La responsabilité du promettant acheteur : l’obligation précontractuelle d’information
Par Sophie Lecomte, avocate
Par Sophie Lecomte
Avocate
La Cour supérieure, dans l’arrêt Junon Inc. c. 9247-3974 Québec Inc. 2016 QCCS 4697, s’est
penchée sur la question de la responsabilité du promettant
acheteur lors de la non-réalisation de la vente.
La jurisprudence impose, sur le
fondement du devoir de bonne foi, une obligation précontractuelle d’information
à la charge de la partie qui connaît une information dont l’importance est
déterminante pour le consentement de l’autre dès lors que, légitimement, cette
dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Faits
Le 5 octobre 2011, 9247-3974 Québec
Inc. (ci-après : la défenderesse) soumet à Junon Inc. (ci-après :
la demanderesse) une offre d’achat pour son immeuble commercial.
L’intention de la défenderesse d’établir une usine d’asphalte sur l’immeuble
n’est pas divulguée à la demanderesse lors des discussions.
Le 6 octobre 2011, la demanderesse
accepte cette offre (ci-après : le contrat). La clause 5.4 du contrat prévoit que si
la défenderesse n’est pas satisfaite, à son entière discrétion, du résultat de
l’un de ses examens, vérifications ou inspections ou du zonage affectant
l’immeuble, elle peut transmettre avant l’expiration du délai de 60 jours un
avis à la demanderesse à cet égard. La demanderesse ayant dès lors un délai de
10 jours pour remédier au problème dénoncé. Ce n’est que le 60ème jour
suivant la signature du contrat, que la défenderesse a avisé la demanderesse de
son insatisfaction à l’égard du zonage.
La demanderesse intente un recours en
dommages contre la défenderesse suite au retrait par cette dernière d’une offre
d’achat d’un immeuble, acceptée par la demanderesse.
Décision et analyse
La défenderesse a-t-elle agi de
mauvaise foi en ne divulguant pas à la demanderesse ses intentions quant à
l’usage de l’immeuble et l’importance du zonage à cet égard ?
La Cour répond par la positive à cette
question.
[41] Dans les faits, le 60ème jour
suivant la signature du contrat donc quelques heures avant l’expiration du
délai d’examen, 9247 avise sa cocontractante de son insatisfaction à l’égard du
zonage, sans pour autant offrir à Junon la possibilité d’y remédier dans un
délai de 10 jours.
[42] 9247 ne contrevient pas à la clause 5.4
du contrat puisqu’elle transmet son avis avant l’expiration du délai de 60
jours. Junon pouvait dès lors se prévaloir du délai de 10 jours pour remédier
au problème dénoncé.
[44] 9247 sait d’ailleurs fort bien,
lorsqu’elle négocie les clauses contractuelles avec Junon, qu’un délai de 10
jours ne permettra pas à Junon de procéder à quelque démarche que ce soit afin
d’obtenir une modification du zonage.
[45] Par
conséquent, non seulement 9247 ne dévoile-t-elle pas à Junon qu’un zonage
industriel lourd est nécessaire pour la réalisation de son projet mais de plus,
elle prive sciemment Junon du délai contractuel de 10 jours, sachant fort
bien qu’aucune démarche ne permettrait dans un délai aussi court d’apporter une
modification au zonage en vigueur.
[46] Cet élément contribue à la démonstration,
selon la prépondérance de preuve, que 9247 ne s’est pas conduite de bonne
foi envers Junon. (Nous soulignons)
La défenderesse a-t-elle causé des
dommages à la demanderesse et le cas échéant, quelle est la valeur de ceux-ci ?
La Cour rappelle le principe de la
responsabilité du promettant acheteur lors de la
non-réalisation de la vente. Il devra verser des dommages-intérêts au vendeur,
représentant l’indemnisation pour le préjudice direct et immédiat subi par le
vendeur. Les dommages-intérêts compenseront la perte
subie et le gain dont le vendeur est privé.
[48] Junon allègue avoir subi les dommages
suivants :
a) Frais d’opération pour 60 jours :
56 254,28 $ (ces frais sont composés des taxes foncières et
scolaires, coûts d’électricité et de chauffage, frais d’entretien de
l’équipement de ventilation et de la génératrice, assurance bâtiment et
intérêts sur l’hypothèque calculés pour la période d’examen de 60 jours)
b) Frais de notaire : 750 $
c) Frais d’avocats : 2 000 $
d) Troubles, inconvénients et honoraires
extrajudiciaires : 30 000 $
En l’espèce, la Cour relève que la
preuve ne démontre pas que les frais d’opération de l’immeuble soient
directement engagés par la demanderesse en raison de la faute reprochée à la
défenderesse. De plus, pendant cette période, la demanderesse pouvait continuer
à recevoir de nouvelles offres de location de l’immeuble jusqu’à sa vente.
Quant au remboursement des honoraires extrajudiciaires, la demande est aussi
rejetée par la Cour.
[52] La preuve ne démontre pas que les frais
d’opération de l’immeuble soient directement engagés par Junon en raison de la
faute reprochée à 9247. N’eut été du contrat et de la période d’examen de 60
jours, rien ne permet de conclure que Junon aurait été en mesure d’éviter de
telles dépenses. Elle ne démontre pas avoir reçu d’autres propositions
concrètes d’achat ou de location avant ou au cours de la période d’examen,
d’autant plus que l’immeuble n’a finalement été loué que cinq ou six mois
suivant la rupture du contrat. L’immeuble était offert pour la location ou
l’achat depuis la fin de l’année 2010.
[53] De plus, il est prévu au contrat que Junon
peut continuer de recevoir de nouvelles offres de location de l’immeuble
jusqu’à la séance de clôture mais qu’elle ne peut en accepter aucune sans
obtenir le consentement écrit préalable de 9247. Il est
également convenu entre les parties que Junon doit maintenir l’immeuble dans sa
condition actuelle et en bon état d’entretien, conduire ses opérations usuelles
relatives à l’immeuble et ne pas mettre un terme aux contrats de services
relatifs à celui-ci.
[54] Les charges de l’immeuble demeurent ainsi
sous la responsabilité de Junon au cours de la période d’examen et la preuve
qu’elle aurait évité de telles dépenses, n’eut été de la signature du contrat
avec 9247 ou des fautes reprochées à celle-ci, n’est pas établie. Cette portion
de la réclamation est rejetée.
La Cour accueille la portion de
réclamation de la demanderesse portant sur les troubles et inconvénients
qu’elle a subis. En effet, la preuve par témoignage est convaincante à l’effet
que la demanderesse n’aurait pas accepté de signer l’offre soumise par le
défendeur si elle avait été informée des intentions de celle-ci quant à l’usage
de l’immeuble ou à tout le moins des exigences relatives au zonage requises.
[55] Eu égard aux troubles et inconvénients, la
preuve testimoniale révèle que les circonstances entourant la négociation du
contrat avec 9247 et la période d’examen ont requis de la part des
administrateurs de Junon des démarches, visites,
correspondances, entretiens et rencontres qu’ils n’auraient pas effectués s’ils
avaient été avisés des intentions de 9247. M. Chagnon confirme la disponibilité
et la collaboration de Junon lors de ces étapes. Ces troubles et
inconvénients sont évalués à un montant de 15 000 $, somme qui paraît
raisonnable à la lumière de la preuve.
[56] Les honoraires du notaire et d’avocats
défrayés par Junon pour la révision du contrat, totalisant 2 750 $,
constituent également des dommages directs et sont accordés.
Le texte de
la décision intégrale se trouve ici.
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