Un défendeur a choisi de ne pas se présenter à son procès? Le principe du contradictoire gouverne toujours les procédures juridictionnelles
Par Sophie Lecomte, avocate
Par Sophie Lecomte
Avocate
Dans
l’arrêt VX5 Technologies inc. c.
Ambassade Bitcoin 2016 QCCS 5765, la Cour supérieure considère que le demandeur
qui souhaite modifier en cours de procès ses conclusions pour les rendre plus
onéreuses pour le défendeur devra ajourner le procès et les notifier au
défendeur et ce, même si le défendeur a choisi de ne pas se présenter à son
procès.
Faits
En 2014, le demandeur a signé un accord commercial avec la défenderesse Ambassade
Bitcoin, pour exploiter la première machine distributrice de Bitcoins à
Montréal.
La formule d’affaires était la suivante : la machine distributrice
était installée et mise en service à l’intérieur du local d’Ambassade Bitcoin.
La présence de la machine devait attirer la clientèle auprès de qui Ambassade
Bitcoin réaliserait son objectif en qualité d’organisme sans but lucratif et les
utilisateurs de la machine paieraient des commissions variant de 5 % à 9
% sur leurs transactions, soit les recettes du demandeur. Mais, après quelques
mois d’activité, les recettes du demandeur ont beaucoup chuté.
À l’été 2014, le demandeur intentait des poursuites contre Ambassade
Bitcoin.
Dans la présente demande, le demandeur avance que le représentant de la
succursale d’Ambassade Bitcoin présent quotidiennement détournait sa clientèle
au bénéfice d’Ambassade Bitcoin, en leur proposant des taux de change plus
avantageux.
Malgré avoir été convoquée en bonne et due forme, l’Ambassade Bitcoin décide
de ne prendre pas part au procès au fonds.
À l’audience, le demandeur demande des modifications à ses conclusions
recherchées.
En l’espèce, la question de droit qui intéressera le présent commentaire est
la suivante : A-t-on le droit de modifier certaines conclusions de ses actes
de procédure au cours d’un procès alors que la partie adversaire a choisi de ne
pas s’y présenter? La Cour répond par la négative à cette question.
Décision et analyse
La Cour nous enseigne ici que lorsqu’on fait un procès hors la présence de
son adversaire, la marge de manœuvre pour modifier les allégations et
conclusions des actes de procédure est très restreinte.
En effet, le principe du contradictoire ou Audi alteram partem doit gouverner toutes les
procédures juridictionnelles au Canada.
En l’espèce, la Cour nous
rappelle d’ailleurs que c’est l’article 17 C.p.c. qui énonce ce principe :
17. Le tribunal ne peut
se prononcer sur une demande ou, s’il agit d’office, prendre une mesure qui
touche les droits d’une partie sans que celle-ci ait été entendue ou dûment
appelée.
Dans toute affaire
contentieuse, les tribunaux doivent, même d’office, respecter le principe de la
contradiction et veiller à le faire observer jusqu’à jugement et pendant
l’exécution. Ils ne peuvent fonder leur décision sur des moyens que les parties
n’ont pas été à même de débattre.
La Cour cite l’arrêt de la Cour suprême Robillard c. Commission hydroélectrique de Québec, 1954 CanLII
50 (SCC), [1954] R.C.S. 695, qui a
établit en jurisprudence ce principe fondamental, garant de l’équité du
processus judiciaire.
Aussi, quelles précautions doit prendre le demandeur lorsqu’il décide de
majorer sa réclamation dans un tel cas de figure?
La Cour nous réfère à un arrêt tout récent de la Cour d’appel rendu le 24 octobre 2016, Zhang c. Jian 2016
QCCA 1713 dans lequel la demanderesse avait voulu majoré sa réclamation de
500 000 $ à 2 326 400 $, sans accomplir toutes les procédures
appropriées pour notifier adéquatement cette modification au défendeur.
Ainsi, de telles modifications seront acceptées quand :
[33] La
partie qui procède par défaut peut déclarer au tribunal qu’elle réclame moins
que ce qu’énoncent ses actes de procédure (retraxit, dans l’ancien jargon). Ou
encore, elle peut modifier sa position pour réclamer une conclusion ni plus
onéreuse ni moins, mais équivalente. En principe, de telles modifications ne
transgresseront pas le principe de la contradiction.
En effet, le principe est clair :
[34] Sur le plan pratique, le
défendeur doit savoir à quelle condamnation elle s’expose selon l’énoncé des
actes de procédure qui lui sont notifiées. Il peut alors décider de ne pas se
défendre et de laisser le demandeur procéder en son absence.
Nous devons retenir que, même si le défendeur a choisi de ne pas participer
à son procès, le demandeur ne peut pas modifier ses conclusions et réclamer
plus que ce dont le défendeur a été informé
Dès lors, si le demandeur considère qu’il doit modifier ses conclusions
pour les rendre plus onéreuses pour le défendeur, il devra faire ajourner le
procès et notifier ses modifications au défendeur avant la reprise du procès.
Le texte de la décision intégrale se trouve ici.
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