Les créanciers doivent faire attention de ne pas priver une caution de son recours subrogatoire
Par Bin Zeng, Gowling WLG
Par Bin Zeng
Avocat
Dentons
Dans l’arrêt 162568 Canada inc. c. 4499450 Canada inc., la Cour d’appel
nous enseigne qu’un créancier peut se voir opposer la défense d’exception de
subrogation, dans la mesure où il empêche le recours subrogatoire d’une
caution, et que la caution pourrait être libérée jusqu’à concurrence de la
valeur du droit dont elle est ainsi privée.
Contexte
L’intimé André
Toupin (« Toupin »), Paul
W. Poulin et Jean-François Poulin (collectivement, les « Poulin ») sont actionnaires de
4499450 Canada inc. (« 4499 »).
4499 a contracté en mars 2009 auprès de l’appelante 162568 Canada inc. (« 1625 ») un emprunt de
900 000$ (le « Prêt »)
cautionné par Toupin et par Paul W. Poulin, et garanti par deux
hypothèques : une hypothèque portait sur un immeuble, alors que l’autre
(la « Seconde Hypothèque »)
portait sur un terrain (le « Terrain »).
Le 12 novembre 2010, à l’insu de Toupin et à l’initiative des Poulin, 4499 a
vendu le Terrain à 9199-9904 Québec inc. (« 9199 »), une société contrôlée par Jean-François Poulin, pour
un prix de 1$, plus l’assumation par 9199 du paiement, en capital et intérêts,
de toute somme due aux termes de la Seconde Hypothèque. À la date de cette
vente, le solde en capital du Prêt était de 450 000$. Le 15 décembre 2010,
9199 a vendu à 1625 une moitié indivise du Terrain en contrepartie d’une somme
de 150 000$ et d’une mainlevée complète sur la Seconde Hypothèque. En
avril 2011, 4499 faisait défaut de rembourser le Prêt. Conséquemment, 1625
intentait une action sur prêt contre, entre autres, 4499, à titre d’emprunteur,
et Toupin, à titre de caution.
Jugement de première instance
La juge de première
instance a rejeté l’action intentée par 1625 pour deux raisons :
premièrement, 1625 a manqué à son obligation de renseignement envers 4499 et
envers Toupin en omettant de divulguer à 4499 la vente du Terrain à 9199 et la
vente subséquente entre 9919 et 1625; deuxièmement, en accordant une mainlevée
de la Seconde Hypothèque qui grevait le Terrain, alors que le Terrain avait une
valeur de 1,1 million de dollars, 1625 a privé 4499 ainsi que Toupin d’une
sûreté dont ils auraient pu se prévaloir par subrogation.
Décision et analyse
Comme l’appelante
1625 fait grief à la juge d’avoir libéré 4499 et Toupin en acceptant leur
défense d’exception de subrogation, la Cour d’appel se penche sur le régime
juridique de l’exception de subrogation comme moyen de défense et les
conditions cumulatives et nécessaires à sa mise en application. En citant un
article publié par Me Alain Parent, la Cour considère que les conditions
suivantes sont nécessaires afin d’invoquer avec succès l’exception de
subrogation comme moyen de défense:
1. La caution doit avoir perdu un droit
subrogatoire, c’est-à-dire un droit préférentiel qui aurait accordé un avantage
à la caution par rapport à la situation d’un créancier chirographaire. Par
« droit
préférentiel »
on entend, notamment, une priorité, une hypothèque, une réserve de propriété
d’un vendeur à tempérament, un droit de rétention ou encore une autre caution;
2. La perte du droit subrogatoire doit être le
fait du créancier. L’article 2365 C.c.Q. imposerait au créancier une obligation
implicite de bonne subrogation, exigeant qu’il s’abstienne d’anéantir un droit
subrogatoire. Ainsi, le créancier qui accorde au débiteur principal la
mainlevée d’une hypothèque risque fort de se voir opposer l’exception de
subrogation par la caution.
3. La perte des droits subrogatoires doit avoir
causé un préjudice à la caution, c’est-à-dire la perte de la chance d’effectuer
un recours subrogatoire utile. Le préjudice peut être « complet »,
lorsque la perte des droits subrogatoires est d’une valeur équivalente ou
supérieure au cautionnement, ou « partiel », si l’altération de ces
droits est inférieure à la valeur du cautionnement.
4. Un lien de causalité doit unir le fait du
créancier et la perte des droits subrogatoires, d’une part, ainsi que la perte
de ces droits et le préjudice, d’autre part.
De plus, la Cour
précise que la partie qui plaide l’exception de subrogation n’est pas tenue de
prouver l’étendue du préjudice qu’elle a subi et qu’il suffit que le recours né
de la subrogation ne soit pas illusoire.
Comme 1625
disposait d’un recours hypothécaire valable à l’égard du Terrain avant
d’accorder la mainlevée de cette hypothèque, et que la valeur de cette sûreté
aurait été suffisante pour rembourser, au moins en partie, Toupin et 4499, la
Cour statue que ces seuls faits suffisent pour donner ouverture au moyen de
défense d’exception de subrogation énoncé aux articles 1531 et 2365 C.c.Q.
La Cour d’appel
tient compte également d’autres arguments soulevés par 1625, notamment,
l’autorité de la chose jugée et les clauses des actes d’hypothèque. Toutefois,
ceux-ci n’ont pas été acceptés par la Cour d’appel, puisque (i) l’objet de
la transaction et le contexte dans lequel elle a été conclue sont différents de
ceux du présent litige; et (ii) les clauses des actes d’hypothèque ne
peuvent pas faire échec à une règle d’ordre public de protection, à savoir, la
caution ne peut renoncer à l’avance au bénéfice de subrogation.
Commentaires
Cet arrêt nous
rappelle qu’un créancier n’est pas libre de diminuer l’assiette de son
hypothèque sans affecter le cautionnement ou la dette, et qu’une clause
contractuelle stipulant que la caution renonce à l’avance au bénéfice de
subrogation est réputée non écrite. Conséquemment, un créancier hypothécaire
doit être prudent en exerçant son recours hypothécaire et en accordant une
mainlevée.
Le texte intégral
de la décision est disponible ici.
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