par
Sophie Lecomte
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22 Déc 2016

Retour sur la notion de commencement de preuve

Par Sophie Lecomte, avocate

Par Sophie Lecomte

Avocate

Dans son arrêt Ferme
Springlea, s.e.n.c.
c. Gauvin,
2016 QCCA 1910, la Cour d’appel réaffirme les deux composantes essentielles
pour conclure à l’existence d’un commencement de preuve : (1) le commencement de preuve doit
reposer sur un élément de preuve qui émane soit de la partie à qui on veut
l’opposer (aveu, écrit ou témoignage), soit de la présentation d’un élément
matériel et (2) qui,
dans l’un et l’autre cas, rend vraisemblable, et non seulement possible, l’acte
juridique que l’on entend prouver en vertu des articles 2862 et 2865 du Code civil du Québec.

Faits

En l’espèce, les appelantes Rozlyn
Wilson et Ferme Springlea S.E.N.C. (ci-après : « Wilson » et « Ferme S. ») se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure qui donne droit
à la demande de l’intimé Arthur Gauvin (ci-après : « Gauvin »).

Ce jugement ordonne la passation de
titre de l’immeuble propriété de Wilson en faveur de Gauvin et rejette la
demande en passation de titre de Ferme S.

Lors de l’audience en première
instance, les parties ont administré l’ensemble de leur preuve. Une objection
avait été formulée quant à l’admission d’un commencement de preuve permettant
la preuve testimoniale de l’existence d’une promesse verbale d’achat non
conditionnelle entre l’appelante Wilson et l’intimé Gauvin.

Lorsqu’elle a rendu son jugement, la
juge de première instance s’est prononcée à la fois sur l’objection à la preuve
et sur le fond du litige. Elle a ainsi déterminé qu’il existait un commencement
de preuve et a pris en considération la preuve testimoniale pour prouver l’acte
juridique.

En l’espèce, la question est celle de
l’admissibilité de la preuve testimoniale et plus particulièrement de
l’existence ou non d’un commencement de preuve permettant la preuve
testimoniale d’une promesse bilatérale de vente non conditionnelle entre
l’appelante Wilson et l’intimé Gauvin de la terre cultivable et des bâtisses y
érigées appartenant à la première, en vertu des articles 2862 et 2865 du Code civil du Québec (ci-après : « C.c.Q. »).

Décision et analyse

La Cour d’appel
reproche à la juge de première instance de ne pas avoir, dans un premier temps,
tranché l’objection pour déterminer si l’intimé Gauvin avait établi un
commencement de preuve. En effet, comme en conviennent les parties, sans preuve
testimoniale l’intimé n’aurait plus de recours.

En l’espèce, les articles 2862 et 2865 C.c.Q. sont applicables. Ils
disposent :

2862. La preuve
d’un acte juridique ne peut, entre les parties, se faire par témoignage lorsque
la valeur du litige excède 1 500 $.

Néanmoins, en l’absence d’une preuve écrite et
quelle que soit la valeur du litige, on peut prouver par témoignage tout acte
juridique dès lors qu’il y a commencement de preuve; on peut aussi prouver par
témoignage, contre une personne, tout acte juridique passé par elle dans le
cours des activités d’une entreprise.

2865. Le
commencement de preuve peut résulter d’un aveu ou d’un écrit émanant de la
partie adverse, de son témoignage ou de la présentation d’un élément matériel,
lorsqu’un tel moyen rend vraisemblable le fait allégué.

Dans cet
arrêt, la Cour d’appel nous rappelle qu’un commencement de preuve ne tient pas nécessairement
à un écrit émanant de la partie adverse; qu’il peut également résulter de son
aveu ou de son témoignage, comme d’un élément matériel.

Dès lors, il faut retenir que l’existence
d’un commencement de preuve est une question de droit.  Mais que sa vraisemblance est une question de
fait laissée à l’appréciation du juge de première instance et qu’à cet égard,
la norme d’intervention est exigeante.

Ainsi, pour conclure à l’existence d’un
commencement de preuve, deux composantes sont essentielles : (1) le
commencement de preuve doit reposer sur un élément de preuve qui émane soit de
la partie à qui on veut l’opposer (aveu, écrit ou témoignage), soit de la
présentation d’un élément matériel et (2) qui, dans l’un et
l’autre cas, rend vraisemblable, et non seulement possible, l’acte juridique
que l’on entend prouver en vertu des articles 2862 et 2865 C.c.Q.

En l’espèce, la Cour d’appel conclut
que la juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante
dans son appréciation quant à la vraisemblance des éléments donnant ouverture à
la preuve testimoniale en question.

En effet :

[24] La crédibilité des témoins entendus, dont celle de
l’appelante Wilson et de son mari, M. Clark, n’est nullement remise en question
par la juge; leur bonne foi, non plus. Par ailleurs, et avec raison, la juge ne
décèle aucun aveu de la part de l’appelante Wilson et de son mari, ni ne relève
rien dans leurs témoignages qui puisse constituer un commencement de preuve,
d’autant que l’un et l’autre nient catégoriquement s’être engagés envers
l’intimé Gauvin. M. Clark nie également avoir serré la main de l’intimé Gauvin,
geste qui aurait pu être interprété comme scellant une entente au moment de
quitter.

[25] En outre, les éléments constituant, selon la juge, un
commencement de preuve ne rendent pas vraisemblable la promesse verbale d’achat
non conditionnelle alléguée.

[26] En effet, la rencontre d’une heure chez l’intimé Gauvin
entre les Wilson/Clark et les Gauvin/Chabot, qui ne se connaissent d’ailleurs
pas, n’a d’autre objet que la vente de la terre de l’appelante Wilson.
L’intérêt de l’intimé Gauvin pour cet immeuble ne fait aucun doute, puisqu’il a
lui-même sollicité cette rencontre, mais cela ne suffit pas à donner ouverture
à la preuve testimoniale d’une promesse verbale et bilatérale de vente de cet
immeuble. Cette rencontre, telle que décrite par la juge de première instance,
témoigne certes de l’intérêt de l’intimé Gauvin, mais rien de plus.

[27] Reste donc la remise par les Wilson/Clark, à la demande
de l’intimé Gauvin pour qu’il puisse s’en faire une copie, de trois éléments
matériels, soit l’original d’un plan cadastral de la terre, indiquant notamment
la localisation des bâtiments, un certificat de localisation datant de 1984 et
l’original du compte de taxes pour l’année 2012. Cette remise de documents, à
elle seule ou conjuguée aux autres éléments mentionnés dans le jugement, ne
peut servir de commencement de preuve.

[28] En effet, la remise, à la fin d’une première rencontre
entre le propriétaire d’un immeuble à vendre et une personne qui montre un
intérêt, même sérieux, à en faire l’acquisition, ne constitue pas un
commencement de preuve donnant ouverture à la preuve testimoniale d’une
promesse verbale et bilatérale de vente non conditionnelle. Avec égards, ce
fait ne rend pas vraisemblable l’acte juridique allégué. Au mieux, la
combinaison des faits énumérés dans le jugement de première instance est tout
aussi, sinon davantage, compatible avec la manifestation d’un réel intérêt de
la part de l’intimé Gauvin qu’avec la conclusion d’une entente verbale ferme
pour l’acquisition de l’immeuble, ce qu’aurait représenté une promesse d’achat
non conditionnelle acceptée. Avec égards, l’appréciation par la juge de la
vraisemblance des éléments donnant, selon elle, ouverture à la preuve
testimoniale recèle une erreur manifeste et déterminante, puisqu’aucun des
éléments pris en considération par la juge, ni leur somme, ne peuvent servir en
l’espèce de commencement de preuve. L’objection à la preuve aurait donc dû être
accueillie, ce qui aurait emporté le rejet de la demande en passation de titre
de l’intimé Gauvin.

[29] L’absence de commencement de preuve fait obstacle à
la preuve testimoniale d’une entente verbale pour l’acquisition par l’intimé
Gauvin de la terre cultivable de l’appelante Wilson et des bâtiments qui y sont
érigés au prix de 500 000 $. Comme la juge a autorisé la preuve testimoniale,
malgré l’absence de commencement de preuve, le jugement entrepris comporte à
cet égard une erreur de droit qui justifie l’intervention de la Cour
.

[30] Ainsi, l’appelante Wilson n’étant pas obligée envers
l’intimé Gauvin, elle pouvait donc s’engager à vendre, le 31 mars 2012,
l’immeuble dont elle était propriétaire à l’appelante Ferme Springlea.

(Nous
soulignons)

Le texte de la décision intégrale se trouve ici.

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