Dans quelles circonstances le tribunal peut-il imputer un revenu à un parent dans le calcul de la pension alimentaire pour enfants ?
Par Audrey Gervais, Avocate
Par Audrey Gervais
Avocate
Dans la décision Droit
de la famille — 162999, 2016 QCCA 1997, la Cour d’appel clarifie
dans quelles circonstances le Tribunal a le pouvoir d’user du pouvoir
discrétionnaire que lui accorde l’article 446 du Code de procédure civile afin d’imputer un revenu à un parent pour
fin de calcul de pension alimentaire.
Les faits
L’intimée et l’appelant
ont trois (3) enfants nés de leur vie commune dont ils ont la garde partagée.
L’intimée a également la garde exclusive d’un autre enfant né d’une union
antérieure.
L’intimée touche comme
seul revenu une indemnité de 29 000 $ par année, versée par le programme
d’indemnisation des victimes d’actes criminels.
L’appelant est
prestataire de l’aide de dernier recours.
Dans le cadre de sa
demande pour garde d’enfants, pension alimentaire et ordonnances de sauvegarde,
l’intimée demande d’une part à ce que le tribunal attribue un revenu à
l’appelant en vertu de l’article 446 du Code
de procédure civile et d’autre part à ce que la garde exclusive de son
enfant non visé par la présente affaire soit considérée comme une difficulté au
sens de l’article 587.2 du Code civil du
Québec.
Le jugement de première instance
La juge de première instance
attribue un revenu de 25 000 $ à l’appelant, bien que celui-ci ne travaille pas.
Au soutien de cette décision, elle retient que celui-ci se soustrait
délibérément du marché du travail. L’appelant a perdu son emploi suite à une
sentence d’incarcération et refuse maintenant d’occuper en emploi moins
rémunérateur que celui qu’il occupait antérieurement.
La pension alimentaire
qui aurait autrement été de 350 $ par mois, payable de l’intimée à l’appelant,
est par conséquent fixée à 112,50 $ par mois, conformément au Formulaire de fixation des pensions
alimentaires pour enfants.
La juge accorde
toutefois à l’intimée une dispense de paiement de pension alimentaire. Elle
prend en considération la faible contribution de l’appelant aux besoins des
enfants depuis la séparation de même que l’importance des responsabilités
financières de l’intimée, qui assume seule les besoins d’un autre enfant non
visé par la demande.
Les questions en litige
La Cour d’appel s’est
penchée sur les questions suivantes :
« [16]
(…)
–
La juge de première instance a-t-elle commis une erreur de droit en attribuant
un revenu à l’appelant ?
–
A-t-elle commis une erreur en dispensant l’intimée du paiement de la pension
alimentaire pour enfants pour cause de difficultés ? »
Les arguments
Comme l’appelant est le
créancier alimentaire dans cette affaire, le revenu imputé a pour effet de
diminuer la pension alimentaire payable au bénéfice des enfants. Par
conséquent, l’appelant affirme que cette décision va à l’encontre du meilleur
intérêt des enfants (article 33 du Code
civil du Québec).
Le procureur général du
Québec, mis en cause dans cette affaire, affirme que le tribunal peut imputer
un revenu que dans les cas où la preuve révèle que les informations divulguées
sur les revenus d’un parent ne reflètent pas sa situation réelle.
Quant à la décision de
dispenser l’intimée du paiement de la pension alimentaire, l’appelant affirme
que l’article 587.2 du Code civil du
Québec n’autorise pas le tribunal à annuler la pension alimentaire.
Analyse et décision
La Cour d’appel énonce
deux circonstances dans lesquelles le tribunal peut se servir des pouvoirs que
lui accorde l’article 446 du Code de
procédure civile.
Premièrement, lorsqu’un
parent fournit des informations incomplètes ou erronées sur ses revenus.
Deuxièmement, lorsque
les informations fournies sur les revenus sont exactes mais que la preuve
révèle que ceux-ci sont inférieurs à ce qu’ils devraient être en fonction de la
capacité de travail réel du parent. À cet effet, la Cour d’appel donne quelques
exemples tirés de la jurisprudence :
« [25]
(…) l’abandon d’un emploi, la diminution volontaire du revenu, le refus de
maximiser ses gains, la prise volontaire de la retraite et la réorientation de
la carrière. Chaque situation est évaluée à son mérite pour vérifier si, au
regard de toutes les circonstances, la décision du parent est raisonnable. »
(Références
omises)
La juge de première
instance n’a donc pas commis d’erreur en attribuant un revenu à l’appelant,
retenant que celui-ci était responsable de sa diminution de capacité de gain.
La Cour d’appel rejette
également le point de vue voulant que l’imputation de revenu ne devrait
s’appliquer qu’au débiteur alimentaire et n’être utilisé que pour bonifier la
pension alimentaire.
L’article 446 du Code de procédure civile permet d’imputer un revenu à un parent, qu’il soit débiteur
ou créancier de l’obligation alimentaire. L’imputation d’un revenu à un parent
qui cherche à se défiler de ses obligations alimentaires se veut une mesure
d’incitation à travailler et à contribuer aux besoins de ses enfants. Le tout
étant donc dans le meilleur intérêt de ceux-ci.
Quant à la décision
d’accorder une dispense de paiement, la Cour d’appel juge qu’il n’y a pas lieu
d’intervenir non plus.
L’article 587.2 du Code civil du Québec confère au tribunal
le pouvoir d’augmenter ou de réduire la pension alimentaire dans certaines
circonstances.
La juge de première
instance n’a pas commis d’erreur révisable en considérant que la présence du
quatrième enfant de l’intimée, en plus des trois enfants visés par la demande,
engendrerait un fardeau financier constituant une difficulté au sens de
l’article 587.2 du Code Civil du Québec.
Finalement, l’étendue
du pouvoir discrétionnaire permet au tribunal de réduire complètement la
pension alimentaire, de sorte qu’il en résulte une dispense de paiement.
Le texte de la décision
intégrale se trouve ici.
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