par
Élène Moussa
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31 Oct 2016

Lupien c. Aumont : Recours en responsabilité civile à l’encontre de policiers

Par Élène Moussa


Par Élène Moussa
Avocate

Dans Lupien c. Aumont, 2016
QCCS 5050, la Cour supérieure se penche sur une poursuite intentée par monsieur
Lupien à l’égard de trois policiers de la ville de Sainte-Adèle (ci-après « la Ville »).

Selon lui, ceux-ci l’auraient arrêté
sans motif raisonnable, auraient abusé de la force lors de son arrestation et
de leur autorité en portant contre lui une accusation injustifiée d’entrave au
travail des policiers.

Ainsi, des dommages de 276 142,29 $
sont réclamés pour les frais légaux engagés, l’humiliation vécue et à titre de
dommages punitifs.

 Faits

Cette altercation avec les policiers
a fait suite aux évènements suivants.

Monsieur Lupien contacte Toitures Alto,
entrepreneur, afin de réparer le toit de sa nouvelle demeure qui serait touchée
par un problème d’infiltration d’eau. Monsieur Hivon, employé à l’entreprise, se
présente afin d’accomplir les travaux souhaitées.

Monsieur Lupien, insatisfait des travaux ainsi
apportés et après une altercation verbale, demande à ce dernier de quitter les
lieux de son domicile. Il exige également que monsieur Hivon « laisse son
véhicule sur place en gage de l’exécution satisfaisante des travaux » (par. 8).

Tentant en vain de récupérer le véhicule le
lendemain, le dirigeant de Toitures Alto communique avec les services de police
qui lui recommandent de formuler une plainte pour vol. C’est ce que le
dirigeant de Toitures Alto a fait, dès le lendemain.

Suite à cette plainte de vol, les policiers obtiennent
un télé-mandat de perquisition, car ils ont des motifs raisonnables de croire
que le véhicule se trouve sur la propriété de monsieur Lupien en raison du
localisateur dont est muni ce véhicule.

La perquisition se déroule sur une longue
période, car les clés pour le véhicule sont introuvables et qu’un double doit
être confectionné.

Durant la durée totale de la perquisition, Monsieur
Lupien prend des photographies des policiers par l’entremise de son téléphone
cellulaire, ce qui exaspère les agents. De plus, une caméra de surveillance
située sur le terrain de monsieur enregistre la scène sans que les policiers
n’en soient au courant.

En outre, « pendant la longue période d’attente
du double des clefs, Lupien tourne autour des policiers et du camion à maintes
reprises. […] Les policiers ont l’impression que Lupien s’immisce dans la
perquisition et cherche à en prendre le contrôle.  Pour sa part, Lupien considère l’opération
policière interminable et abusive. » (par. 28)

Également, toujours durant l’attente du double
des clés, monsieur Lupien indique aux policiers que s’ils ne quittent pas sa
demeure dans les 5 prochaines minutes, il poussera le véhicule concerné à
l’aide de son tracteur. Les policiers lui demandent alors de s’éloigner, ce
qu’il fait tel que l’on peut le constater à la vidéo enregistrée des
évènements, pour ensuite se rapprocher à nouveau. À ce moment, deux policiers
agrippent ses poignets et les lui menottent derrière la tête.

Monsieur Lupien est conduit au poste de police.
Il est détenu pendant quelques heures pour ensuite être conduit à l’hôpital en
raison d’un malaise. On lui offre de signer une promesse de comparaître ce
qu’il refuse de faire après une discussion avec son avocat.  

Par conséquent, il demeure à l’hôpital pendant
près de 10 heures. Finalement, il accepte les termes de ladite promesse et est
libéré. Il sera accusé d’entrave.

Il a donc été détenu au total pendant 12 heures
et a été fouillé à nu avant d’être conduit à l’hôpital.

Finalement, le véhicule concerné a été remis au
propriétaire après réception d’un double des clés.

Est-ce que les policiers ont commis faute
civile dans l’exercice de leurs fonctions? Est-ce que cette faute a un lien causal
permettant l’octroi de dommages au montant de 276 142,29 $ ?

Analyse

Sous la plume de l’Honorable
Lalonde, la Cour supérieure rappelle les principes applicables dénotés dans
l’arrêt de la Cour suprême du Canada Hill c. Commission
des services policiers de la municipalité de Hamilton-Wentworth
, [2007] 3 R.C.S. 129.

Ainsi, la Cour y
avait statué que :

« la norme de diligence applicable est la norme générale du policier raisonnable placé dans la même situation.
[…] Comme les autres professionnels, le
policier peut exercer son pouvoir discrétionnaire comme il le juge opportun, à
condition de respecter les limites de la raisonnabilité.
» (par. 73). (Nos
emphases)

De plus, en ce qui concerne
l’infraction d’entrave prévue à l’article 129 du Code criminel, à laquelle fait
face Monsieur Lupien, le juge reprend les propos de la Cour d’appel dans
l’affaire Lacombe c. André, 2003 R.J.Q. 720 (C.A.) :

« L’enquête policière doit, bien évidemment, être faite de bonne foi.  Elle doit aussi être sérieuse.  Les policiers doivent évaluer tant les éléments
inculpatoires que disculpatoires
, les
pondérer et rester objectifs
quant aux conclusions de leur enquête pour
identifier l’existence de motifs raisonnables et probables. »  (par. 44) (Nos emphases)

Plusieurs éléments sont donc
considérés par la Cour supérieure dans son analyse du comportement des
policiers.

Relativement à l’accusation de vol
et recel et à la réquisition d’un mandat de perquisition

Le tribunal constate que monsieur
Lupien n’avait aucun droit de dépossession à l’égard du camion de Toitures Alto
et que tous les faits confirmaient la présence de celui-ci sur son terrain
(dont le localisateur).

Ainsi, les policiers avaient les
motifs raisonnables et probables de croire au fait que le véhicule était illégalement
approprié par monsieur Lupien de sorte que la demande d’un mandat de
perquisition était justifiée et non arbitraire tel que soumis par le demandeur.

En surplus, la Cour estime que
monsieur Lupien a commis une faute contributoire à 1/3 lorsqu’il a voulu se
faire justifie soi-même en retenant le véhicule.

Relativement à la mise en accusation
du demandeur pour entrave au travail des policiers

Bien que le comportement de monsieur
Lupien durant la perquisition démontre qu’il essaie de se mêler au travail des
policiers, notamment en leur proposant de pousser le véhicule en bas de la
pente de son terrain avec l’aide de son tracteur, le tribunal estime qu’il ne
s’agit d’une entrave à proprement parler.

En effet :

« Le
Tribunal est d’avis que le policier
Aumont a manqué d’objectivité et d’impartialité en arrêtant Lupien
alors
qu’il revenait vers lui et ce, même si Lupien avait été sommé de
s’éloigner.  Les images démontrent que l’attitude de Lupien était relativement
passive et non empreinte d’agressivité

Il faisait exactement ce que les policiers l’ont laissé faire depuis
leur arrivée.  Aucun fait culminant ne permet de conclure que Lupien cherchait
volontairement à entraver le travail des policiers
dans l’exécution de
leurs fonctions. » (par. 55)
(Nos emphases)

Ainsi, le tribunal estime que les policiers ont
commis une faute simple, car ils ont manqué d’objectivité et d’impartialité.

De plus, les menottes, en l’espèce, n’étaient
pas justifiées alors que les policiers n’étaient pas en présence d’une menace
pour leur sécurité.

De la sorte, la Cour conclue que dans
l’ensemble de la conduite des policiers, la faute a contribué à 1/3 des dommages
subis par le demandeur.



Relativement
à la détention du demandeur

Monsieur Lupien a passé 12 heures en
détention partiellement en raison de son entêtement de ne pas signer la
promesse de comparaitre.

Par conséquent, il est déterminé que
sa faute contributoire équivaut à 1/3 des dommages subis.



Dommages réclamés

En regard des dommages subis par monsieur
Lupien, ils sont réclamés pour deux éléments soit, tout d’abord, pour « avoir subi un procès injustifié, puis [pour]
l’humiliation qui découle de l’arrestation et des accusations criminelles
afférentes. » (par. 70)

En raison de la difficulté engendrée pour déterminer le quantum des
honoraires demandés, ceux-ci étant appuyés par multiples factures totalisant
plus de 100 000 $, et ce, dans le cadre de plusieurs dossiers, le tribunal
estime qu’un total de 6 000 $ sera accordé en l’espèce.

De plus, 12 000 $ seront nécessaires pour compenser l’angoisse et le
stress, notamment, en raison de l’humiliation vécue par monsieur Lupien.

De plus, en ce qui concerne les dommages punitifs, aucune preuve ne
corrobore le critère voulant que l’atteinte faite par les policiers doive être
illicite et intentionnée. Ils ne sont donc pas accordés.

Les policiers sont condamnés solidairement et la Ville l’est
conjointement à ceux-ci.

Finalement, le recours étant abusif pour plusieurs motifs, le tribunal
indique que le demandeur devra supporter en entier les frais de justice
encourus et lui refuse l’indemnité additionnelle.

Conclusion

Puisque la responsabilité est partagée entre les policiers et le
demandeur selon une proportion 2/3-1/3, la Cour supérieure condamne
solidairement les défendeurs et conjointement la Ville à verser la somme de 6
000 $ à monsieur Lupien avec les entiers frais de justice contre ce dernier.

Le texte intégral de la décision
est disponible ici.

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