par
Audrey-Anne Guay
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03 Juil 2017

La non-conformité d’une soumission liée au cautionnement : mineure ou majeure?

Par Audrey-Anne Guay


Par Audrey-Anne Guay

Avocate

Lorsqu’il est question d’analyse de la conformité des soumissions,
certains éléments soulèvent davantage de questionnements que d’autres. C’est le
cas, notamment, du cautionnement de soumission.

En cas de problèmes liés au cautionnement détectés dans une soumission,
s’agit-il d’une non-conformité mineure ou majeure? Le donneur d’ouvrage peut-il
passer outre?

La différence est importante puisqu’elle affecte un bon nombre de
soumissionnaires, autant le responsable de la non-conformité que ses
compétiteurs qui espèrent une décision en leur faveur.

Dans Norgéreq ltée c. Ville de Montréal, 2017 QCCS 1199, la
Cour supérieure reprend les critères d’analyse de la Cour d’appel, dans l’arrêt
Tapitec, et les applique sur une
non-conformité de cautionnement dans la mesure où le cautionnement soumis a été
souscrit par une compagnie qui ne détenait pas de permis pour exercer
l’activité de garantie au Québec et ce, malgré l’exigence des documents d’appel
d’offres.

Contexte

En 2008, la Ville de Montréal lance un appel d’offres pour la
restauration de la maçonnerie de l’Hôtel de ville et autres travaux similaires.
Considérant le caractère patrimonial du bâtiment, la Ville opte pour une
évaluation des offres basée sur la qualité des soumissionnaires et selon le
prix.

Les directives aux soumissionnaires sont partagées entre différents
documents de soumissions soit : le Cahier des clauses administratives
générales (CCAG), les Clauses administratives supplémentaires (CAS) et les Instructions
spéciales aux soumissionnaires (ISS).

Le CCAG prévoit que chaque soumission doit être accompagnée d’une
garantie équivalant à 10 % de son montant. Celle-ci peut prendre trois
formes : un chèque visé fait à l’ordre de la Ville, une lettre de garantie
bancaire irrévocable ou bien un cautionnement « conforme au formulaire 1
établi par un assureur détenant un permis d’assureur délivré par l’Inspecteur
général des institutions financières et l’autorisant à pratiquer l’activité de
garantie au sens de la Loi sur les
assurances
. » (CCAG, art. 1.2.4)

La garantie de soumission doit être accompagnée d’une lettre
d’engagement par laquelle l’assureur s’oblige à souscrire un cautionnement
d’exécution et un cautionnement pour gages, main-d’œuvre et matériaux, si la
soumission est acceptée. La lettre doit être conforme au formulaire 2 du CCAG.

Un comité d’évaluation des offres est formé par la Ville. Celui-ci est
composé de quatre personnes. À la suite de l’ouverture des quatre soumissions,
deux membres du comité s’affairent à analyser la conformité des offres avec les
exigences administratives et obligatoires.

La garantie offerte par l’entreprise L.M. Sauvé est un cautionnement
donné par la compagnie Mutuels Sompo-Division Canada inc. Lorsque le membre du
comité d’évaluation vérifie sur le site Internet de l’Autorité des marchés
financiers pour valider que cet assureur détient le permis requis, il constate
qu’Assurances Sompo du Japon détient
le permis requis. En raison de la ressemblance du nom, celui-ci conclut qu’il
s’agit de la même compagnie et donc, que Mutuels Sompo détient le permis. La
soumission de L.M. Sauvé est déclarée conforme.

Le cautionnement de Norgéreq, quant à lui, est donné par un assureur
détenant le permis mais possède une durée de 90 jours, contrairement aux 120
jours demandés. À la suite d’une demande effectuée auprès de M. Jean-Pierre
Buyle de chez Norgéreq, le cautionnement est modifié pour être valide pour une
durée conforme de 120 jours.

Du point de vue des exigences administratives, les quatre soumissions
reçues sont jugées conformes par le comité. En mai 2008, sur recommandation du
comité, la Ville octroie le contrat à L.M. Sauvé. En juin 2008, l’adjudicataire
transmet à la Ville son cautionnement d’exécution provenant de L’Unique assurances générales, un
assureur qualifié au Québec.

Norgéreq, arrivée au second rang des soumissionnaires, effectue
certaines vérifications à l’automne 2008, pour finalement découvrir que Mutuels
Sompo ne détenait pas de permis valide.

Sur ces faits, l’entreprise met en demeure la Ville de Montréal.

Analyse

Tel que mentionné précédemment, la Cour supérieure s’est basée sur le
cadre d’analyse de la Cour d’appel, dans l’arrêt Tapitec, pour rendre une décision.

En première instance de l’affaire Tapitec, la Cour avait jugé
l’irrégularité d’une des soumissions comme étant mineure puisque « le
non-respect de la condition n’avait pas eu d’incidence sur le prix de la
soumission et n’avait donc pas rompu l’équilibre entre les soumissionnaires »
(parag. 44). Cependant :

« [45] La Cour
d’appel est intervenue, précisant qu’il ne fallait pas seulement s’attarder à
l’effet du non-respect de la condition sur le prix des soumissions, mais aussi
sur l’impact que ce manquement peut avoir quant à l’intégrité même du processus
d’appel d’offres. En effet, si une exigence est expressément ou implicitement
obligatoire, les entreprises qui n’y satisfont pas peuvent décider de ne pas
soumissionner, estimant ne pas avoir de chance d’obtenir le contrat. À
l’inverse, celles qui dépensent temps et argent pour soumissionner sont en
droit de s’attendre à ce que le contrat ne soit octroyé qu’à des entreprises
qui satisfont à une telle exigence. »

[…]

[47]  La Cour d’appel a ainsi résumé les principes devant guider
l’analyse :

[13] L’obligation de
n’accorder le contrat qu’à un soumissionnaire qui présente une soumission
conforme découle implicitement du contrat intervenu entre l’auteur de l’appel
d’offres et tous les soumissionnaires. L’auteur de l’appel d’offres doit
évaluer les soumissions de manière équitable et uniforme afin d’éviter qu’un
soumissionnaire soit avantagé par rapport à un autre.

[14] Le principe d’égalité
entre les soumissionnaires tire son fondement du fait qu’en l’absence de cette
obligation implicite, aucun soumissionnaire raisonnable ne s’exposerait aux
risques inhérents à un appel d’offres si le donneur d’ouvrage « peut, dans
les faits, contourner ce processus et accepter une soumission non
conforme ».

[15] Par ailleurs,
l’exigence que seules soient examinées les soumissions conformes est également
« un élément favorisant l’intégrité et l’efficacité commerciale du
processus d’appel d’offres ».

[16] L’évaluation des
soumissions dans le cadre d’un système de pondération (par opposition à la
soumission la plus basse) n’élimine pas l’obligation pour la municipalité d’en
évaluer la conformité. Comme c’est le cas pour les contrats attribués au plus
bas soumissionnaire, la municipalité doit rejeter une soumission qui contient
une irrégularité sur un élément essentiel. Par contre, le système de
pondération permet à un corps public d’évaluer les divers éléments qu’il
indique dans les documents d’appel d’offres et d’accorder le nombre de points
qu’il juge approprié pour chacun des critères.

[48] La Cour poursuit en
indiquant les critères permettant de distinguer les irrégularités majeures (qui
doivent mener au rejet de la soumission) de celles qui sont mineures (et pour
lesquelles le donneur d’ouvrage jouit d’une certaine discrétion). Se fondant
sur ce que proposent les auteurs Giroux et Jobidon, la Cour d’appel indique
qu’il y a lieu à cet égard de se poser les questions suivantes :
« 1) l’exigence
est-elle d’ordre public ? 2) les documents d’appel d’offres indiquent-ils
expressément que l’exigence constitue un élément essentiel ? et 3) à la lumière
des usages, des obligations implicites et de l’intention des parties,
l’exigence traduit-elle un élément essentiel ou accessoire de l’appel
d’offres? ».

[49] Bref, il s’agit de voir
si l’exigence en cause s’impose tant à l’auteur de l’appel d’offres
qu’aux soumissionnaires qui désirent tenter leur chance ou si elle ne revêt
qu’une importance relative, secondaire, avec la conséquence que le donneur
d’ouvrage peut renoncer à l’appliquer dans toute sa rigueur. En ce domaine, les
documents de l’appel d’offres et les circonstances de l’affaire revêtent une
grande importance, chaque dossier étant un cas d’espèce. » [Références
omises]

Le Tribunal
applique donc l’ensemble de ces critères au présent litige et conclut qu’il
s’agit d’une irrégularité majeure qui aurait dû mener à la disqualification de
L.M. Sauvé.

Son premier
constat est que le langage utilisé dans les documents d’appel d’offres est
impératif. Il y va ensuite avec l’objectif derrière l’obligation d’un
cautionnement de soumission :

« [58] Une garantie de soumission sert
à éviter qu’un soumissionnaire présente une offre à très bas prix, réalise
ensuite que l’affaire risque de ne pas être avantageuse et cherche alors à se
retirer du processus. La garantie de soumission incite les soumissionnaires à
présenter des offres sérieuses et qui ont été élaborées avec soin, ce qui
permet le jeu de la concurrence tout en favorisant le principe d’égalité des
soumissionnaires. Le moyen d’atteindre cet objectif est de procurer au donneur
d’ouvrage, advenant que le soumissionnaire retire son offre, un moyen simple et efficace d’être indemnisé des dommages en
résultant. C’est précisément pour cela que, selon le CCAG, la garantie doit
prendre la forme d’un chèque visé ou d’un engagement bancaire irrévocable d’une
institution financière située au Québec ou encore d’un cautionnement émis par
un assureur étant autorisé à exercer l’activité de garantie au Québec.

[59]  Dans son ouvrage
sur les Contrats municipaux
par demande de soumissions
, l’auteur André Langlois indique, jurisprudence
à l’appui, que les tribunaux considèrent généralement que lorsque les garanties
financières exigées dans les documents d’appel d’offres ne sont pas fournies,
la soumission doit être rejetée, car il s’agit là d’une irrégularité majeure.
Il ajoute qu’il en est de même « du défaut de garantir ses engagements
financiers par une entreprise de cautionnement offrant des conditions sérieuses
de solvabilité ou de fournir un engagement signé d’une telle entreprise. »

[…] offrir
un cautionnement par une personne qui ne possède pas le permis exigé pour
exercer au Québec l’activité de garantie équivaut à ne pas en fournir du tout.
En effet, un tel cautionnement n’offre aucune garantie sérieuse au donneur d’ouvrage qu’il disposera
d’un moyen simple et efficace d’être indemnisé advenant que le
soumissionnaire retire son offre. Un tel cautionnement ne satisfait donc pas
aux objectifs visés par l’exigence d’une garantie de soumission, laquelle est
impérative selon les documents d’appel d’offres. »

[…]

« [65] La situation est donc fondamentalement différente de celle qui peut
survenir lorsqu’un cautionnement de soumission essentiellement conforme aux
exigences est fourni, mais que le montant de celui-ci est légèrement inférieur
à ce qui est requis. En un tel cas, l’irrégularité peut être considérée comme
mineure puisque l’objectif visé par la garantie est substantiellement atteint
par celle offerte[34].

[66] Au surplus, ce n’est pas
parce que la Ville a décidé de passer outre à l’exigence que le cautionnement
de L.M. Sauvé a été jugé conforme, mais uniquement parce que M. Paradis a
cru (erronément) que Mutuels Sompo était la même entité qu’une autre qui
détenait le permis requis et dont le nom contenait également le vocable
« Sompo ».

[67] C’est donc sur la base
de ce raisonnement fautif et de cette vérification bâclée que le cautionnement
accompagnant la soumission de L.M. Sauvé a été jugé conforme par le comité.

[68] Même si le Tribunal n’a
aucun doute que cette erreur a été commise de bonne foi et non pas dans le but
d’avantager indûment L.M. Sauvé, il demeure que cette erreur est susceptible
d’engager la responsabilité de la Ville pour avoir octroyé le contrat à un
soumissionnaire dont l’offre était entachée d’une irrégularité majeure[35].

[69] En octroyant le contrat
à L.M. Sauvé, la Ville a donc manqué à ses obligations contractuelles envers
les autres soumissionnaires. » [Références omises]

Cela dit, le
Tribunal s’est penchée sur la conformité de la soumission de Norgéreq pour
vérifier si le contrat lui aurait été attribué à la suite de la
disqualification de L.M. Sauvé.

Pour des raisons
que nous n’énumérerons pas ici, la soumission de Norgéreq a été déclarée non
conforme par le Tribunal.

Un passage de la
décision portant sur la déférence de la Cour est toutefois fort
intéressant :

« [103] Il est vrai que la
Cour d’appel dans l’arrêt L’immobilière a mis en garde les tribunaux de ne pas
substituer leur opinion à celle du comité chargé d’évaluer les soumissions,
puisqu’une telle évaluation est de nature subjective et sujette à discussion.
Ce n’est donc qu’en présence d’ « incohérences
significatives »
 ou
lorsque les conclusions du comité relèvent « de la fantaisie, du
caprice, de l’ignorance volontaire, du bon plaisir ou de la négligence
 »
que le tribunal peut intervenir.

[104] Cependant, en
l’espèce, ce n’est pas l’évaluation qualitative du comité qui est remise en
cause (c-à-d. les points attribués à chacune des soumissions selon la grille d’analyse),
mais bien la vérification de
la conformité de la soumission
, ce qui est une tout autre question.

[105] Comme l’a dit le juge
de première instance dans l’affaire Tapitec,
« la conformité est une question objective et [non] pas une question
« subjective, approximative et sujette à discussion » où le Tribunal
doit faire preuve de prudence
 ». Or, non seulement la Cour d’appel n’a
nullement remis en cause cette affirmation, mais elle est précisément
intervenue pour déclarer non conforme la soumission que le comité de sélection
(et le juge de première instance) avait jugée conforme. Et il n’est nullement
question dans l’arrêt Tapitec de prudence ou de déférence envers les
décisions du comité quant à la
conformité de la soumission
, bien au contraire. » [Références omises]

La Cour conclut
que Norgéreq n’avait pas le droit de se voir octroyer le contrat faisant
l’objet de l’appel d’offres. Le recours en dommages est donc rejeté.

La décision intégrale se retrouve ici.

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