par
SOQUIJ
Intelligence juridique
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12 Jan 2018

Sélection SOQUIJ – TRAVAIL : Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Tribunal administratif du travail, 2017 QCCS 5258

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

TRAVAIL : La
décision de la CLP ayant déterminé que les activités exercées par des
massothérapeutes — travailleurs autonomes — dans un centre de détente
n’étaient pas similaires ou connexes à celles exercées dans cet établissement
au motif qu’elles n’étaient pas essentielles à la survie de l’entreprise est
déraisonnable; l’utilisation d’un tel critère a pour effet d’ajouter à la loi
et de dénaturer le texte et l’esprit de l’article 9 LATMP.









2018EXPT-2

Intitulé : Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du
travail c. Tribunal administratif du travail, 2017 QCCS 5258 *
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Terrebonne (Saint-Jérôme), 700-17-013086-169
Décision de : Juge Serge Gaudet
Date : 16 novembre 2017
Références : SOQUIJ AZ-51443415, 2018EXP-52, 2018EXPT-2 (17 pages)

Résumé
TRAVAIL — accidents
du travail et maladies professionnelles — compétence et preuve — contrôle
judiciaire — champ d’application — assujettissement LATMP — massothérapeutes
dans un centre de détente — travailleur autonome — interprétation de
l’article 9 LATMP — «activités similaires ou connexes» — nature des
activités — courants jurisprudentiels — critère des «activités essentielles» —
ajout à la loi — objet de la loi — intention du législateur — décision
déraisonnable — pourvoi accueilli — dossier retourné au TAT.
TRAVAIL — accidents
du travail et maladies professionnelles — champ d’application —
assujettissement LATMP — massothérapeute dans un centre de détente — statut de
travailleur autonome visé par la loi reconnu.
ADMINISTRATIF
(DROIT) — contrôle judiciaire — cas d’application — accident du travail et
santé et sécurité du travail — Commission des lésions professionnelles —
Tribunal administratif du travail — champ d’application — assujettissement
LATMP — travailleur autonome — interprétation de l’article 9 LATMP — norme
de contrôle — décision raisonnable.
TRAVAIL — Tribunal
administratif du travail (TAT) — compétence.
Pourvoi en contrôle judiciaire d’une
décision du Tribunal administratif du travail (TAT) ayant rejeté une requête en
révision d’une décision de la Commission des lésions professionnelles (CLP)
relative à la cotisation de l’employeur. Accueilli; le dossier est retourné au
TAT.
La CLP, appliquant l’article 9
de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP),
a déterminé que les massothérapeutes qui exerçaient leurs activités à titre de
travailleurs autonomes chez l’employeur, un centre de détente, ne devaient pas
être considérés comme des travailleurs au sens de la loi, car ils n’exerçaient
pas des activités similaires ou connexes à celles qui étaient exercées dans son
établissement. La CLP en est venue à cette conclusion au motif que les
activités de massage n’étaient pas essentielles à la survie de l’entreprise
puisqu’elles ne représentaient que 16 % de ses revenus et que leur
disparition n’entraverait en rien les activités de l’employeur. Le TAT a refusé
d’intervenir en révision au motif que la décision de la CLP s’appuyait sur un
courant jurisprudentiel largement retenu pour interpréter des termes qui
n’étaient pas prévus par la loi.

Décision
La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Bien que
la Cour supérieure doive faire preuve de déférence envers la décision du TAT,
et aussi envers celle de la CLP, cela ne veut pas dire qu’elle doit abdiquer
son rôle constitutionnel quant au contrôle de la légalité des décisions
administratives. Même si plusieurs interprétations d’un texte sont possibles à
la lumière des termes utilisés et si plusieurs solutions peuvent être
envisageables compte tenu des faits en cause, la décision administrative, pour
être légale, doit rester à l’intérieur des limites acceptables au regard des
faits et du droit. Si elle ne fait pas partie des issues possibles acceptables,
les tribunaux supérieurs doivent intervenir afin de faire respecter la règle de
droit.

L’article 9 LATMP édicte qu’en principe le «travailleur autonome qui, dans
le cours de ses affaires, exerce pour une personne des activités similaires ou
connexes à celles qui sont exercées dans l’établissement de cette personne est
considéré être un travailleur à l’emploi de cette personne». Selon le sens
ordinaire des mots, le critère des «activités similaires ou connexes à celles
qui sont exercées dans l’établissement» passe par un exercice de comparaison
quant à la nature des activités en question. Il faut donc comparer les
activités exercées par un travailleur autonome au bénéfice d’une personne avec
celles ayant cours dans l’établissement de cette personne afin de voir si ces
activités sont de même nature ou si elles ont un rapport étroit entre elles. En
l’espèce, les travailleurs autonomes font de la massothérapie pour la clientèle
du centre de détente. Dans la mesure où le centre emploie lui-même une
trentaine de massothérapeutes qui offrent des services de massothérapie à sa
clientèle, on voit mal comment il est possible d’affirmer que les activités des
massothérapeutes en cause ne sont pas «similaires ou connexes» à celles ayant
lieu dans l’établissement de l’employeur. En fait, les activités des
massothérapeutes «autonomes» sont identiques à celles effectuées par les
massothérapeutes employés par le centre. La CLP a appliqué un critère qui n’est
aucunement prévu à l’article 9 et n’a aucun rapport rationnel avec le
texte de cette disposition. À cet égard, la CLP s’est demandé si les activités
de massothérapie étaient «essentielles à la survie de l’entreprise». Puisque
les revenus provenant de la massothérapie ne correspondaient qu’à 16 % du
chiffre d’affaires de l’entreprise, la CLP en a conclu que celle-ci pourrait survivre
sans offrir de services de massothérapie. Elle en a donc tiré la conclusion
qu’il ne s’agissait pas d’une activité similaire ou connexe à celles exercées
dans l’établissement. Or, ce raisonnement défie toute logique, car le fait que
les activités de massothérapie ne comptent que pour 16 % des revenus de
l’entreprise n’a pas de répercussions sur la nature des activités qui se
déroulent dans l’établissement. La question n’est pas de savoir si les
activités de massothérapie sont ou non majeures, principales ou essentielles
pour l’employeur, mais plutôt si elles sont similaires ou connexes aux
activités qui ont lieu dans son établissement.

Le critère utilisé par la CLP dénature le texte législatif devant être
appliqué. Il vise à déterminer si les activités des travailleurs autonomes
surviennent dans le contexte d’activités qui sont essentielles à la survie de
l’entreprise, ce qui n’implique aucune comparaison entre les activités exercées
par les travailleurs autonomes au bénéfice d’une personne avec celles se
déroulant dans l’établissement de cette personne. Rien dans le texte de
l’article 9 n’exige que les activités des travailleurs autonomes soient
effectuées dans un secteur d’activités qui soit «essentiel» pour la survie de
l’entreprise. Il y a donc là un ajout important qui ne découle aucunement du
texte adopté par le législateur. Or, on ne peut ajouter à un texte législatif
des conditions étrangères qui n’ont aucun rapport rationnel avec celui-ci. Il y
a des limites à l’élasticité d’un texte et on ne peut, sous prétexte de
l’interpréter, en changer complètement la nature et la portée. Aussi, le
critère des «activités essentielles» n’est pas compatible avec l’objectif de
l’article 9, lequel est d’étendre la protection de la Loi sur les
accidents du travail et les maladies professionnelles
 au travailleur
autonome dont la situation est assimilable à celle des véritables employés
d’une entreprise donnée en raison du fait qu’il contribue, autrement que de
manière purement ponctuelle ou accidentelle, aux activités de cette dernière.
Si l’on tient compte d’un tel objectif, le critère des «activités essentielles»
retenu par la CLP aboutit à des résultats injustes et irrationnels. Son
utilisation a pour effet de stériliser l’application de la loi quant aux travailleurs
autonomes qui effectuent pour une personne des activités similaires ou connexes
à celles ayant lieu dans son établissement mais qui se trouvent à le faire à
l’occasion d’activités qui ne sont pas essentielles à la survie de
l’entreprise. Ainsi, l’utilisation d’un tel critère dans le présent dossier
constitue une erreur fondamentale, un vice de fond de nature à invalider la
décision rendue. Il ne s’agit pas d’une interprétation de la loi qui soit
défendable.

Par suite de la décision de la CLP dans Construction et rénovation EMH
inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail
 (C.L.P.,
2008-06-03), 2008 QCCLP 3196, SOQUIJ AZ-50495842, un certain courant
jurisprudentiel semble avoir adopté le critère des «activités essentielles».
Cependant, la lecture des décisions faisant état de ce critère démontre qu’il
s’agissait essentiellement de situations où il n’y avait pas d’employés qui
effectuaient les activités exercées par les travailleurs autonomes et où la
question de savoir si les activités de ces derniers étaient ou non similaires
ou connexes à celles effectuées dans l’établissement se posait. Les décisions
rendues dans Auberge et Spa Le Nordik inc. et Commission de la santé et
de la sécurité du travail
 (C.L.P., 2011-08-15), 2011 QCCLP 5443, SOQUIJ
AZ-50779788, 2011EXPT-1627, [2011] C.L.P. 473, et Chalet du Boisé
varennois inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail
 (C.L.P.,
2010-02-18), 2010 QCCLP 1373, SOQUIJ AZ-50610110, 2010EXPT-659, C.L.P.E.
2009LP-219, [2009] C.L.P. 719, démontrent que, si le critère des «affaires
essentielles» peut à la rigueur servir à cerner les activités d’une entreprise
lorsque les travailleurs autonomes accomplissent des tâches que n’effectuent
pas les employés de cette entreprise, il n’est d’aucune utilité lorsque, comme
en l’espèce, les travailleurs autonomes accomplissent les mêmes activités que
celles qu’effectuent certains des employés de l’entreprise. Le seul fait que
certaines décisions de la CLP appliquent le critère des «activités essentielles»
ne signifie pas que l’utilisation de ce critère soit raisonnable à la lumière
des faits du présent dossier. Certes, en présence de plusieurs interprétations
défendables de la loi, la Cour supérieure ne peut intervenir si le décideur
administratif a choisi une interprétation plutôt qu’une autre. Cependant, il
faut être en présence d’interprétations qui ne sont pas en elles-mêmes
déraisonnables à la lumière des faits pertinents. Or, il était déraisonnable
pour la CLP de conclure que des massothérapeutes «travailleurs autonomes» qui
effectuaient les mêmes activités que les massothérapeutes au service de
l’employeur n’exerçaient pas d’activités similaires ou connexes à celles
exercées dans l’établissement de ce dernier. Il s’agit donc d’un cas où la
décision est motivée et la démarche est intelligible, mais où le résultat ne
fait néanmoins pas partie des issues possibles, compte tenu des faits et du
droit.

Dans ce contexte, la décision du TAT en révision est également déraisonnable.
La seule issue raisonnable dans le présent dossier est de conclure que les
massothérapeutes «travailleurs autonomes» en cause exercent des activités
similaires ou connexes à celles exercées dans l’établissement de l’employeur,
en raison même du fait que ce dernier offre des services de massothérapie à sa
clientèle par l’entremise de massothérapeutes qui sont à son service. Par
ailleurs, ce sera au TAT à déterminer si les exceptions prévues à
l’article 9 sont ou non applicables dans les circonstances. Le dossier lui
est retourné.

Instance précédente : Guylaine Moffet, juge administratif, T.A.T., Division de la santé et de
la sécurité du travail, Laurentides, 553743-64-1410-R et 553743-64-1410,
2016-03-14, 2016 QCTAT 1611, SOQUIJ AZ-51264396.

Réf. ant : (C.L.P., 2015-09-18), 2015 QCCLP 4992, SOQUIJ AZ-51216639,
2015EXPT-1883; (T.A.T., 2016-03-14), 2016 QCTAT 1611, SOQUIJ AZ-51264396.

Suivi : Déclaration d’appel et requête pour permission d’appeler, 2017-12-21
(C.A.), 500-09-027235-175.

Le texte intégral de la décision est
disponible ici

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