L’effet d’un divorce sur la désignation d’un bénéficiaire d’une assurance vie : des nuances importantes
Par Francis Hemmings, Hemmings avocat inc.
Par Francis
Hemmings
Avocat
Hemmings avocat
inc.
Dans le jugement Grenier
c. Union-Vie, 2018 QCCS 616, le tribunal se penche sur l’effet d’un
divorce sur la désignation d’un bénéficiaire d’une assurance vie. En accordant
la demande, le tribunal confirme que l’article 2459 C.c.Q., prévoyant la
caducité d’une désignation d’un époux par l’autre époux en cas de divorce,
n’est pas d’ordre public. Quant à l’exigence d’un écrit pour confirmer le
maintien de la désignation, le jugement démontre qu’une interprétation libérale
doit lui être donnée afin d’assurer le respect des véritables intentions du
preneur d’assurance vie.
Faits
La demanderesse (« Demanderesse » ci-après) est l’ancienne
épouse du défunt (« Défunt » ci-après).
Le 8 octobre 1987, la Demanderesse est désignée
bénéficiaire de l’assurance vie prise par le Défunt.
Le 27 novembre 1997, la Demanderesse et le Défunt
divorcent.
Le 15 juillet 2016, le Défunt décède.
En 2016, la compagnie d’assurance vie (« Défenderesse »
ci-après) refuse de verser la prestation d’assurance vie à la Demanderesse.
Le refus est fondé sur deux articles du Code civil du
Québec :
« 2446. La désignation de bénéficiaires
ou de titulaires subrogés se fait dans la police ou dans un autre écrit revêtu,
ou non, de la forme testamentaire. » [Notre soulignement]
« 2459. La
séparation de corps ne porte pas atteinte aux droits du conjoint, qu’il soit
bénéficiaire ou titulaire subrogé. Toutefois, le tribunal peut, au moment où il
prononce la séparation, les déclarer révocables ou caducs.
Le divorce
ou la nullité du mariage et la dissolution ou la nullité de l’union civile rendent
caduque toute désignation du conjoint à titre de bénéficiaire ou de titulaire
subrogé. »
[Notre
soulignement]
Le liquidateur de la succession fera une intervention
agressive pour appuyer la Défenderesse.
Analyse
L’intention du Défunt de laisser à la Demanderesse, malgré
le divorce, le titre de bénéficiaire de l’assurance vie a été corroborée par de
nombreux témoins, incluant des amis et des enfants. C’est même la Demanderesse
qui payait les primes pour le Défunt.
Il y a toutefois deux problèmes juridiques à surmonter pour
que la Demanderesse puisse avoir droit à la prestation d’assurance vie. En
premier lieu, l’article 2459 C.c.Q. prévoit qu’à la suite d’un divorce, la
désignation d’un bénéficiaire d’assurance vie devient caduque lorsque le preneur
était marié au bénéficiaire. Or, cet article n’est pas d’ordre public. Par
exemple, l’octroi d’un prêt sur une assurance vie, même si la signature vient
du bénéficiaire, manifeste l’intention d’un preneur de maintenir la désignation
du bénéficiaire malgré un divorce.
« [33]
Précisons d’abord que l’article 2459 du C.c.Q. n’est pas une disposition
d’ordre public, comme le rappelle le juge Michael Sheehan de la Cour du Québec
dans l’affaire Garneau c. Succession
Martin, et qu’il est possible d’y déroger.
[34] Par
ailleurs, dans l’affaire Maltais c.
Agence de revenu du Québec, le juge Paul Corriveau de la Cour supérieure
conclut que l’obtention de la signature d’une bénéficiaire désignée à une
police d’assurance en vue d’obtenir un prêt sur celle-ci, manifestait
l’intention du preneur de l’assurance de maintenir la signataire à titre de
bénéficiaire de la police d’assurance, et ce, même après le divorce des
parties. Le juge Corriveau s’exprime ainsi :
“[…] [28] En
faisant signer Étiennette Maltais après son divorce, Jean-Guy Beaulieu a agi,
comme en a témoigné Jean-Yves Fortin, en laissant tout ce qui concernait la
bénéficiaire de l’assurance ‘comme avant’.
[29] Il a agi
en conformité de son intention de maintenir Étiennette Maltais bénéficiaire de
sa police d’assurance.
[30] Un autre
raisonnement que celui-ci là rendrait incompréhensible l’intervention de la
demanderesse lors des demandes de prêts R-4.”
[35] Le
tribunal retient de ce jugement que malgré qu’il n’y ait pas eu de désignation
par écrit d’une bénéficiaire de la police d’assurance après le divorce par le
preneur de l’assurance, la signature de la bénéficiaire pour l’obtention
d’un prêt sur cette police, alors qu’elle n’était pas nécessaire, démontre
l’intention de son ex-conjoint de la maintenir bénéficiaire de cette police,
comme avant. » [Notre soulignement] [Références omises]
Devant l’échec de l’argument du divorce, la question du
respect des formalités pour changer le bénéficiaire est analysée.
L’article 2446 C.c.Q. précise qu’un écrit est nécessaire pour accepter un
changement de bénéficiaire. Or, le tribunal souligne qu’une interprétation
large et libérale de cette exigence est nécessaire afin de respecter les
véritables volontés du Défunt. Si un écrit est nécessaire, une signature ne
l’est pas. Par conséquent, un formulaire envoyé par la bénéficiaire a été jugé comme suffisant pour satisfaire
l’exigence de l’écrit prévue par l’article 2446 C.c.Q..
« [38]
Précisons à cet égard que l’article 2446 du C.c.Q. doit recevoir une
interprétation libérale et que son application doit comporter une ouverture
d’esprit, comme le rappelle le juge Armand Carrier de la Cour supérieure qui
affirme :
“Selon les
commentaires du ministre de la Justice, cet article accorde toute la latitude
au titulaire de la police quant à la manière de désigner un bénéficiaire en
autant que cette désignation soit faite par écrit. Il ajoute que cette
désignation peut être incluse dans la police ou dans un autre écrit, quelle
qu’en soit la nature.
Dans McLean c. Bellavance [1996] R.R.A. 1069
(C.S.), il a été cité que l’article doit recevoir une interprétation
libérale : ‘L’article 2446 du Code civil du Québec n’est pas
équivoque ; au contraire, son application comporte une ouverture d’esprit.’
Dans cette
même décision, la Cour indique que : ‘Il faut donc avoir un écrit. On n’a
pas besoin d’une signature.’
La finalité
poursuivie par le législateur est de donner toutes les chances possibles au
titulaire de la police pour qu’il puisse exprimer sa volonté et obtenir les
bénéfices d’une désignation.
(…)
Cet article de
par son ouverture d’esprit, permet de donner priorité à la volonté du titulaire
de la police de vouloir nommer son ex-conjointe bénéficiaire et ce, quel que
soit le type d’écrits utilisé puisqu’il n’exige pas de formalités particulières.
L’esprit de la loi est de faire en sorte que l’assurance soit payable et que ce
soit le bénéficiaire qui en profite quand l’intention du titulaire est
clairement et validement exprimée. Cette intention n’est pas contredite et même
les enfants du défunt ont témoigné à cet effet. » [Notre soulignement]
[Référence omise]
Finalement, le tribunal décide que la Demanderesse a droit
à la prestation d’assurance vie du Défunt.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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