Jurisprudence inédite en matière familiale sur une demande de citation à comparaître pour outrage au tribunal
Par Sophie Lecomte, avocate
Par Sophie Lecomte
Avocate
Dans son arrêt Droit de la famille — 162246, 2016 QCCS 4236, la Cour Supérieure se penche sur un cas de figure qu’elle
présente comme étant inédit en jurisprudence concernant une demande d’ordonnance
spéciale de comparaître à une accusation d’outrage au tribunal, en vertu des
articles 1, 36, 49 et 53 de l’ancien Code
de procédure civile (ci-après, « a.C.p.c.
»).
Pour plus de clarté, nous vous reproduisons
les articles 49 et 53 de l’a.C.p.c. :
49.
Les tribunaux et les juges peuvent prononcer des condamnations contre toute
personne qui se rend coupable d’outrage au tribunal.
53.
Nul ne peut être condamné pour outrage au tribunal commis hors la présence
du juge, s’il n’a été assigné par ordonnance spéciale lui enjoignant de
comparaître devant le tribunal, au jour et à l’heure indiqués, pour
entendre la preuve des faits qui lui sont reprochés et faire valoir les moyens
de défense qu’il peut avoir.
Le juge peut émettre l’ordonnance d’office ou sur
demande. Cette
demande n’a pas à être signifiée et peut être présentée devant un juge du
district où l’outrage a été commis.
L’ordonnance doit être signifiée à personne, à
moins que pour raison valable le juge n’autorise un autre mode de
signification.
Faits
En l’espèce, le père (ci-après, «
requérant ») demande à ce que la mère
(ci-après, « défenderesse »)
soit citée pour outrage au tribunal parce qu’elle l’aurait empêché d’exercer
ses droits d’accès à l’égard de leurs deux enfants mineurs à trois reprises,
soit les 6 et 20 mars et 3 avril 2015.
C’est ainsi que le père prépare
et présente, le 14 avril 2015, une Requête pour l’émission d’une ordonnance
spéciale à comparaître à une accusation d’outrage au tribunal contre la défenderesse.
Cette journée-là, plutôt que de
signer l’ordonnance spéciale de comparaître à une accusation d’outrage au
tribunal jointe à la requête du requérant, conformément à l’article 53 de l’a.C.p.c.,
la Cour supérieure a décidé de rendre l’ordonnance suivante : « Ordonne [à la défenderesse] de se
présenter le 5 mai 2015 à 9 h 00 pour qu’il soit déterminé s’il y a lieu de
[la] citer pour outrage au tribunal ».
Le 5 mai 2015, les parties ont présenté
leur preuve et plaidé leur cause comme si la défenderesse avait été citée pour
répondre aux accusations d’outrage au tribunal.
En l’espèce, la Cour doit se
pencher sur la question suivante : suite à l’ordonnance rendue par le juge,
la mère des enfants devrait-elle être citée pour outrage au tribunal comme le
réclame le requérant?
Décision et analyse
La Cour supérieure vient, dès le
début de son exposé, circonscrire sa compétence dans la présente affaire :
[2] En conséquence, le tribunal est donc saisi de
la requête de M. D… pour l’émission d’une ordonnance spéciale à comparaître à
une accusation d’outrages au tribunal multiples suivant les articles 1, 36, 49
et 53 de l’ancien Code de procédure civile (« a.C.p.c. »). Cette précision
est importante et limite la compétence du tribunal puisque les parties ont
présenté leur preuve et ont plaidé leur cause comme si [la défenderesse avait]
déjà été citée pour répondre aux accusations d’outrage au tribunal portées par
le requérant.
(Nous soulignons)
Effectivement, la
Cour nous rappelle que la détermination de la nature de l’ordonnance rendue par
l’honorable Pierre Béliveau, de la Cour supérieure, est fondamentale pour la
suite du déroulement de la procédure d’outrage au Tribunal, à l’instar de
l’arrêt de la Cour d’appel Trudel c. Foucher, 2015 QCCA 691.
Ainsi, la Cour doit
déterminer si l’ordonnance émise par le juge Béliveau constitue ou non une
ordonnance spéciale de comparaître pour outrage au tribunal.
Dans un raisonnement
par analogie, le Tribunal constate que les termes utilisés par le juge dans son
ordonnance sont précis, claires et sans équivoque à ce que les parties étaient convoquées
devant le tribunal afin de déterminer s’il y avait lieu, ou non, de citer la défenderesse
pour outrage au tribunal.
[31] Le tribunal – ni les procureurs
des parties d’ailleurs – n’a pu repérer de décisions jurisprudentielles où un
tribunal (ou un juge) aurait procédé de cette façon. La requête pour
l’émission d’une ordonnance spéciale à comparaître pour outrage au tribunal est
généralement entendue ex parte. C’est ce que prévoyait l’art. 53 al. 2
a.C.p.c. […]
[32] Toutefois, rien n’empêche un
juge – maintenant le tribunal – de citer la personne visée par la demande
d’outrage afin qu’il soit déterminé si elle devrait être citée pour outrage au
tribunal. L’art. 53 al. 2 a.C.p.c. – maintenant l’art. 60 al. 1 C.p.c. –
n’interdit pas cette façon de procéder et tant l’art. 46 a.C.p.c. que l’art. 49
C.p.c. confèrent ce pouvoir au juge et au tribunal. L’art. 46 a.C.p.c.
prévoyait d’ailleurs que les tribunaux et les juges peuvent, même d’office,
rendre toutes ordonnances appropriées pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas
prévu de remède spécifique. L’art. 49 al. 2 C.p.c est au même effet. À titre
d’analogie, on peut référer à la demande d’injonction interlocutoire provisoire
qui peut légalement être entendue et émise ex parte, mais qui l’est rarement
(art. 510 al. 2 C.p.c.).
(Nous soulignons)
La procédure pour
outrage au tribunal est de droit strict et il est donc nécessaire dans la
demande de citation pour outrage d’indiquer clairement et précisément ce qui
est reproché à la personne que l’on veut voir citer pour outrage. Il s’agit
d’une procédure exceptionnelle, qui ne doit être utilisée qu’après avoir épuisé
tous les moyens disponibles d’exécution de jugement.
[33] […] C’est ainsi que la Cour a rappelé que
l’ordonnance spéciale à comparaître doit énoncer la nature des violations avec
précision. Il peut cependant être suffisant de renvoyer précisément aux
paragraphes de la requête en outrage. Cette façon de faire est sans doute plus
expéditive, mais elle n’est pas sans risque. Le juge qui délivre
l’ordonnance spéciale doit s’assurer que les actes reprochés sont clairement
définis et qu’il existe une preuve suffisante pour aller de l’avant. Il ne faut
pas sous-estimer l’importance de cette ordonnance spéciale à comparaître, qui
est le cœur de la procédure qui s’amorce. On devrait certainement préférer
une ordonnance originale qui énumère précisément des actes reprochés, ce qui
éviterait toute confusion.
(Nous soulignons)
En l’espèce, la Cour constate qu’aucune
citation à comparaître n’avait encore été émise lorsque les parties se sont
présentées devant le tribunal. Par conséquent, le Tribunal ne peut pas se
saisir du fond de l’outrage au tribunal. Il devra se limiter à déterminer s’il
existe une preuve prima facie
suffisante justifiant de citer la demanderesse pour outrage, conformément à l’ordonnance
rendue par le juge Béliveau.
Cette interprétation est
confirmée par le fait que l’ordonnance émise par le juge Béliveau ne comporte ni
citation à comparaître ni accusation spécifique. Enfin, la Cour précise que,
dans pareil cas, la preuve offerte par le requérant relativement à un outrage
au tribunal ne devra pas laisser place à un doute raisonnable et que la
défenderesse ne pourra nullement être contrainte à témoigner.
Dès lors, y a-t-il en l’espèce une
preuve prima facie suffisante permettant
au tribunal de citer la défenderesse pour outrage?
L’article 58 alinéa 1 du Nouveau Code de procédure civile
(ci-après, « N.C.p.c. ») nous
enseigne que:
58. Se rend coupable d’outrage au tribunal la
personne qui contrevient à une ordonnance
ou à une injonction du tribunal ou qui agit de manière à entraver le cours de
l’administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la
dignité du tribunal.
(Nos emphases)
En l’espèce, la Cour répond par
la négative : la mère ne doit pas être citée pour outrage au
tribunal.
En effet, la jurisprudence nous
enseigne, à l’instar de l’arrêt de principe de la Cour suprême Canada Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques
inc, 1992 CanLII 29, que le jugement qui règle les droits de visite du
parent n’ayant pas la garde de l’enfant ne constitue pas une ordonnance à
l’endroit du parent gardien.
Ainsi, la Cour répond :
[51] Force est de constater
qu’aucune ordonnance d’un
juge ou du tribunal ne visait la mère aux moments pertinents. Ainsi, cette dernière ne peut
être accusée d’avoir violé une ordonnance la
rendant passible d’outrage au tribunal.
[52] Partant, puisqu’il n’existe pas
de preuve prima facie suffisante
que la mère aurait commis un outrage au tribunal, la citation à comparaître
demandée par le père doit donc être rejetée.
(Nous soulignons)
Ajoutant que le
juge pourra exercer son pouvoir discrétionnaire :
[55] En effet, la
preuve prima facie révèle
que la mère était parfaitement justifiée d’agir comme elle l’a fait afin de
protéger la santé de ses deux enfants. Le père était manifestement au
courant des problèmes de santé de ses enfants, mais il n’a rien fait jusqu’au 1er juin
2015. Or, les accusations pour lesquelles il désire citer la mère auraient été
commises les 6 et 20 mars et 3 avril 2015.
[56] En conséquence, le
tribunal est justifié d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas citer la mère
pour outrage au tribunal étant donné qu’à leur face même les accusations portées
par le père sont manifestement sans fondement.
(Nous soulignons)
Finalement, c’est sur
des compliments appuyés à l’égard l’honorable Pierre Béliveau que la Cour
conclut :
[57] La procédure
adoptée en l’espèce par le juge Béliveau – soit de citer la mère afin de
déterminer si elle doit être citée pour outrage au tribunal –,
quoiqu’inhabituelle, est empreinte de sagesse et particulièrement bien adaptée
au contexte des litiges en matière familiale. Cette procédure est conforme à la
règle audi alteram partem maintenant
codifiée à l’art. 17 C.p.c., elle confirme le
caractère exceptionnel du recours pour outrage au tribunal et elle évite de
tenir un procès inutile sur une accusation d’outrage au tribunal qui, prima facie, n’apparaît pas
comme étant fondée. D’ailleurs, la Cour d’appel a, à plusieurs reprises,
rappelé que le recours à l’outrage au tribunal n’est souvent pas souhaitable,
particulièrement en matière familiale.
[58] En l’espèce, le tribunal
conclut que le père n’a pas respecté le caractère strictissimi juris des procédures
pour outrage au tribunal et n’a pas non plus démontré que les accusations
portées contre la mère apparaissaient, prima facie, comme étant fondées.
[59]
En conséquence, le tribunal est d’avis que, suite
à l’ordonnance du juge Béliveau, la mère ne doit pas être citée pour outrage au
tribunal.
(Nous soulignons)
Il
intéressant de constater qu’il a été ajouté une étape à la procédure d’outrage
au tribunal : celle de la réception. Vers une nouvelle tendance
jurisprudentielle? La Cour semble ici tout le moins le souhaiter en matière
familiale, la procédure d’outrage n’y étant que trop peu appropriée.
La décision intégrale
se trouve ici.
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