Droit de la famille : contestation de la filiation de la part du père biologique
Par Rachel Rioux-Risi
Par Rachel Rioux-Risi
Avocate
Dans la décision Droit de la
famille — 162757, 2016 QCCS 5517, la Cour supérieure est saisie d’une
demande de contestation de la filiation d’un homme à l’égard d’un enfant de la
part du père biologique.
Faits
Madame est en couple avec le défendeur depuis 2011.
En 2013, Madame donne naissance à un enfant.
Le défendeur est présent à l’accouchement
et il est mentionné à titre de père dans la déclaration de naissance et au
certificat de naissance. L’enfant porte même son nom de famille.
Suite à des photos de l’enfant publiées sur Facebook, le demandeur
contacte Madame afin de lui demander s’il est le père de l’enfant.
C’est alors que Madame demande au défendeur, son conjoint, de
faire un test ADN. Bien entendu, elle lui cache les raisons de ce test. Malheureusement,
le demandeur n’est pas le père biologique de l’enfant. Elle lui annonce.
Ce dernier, sur Facebook, publie un texte dans lequel il indique qu’il
n’est pas le père de l’enfant et qu’il s’est fait trompé par Madame. Il
communique avec le demandeur afin de le féliciter.
Toutefois, quelques heures plus tard, il se rétracte et indique qu’il
entend démontrer qu’il est le père dans les faits.
Qu’en est-il ?
Analyse
La Cour supérieure rappelle les principes relatifs à la filiation.
Conformément à l’article 523 du Code civil du Québec,
elle se prouve par l’acte de naissance. À défaut de ce titre, elle se prouve par la
possession constante d’état, soit des faits qui tendent à démontrer un rapport
de filiation entre l’enfant et les personnes dont on le dit issu. Cela est
prévu à l’article 542 du Code civil.
Cela étant dit, il n’est pas possible de contester la filiation d’une
personne qui se retrouve à l’acte de naissance et qui a une possession d’état
conforme à cet acte. C’est inattaquable :
[25] La Cour d’appel, dans Droit de la
famille-09358, rappelle que le législateur a choisi de conférer à celui qui a
une possession d’état conforme à son acte de naissance une filiation qui ne
peut être contestée d’aucune façon. Il découle de ce choix que le titre
accompagné de la possession d’état conforme ne laisse aucune place pour la
réalité biologique, advenant que l’on puisse prouver à l’aide d’un test d’ADN
que le nom du père inscrit sur l’acte de naissance n’est pas celui du père
biologique de l’enfant. Il a ainsi préféré la stabilité des familles
plutôt qu’à la réalité biologique. Pour illustrer ce principe, la Cour
d’appel prend l’exemple d’une mère abandonnée pendant sa grossesse par le père
biologique. Elle peut, par la suite, rencontrer un homme avec lequel elle
établit une relation amoureuse. Lors de la naissance de l’enfant, les parties
conviennent alors d’inscrire le nom de ce nouveau conjoint comme étant le père
de l’enfant et ce dernier se comporte par la suite comme tel. Dans cette
hypothèse, l’article 530 du C.c.Q prévoit qu’on ne peut remettre en question la
filiation établie. Cet exemple démontre bien l’intention du législateur de
faire primer l’acte de naissance conforme à une possession d’état sur la
réalité biologique.
(Nous soulignons) (Références omises)
Trois conditions doivent être réunies pour être
en présence d’une possession d’état constante :
(1) L’enfant porte le nom de celui qui invoque la possession d’état ;
(2) L’enfant a toujours été traité par ce dernier ;
(3) Ce dernier a toujours été considéré comme le parent de cet enfant par
la famille et la société.
Dans le cas en l’espèce, la Cour supérieure a
considéré que les deux premières conditions étaient satisfaites.
Quant à la troisième, elle a fait l’objet d’un
débat entre le demandeur et le défendeur.
L’analyse de la Cour supérieure a été la
suivante :
[36] En l’espèce, la preuve révèle que
le défendeur a toujours agi comme étant le père de l’enfant, tant à la garderie
qu’à ses activités parascolaires, tels les cours que l’enfant suit à l’École A.
[37] Toutefois, le 22 juin 2013, suite à
l’annonce de Madame qu’il n’est pas le père génétique, le défendeur avise sa
mère ainsi que son frère et sa sœur de la situation. Personne ne lui
reparle de ce fait. Quant à Madame, elle a avisé uniquement sa mère. Elle
ajoute qu’il n’était pas nécessaire que cela se sache, préférant attendre le
déroulement des évènements. Suite à la réception des procédures, elle avise
également le médecin de l’enfant afin de vérifier certaines dates.
[38] À ce sujet, notre cour rappelle que
le fait que l’un des parents ait révélé à quelques personnes de l’entourage,
sous le sceau du secret, que l’enfant n’est pas celui de l’autre, n’est pas de
nature à faire disparaître la possession d’état lorsque ces révélations
sont faites « de façon à ne pas déranger ou à ne pas remettre en question
le scénario officiel » dans lequel ce parent jouait le rôle de père, car
la possession d’état se fonde justement sur les faits et gestes de ceux qui se
comportent comme des parents « au vu et au su de tous ».
[39] Certes, la famille rapprochée est au
courant que le défendeur n’est pas le père génétique de l’enfant, mais ces
derniers se sont toujours comportés comme si c’était le cas. Les grands-mères,
Sy… C… et D… R…, agissent comme des grands-parents à l’égard de
l’enfant. Leurs témoignages sont d’ailleurs éloquents quant à la place de leur
petit-fils dans leur vie. Il est évident que chacun des membres de la
famille immédiate qui sont au courant ont tous décidé de garder secret le fait
que le défendeur n’est pas le père biologique, en se comportant comme s’il est
le père de l’enfant.
[40] Quant à la famille élargie, personne
n’est au courant de la situation. C’est un secret de famille. Aux yeux de
tous, le défendeur est le père biologique du garçon.
[41] En ce qui a trait à la parution du
22 juin 2013 sur la page Facebook du défendeur dans laquelle il exprime son
état d’âme eut regard au fait qu’il ne soit pas le père biologique, annonce qui
ne fut affichée une seule journée, cela ne serait être suffisant pour lui faire
perdre sa commune renommée. D’ailleurs, aujourd’hui, personne n’est même en
mesure de déposer celle-ci, qui demeure introuvable par l’écoulement du temps.
Cette parution ne saurait suffire à étayer la prétention selon laquelle il est
de commune renommée que le défendeur n’est pas le père de l’enfant. Cette
réalité de l’instantanéité des parutions sur Internet prend alors tout son
sens, et ne saurait effacer plus de 32 mois de commune renommée.
(Nous soulignons) (Références omises)
La Cour supérieure rejette la demande.
Le texte de la décision intégrale se trouve ici.
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