29 Déc 2016

Aggravation de risque, déclaration mensongère et nullité du contrat d’assurance

Par Inma Prieto, avocateMartin

Par
Inma Prieto

Avocate

Dans la décision Haddou c. Alpha (L’), compagnie d’assurances inc., 2016 QCCS 6184, le
tribunal revoit les conditions d’application de deux notions importantes en
matière d’assurances, soit l’aggravation de risque et la déclaration mensongère
de l’assuré.

Le contexte

Un grave incendie
endommage la propriété des demandeurs le 25 août 2014.

Ces derniers contactent
leur assureur, L’Alpha, qui les reloge et entreprend des travaux de démolition
pour éviter la contamination des matériaux par l’humidité.

Finalement,
l’assureur refuse la prise en charge du sinistre invoquant notamment une
aggravation du risque et des déclarations mensongères des demandeurs.

Les demandeurs
introduisent une action judiciaire réclamant 90 550,84 $ à l’assureur pour
les travaux de réparations, le nettoyage de vêtements et les inconvénients
subis.

Dans sa défense, l’assureur
allègue que les demandeurs ont aggravé le risque et qu’ils ont fait plusieurs
déclarations mensongères leur faisant ainsi perdre tout droit à indemnisation.

Dans le cadre d’une
demande reconventionnelle, l’assureur demande à ce que le contrat d’assurance
soit déclaré nulle ab initio et il
réclame le remboursement des dépenses encourues pour les frais de relogement,
de nettoyage et de démolition partielle, soit la somme de 15 525 $, ainsi
que 7 000 $ pour les troubles, frais et inconvénients subis.

Analyse et
décision

Dans un premier temps,
le tribunal a écarté le moyen de défense de l’aggravation du risque soulevé par
l’assureur et rappeler que pour que cette défense réussisse, l’assureur est
soumis au test objectif de l’assureur raisonnable.

Autrement dit, l’assureur
a le fardeau de prouver qu’un assureur raisonnable n’aurait pas assumé le
risque ou aurait demandé une prime plus élevée s’il avait eu connaissance des
faits non divulgués.

Dans un second
temps, le tribunal s’est penché sur la notion de déclaration mensongère et rappeler
qu’il incombe à l’assureur de démontrer l’existence de contradictions entre les
versions données par l’assuré.

Notons que le
simple manque de précisions ou d’exactitude de la part de l’assuré ne saurait
suffire.

Une fois la preuve
des contradictions apportée, l’assuré perd le bénéfice de la présomption de
bonne foi, et il s’opère un renversement du fardeau de preuve, commandant à l’assuré
d’expliquer ses contradictions.

Après une analyse
minutieuse des déclarations des demandeurs, le tribunal a souligné l’existence
de contradictions importantes dans les déclarations concernant l’exploitation
d’une garderie dans la propriété des demandeurs depuis 2011, ainsi que les
circonstances de l’incendie et l’état des revêtements au sous-sol.

«  [52]       
Le Tribunal est donc en mesure de tirer les conclusions suivantes :

L’assureur a présenté une preuve sérieuse qui fait
perdre aux demandeurs le bénéfice de la présomption de bonne foi.

Les nombreuses déclarations évolutives et
contradictoires portant sur des éléments importants par rapport au sinistre ne
peuvent que constituer des déclarations mensongères au sens de la Loi.

Il ne ‘agit pas de simples inexactitudes,
exagérations ou omissions.

Lors de leur témoignage, ils n’ont pas donné
d’explications qui auraient permis de rétablir la présomption de bonne foi en
leur faveur. »

Soulignons que dans
cette affaire, les demandeurs ont tenté de faire échec aux arguments de
l’assureur en invoquant la notion d’estoppel (fin de non-recevoir)  issue de la common law.

Le tribunal a
rejeté cet argument.

Les conditions d’application
sont les suivantes :

«  [42]       
Au-delà de son comportement fautif, les tribunaux québécois ont, depuis,
conclu à renonciation ou à fin de non-recevoir quand une partie contractuelle
se comportait :

de façon volontaire,
c’est-à-dire en connaissance de cause et non dans l’ignorance des faits lui
procurant le droit répudié;

de façon non
équivoque
, que ce soit expressément ou tacitement, mais sans ambiguïté, au
point de susciter une croyance sincère de renonciation chez l’autre partie;

de façon concrète,
c’est-à-dire en renonçant non pas à un droit inexistant, futur ou éventuel,
mais à un droit existant bel et bien à ce moment.

[43]        Il
peut donc y avoir fin de non-recevoir même en absence de faute par celui qui
renonce. »

(Références omises)

Entre autres
arguments, les demandeurs ont allégué qu’après que l’expert en sinistre ait
recueilli leurs témoignages, l’assureur avait à ce moment-là suffisamment
d’information pour dresser un portrait de la situation. L’assureur aurait dû
s’abstenir d’intervenir et  laisser les
demandeurs agir seuls. En intervenant comme il l’a fait, l’assureur aurait
renoncé à soulever ultérieurement un quelconque moyen d’exclusion ou de
nullité.

Le tribunal n’a pas retenu cet
argument :

«  [65]       
Eu égard à la présomption de bonne foi, s’il fallait que les assureurs
se conduisent de cette façon au lendemain d’un sinistre, l’on peut facilement
imaginer le tollé social qui s’ensuivrait : les émissions JE et La Facture
seraient en mesure de rapporter des histoires d’horreur, à chaque semaine, en
soulignant le manque de sens social et de responsabilité des assureurs. »

Le tribunal a
condamné les demandeurs à payer la somme de 15 525,45 $ à l’assureur

Cependant, il a
refusé de prononcer la nullité du contrat au motif que le moyen de défense
relatif à l’aggravation du risque a été rejeté et qu’au surplus, l’assureur n’a
pas offert de rembourser les sommes perçues à titre de prime d’assurance depuis
l’émission de la police.

Le texte de la décision intégrale se
trouve ici.

Commentaires (0)

L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.

Laisser un commentaire

À lire aussi...