal reprend le libellé de l’annexe 3 du Règlement sur les contrats de
travaux de construction des organismes publics
puisqu’il s’agit du contrat
de cautionnement. Chacune des parties au contrat de cautionnement est clarifiée
puisque les rôles ne sont pas compris de la même façon par tous :

  • Les sous-traitant de l’entrepreneur sont les créanciers.
  • Hexagone et les Cautions, solidairement, sont les débiteur.
  • Les Villes sont les donneurs d’ouvrage mais n’occupent aucun rôle particulier dans le cadre du contrat de cautionnement.

L’argument principal
des Cautions repose sur l’article 2341 C.c.Q à l’effet que le cautionnement ne
peut excéder ce qui est dû par le débiteur.

« [30] Sur ce sujet, la Lettre avance les
arguments suivants en faveur du refus de payer:

a.  Selon l’article 2341 CCQ,
l’obligation de la caution ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur
principal, que les Cautions identifient comme étant le donneur d’ouvrage. En
l’instance, les Cautions interprètent les mots «ce qui est dû par le débiteur»
à englober toutes les obligations des Villes sous les contrats de construction,
y compris et de payer pour les travaux et matériaux fournis.

b.  Les Villes ne peuvent
alléguer la compensation comme justification de ne pas payer parce que leurs
réclamations ne sont pas certaines, liquides et exigibles.

La Lettre ajoute que «Even if all of
the substantive conditions for set-off were to be met at that time, this would
not change the fact that the set-off, once effected, would have, in effect,
triggered a payment by the principal debtor which was not within the ambit of
its obligations under the principal contract, and is therefore outside the
scope of the surety’s obligations under the contract of suretyship.»
.

La Lettre conclut sur ce point en
avançant que la caution «cannot be called upon to make claimants whole where
the problem being remedied is beyond the limits of that for which the contract
of suretyship was entered into
».

Ceci semble indiquer que le refus de
paiement par les Villes ne fait pas partie des causes pour lesquelles un
sous-traitant pourrait demander paiement des cautions, qu’il y ait ou non une
clause «paiement contre paiement» dans son contrat avec Hexagone.

c.  Le refus par les
Villes de payer constitue un bris non seulement du contrat de construction mais
aussi du contrat de cautionnement, ce qui suspend l’obligation de la caution de
payer jusqu’à ce que les Villes ne paient.

La Lettre déclare que «suretyship is
fundamentally about making the creditor whole»
. Selon elle, avant que la
caution ne doive accomplir son obligation dans ce sens, le créancier (les
Villes) doit respecter intégralement les siennes, présumément en vertu du
contrat de construction. Ainsi, par l’application du principe de non
adimpleti contractus
 (article 1591 CCQ), la
caution a le droit de refuser de payer. […] » [Références omises]

Le Tribunal constate
que les Cautions sont bien mêlées quant au rôle joué par les Villes.

« [30]
[…] Il faudra éventuellement que les Cautions
choisissent le rôle qu’elles voudraient accorder au donneur d’ouvrage dans le
contrat de cautionnement: le créancier ou le débiteur. Toutefois, quelque soit
leur choix, le Tribunal serait en désaccord.
Le donneur d’ouvrage n’a pas de rôle dans un
contrat de cautionnement et surtout lorsque c’est un organisme public. Le
débiteur est l’entrepreneur général et le créancier est le sous-traitant. Le
donneur d’ouvrage (organisme public) n’y est pas partie. »

De plus, la Cour met
l’emphase sur le fait que l’annexe 3 est écrit en termes très généraux, sans
exception permettant aux compagnies de caution de refuser de remplir leurs
obligations. Comme l’annexe 3 n’est pas négociable, il ne peut y avoir de
modification aux libellés.

L’imprévisibilité de la
Loi 26 ne peut être une circonstance permettant la non-application du contrat
de cautionnement. Rien de tel n’est mentionné au contrat.

Le Tribunal accueille
la demande pour directives et jugement déclaratoire.

La
demande de permission d’en appeler

À la suite du jugement
étudié précédemment, les Cautions ont demandé la permission d’en appeler. La
demande a donc été évaluée par un juge unique de la Cour d’appel au regard des
quatre critères établis :

  1. Si le point en appel est d’importance pour la pratique
  2. Si le point en appel est d’importance pour l’action ou la procédure
  3. Si l’appel est, à sa face même, méritoire ou frivole
  4. Si l’appel gênera indûment le progrès de la demande ou des procédures

Chacun des points étant
important et devant être satisfait pour que la permission d’appeler soit
accordée.

Un point intéressant
soulevé par le juge est celui eu égard à l’importance du point pour la pratique
et le droit.

En effet, les retombées
de la Loi 26 sont nouvelles et pour le moment, encore difficiles à évaluer. Le
juge mentionne qu’il est difficilement concevable que des situations similaires
puissent être survenues auparavant. Ce ne sera toutefois probablement pas la
seule, considérant les retombées de la Commission Charbonneau et l’application
de la Loi 26.

La permission d’appeler
a été accordée. L’appel sera entendu le 7 avril 2017.

Il sera intéressant de
voir l’analyse de fond quant aux effets de la Loi 26.

La décision intégrale
en Cour d’appel se retrouve ici

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