par
Romane Bonenfant
Articles du même auteur
et
Michaël Lessard
Articles du même auteur
16 Jan 2020

La Cour d’appel tranche : Les chiens dangereux peuvent-ils être euthanasiés par les municipalités ?

Par Romane Bonenfant, avocate et Michaël Lessard, avocat

Romane Bonenfant, Étudiante à l’École du
Barreau du Québec

Me Michaël Lessard, candidat au doctorat à l’Université de Toronto

Faisant suite au résumé
SOQUIJ publié la semaine dernière
, nous examinons en détail les motifs de la Cour d’appel, rendus sous la
plume de la juge Marie-France Bich, dans Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal.

En août 2018, l’Arrondissement
de Montréal-Nord ordonne l’euthanasie[1] de Shotta, un chien qu’elle a
déclaré dangereux[2].
Ces décisions –la déclaration de dangerosité et l’ordonnance d’euthanasie– ont
été prises en raison des blessures infligées par ce chien en mordant quatre
enfants et deux adultes[3].

La propriétaire de ce
chien, Christa Frineau, et un refuge américain, Road to Home Rescue Support
(RHRS), se pourvoient en contrôle judiciaire de la décision d’ordonner
l’euthanasie ainsi que la réglementation municipale qui la soutient. Reconnaissant la dangerosité du chien, les demanderesses proposent que Shotta soit confié à RHRS,
plutôt que mis à mort, demande
que la Cour supérieure refuse en mars 2019[4]. La Cour d’appel confirme cette
décision le 20 décembre 2019[5].

Dans cet article, nous
abordons tour à tour ces questions en litige relatives au fond[6] : (1) RHRS a-t-elle l’intérêt pour
agir ? (2) La réglementation municipale est-elle
valide au regard de l’article 898.1 du Code civil
du Québec

(C.c.Q.)[7] ?
(3) Est-elle valide au
regard de la Loi sur le bien-être et
la sécurité de l’animal
(L.b.s.a.)[8] ? (4) L’Arrondissement a-t-il respecté les
exigences de l’équité procédurale ?

Road to Home Rescue Support n’a pas l’intérêt pour agir en justice 

La Cour d’appel détermine
d’abord que Road to Home Rescue Support n’a pas l’intérêt requis pour agir dans
ce dossier. En effet, l’organisme ne satisfait pas les critères de l’intérêt
pour agir en justice consacrés à l’article 85 du Code de procédure civile[9]. Cet article prévoit qu’une partie
demanderesse doit avoir un « intérêt suffisant / sufficient interest »
pour intenter un recours civil, que cet intérêt soit privé ou public.

En l’espèce, RHRS n’a
pas d’intérêt privé suffisant car elle n’a pas de droits ou de pouvoirs sur l’objet
du litige : l’animal[10]. Le
fait que RHRS ait l’intention de s’occuper du chien n’est pas suffisant pour
constituer l’intérêt nécessaire pour agir en justice[11].

En outre, RHRS n’a pas,
non plus, la qualité pour agir dans l’intérêt public puisque les décisions de
déclarer le chien dangereux et de le mettre à mort ne soulèvent pas de question
d’intérêt public, soit une question qui dépasse les intérêts des parties directement
touchées par le litige[12]. Si la
validité de la réglementation municipale au regard de l’article 898.1 CcQ et de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal soulève une
question d’intérêt public, il existe un moyen plus efficace de saisir le
tribunal de cette question : la propriétaire du chien visé par l’ordre
d’euthanasie peut le faire[13]. Ainsi,
l’appelante, madame Frineau, est la seule qui avait l’intérêt suffisant pour initier
le recours.

Malgré
l’absence d’intérêt requis
pour agir de RHRS et la conclusion que madame Frineau n’a pas contesté la
décision de la ville dans les délais prévus par la loi[14], les
juges de la Cour d’appel se penchent sur les questions de fond[15].

Le respect des êtres doués de sensibilités permet leur euthanasie sans
souffrance

L’appelante
prétend que l’article 898.1 du Code
civil du Québec
interdit à l’Arrondissement de Montréal-Nord d’abattre des
animaux[16]. Cet
article prévoit que « [l]es animaux ne sont pas des biens / [a]nimals are
not things » mais qu’ils sont plutôt « des êtres doués de sensibilité
et ils ont des impératifs biologiques / sentient beings and have biological
needs ».

La Cour
d’appel détermine qu’il n’y a aucune incompatibilité entre l’article 898.1
C.c.Q. et les dispositions prévoyant la mise à mort de chiens dangereux
des règlements municipaux 16-060 et 18-042[17]. La
juge Bich explique que le fait d’être des « êtres doués de sensibilité
n’empêche pas qu’ils puissent occasionnellement constituer une nuisance ou un
danger et faire l’objet de mesures destinées à contrer l’une ou l’autre ou à y
remédier de façon temporaire ou définitive »[18]. Ainsi, il est possible, selon l’article 898.1 du C.c.Q., de prendre la décision de mettre à
mort des animaux tant qu’on le fait de manière à respecter leur sensibilité, soit en rendant
la procédure de mise à mort la plus indolore possible[19].

Les protections de la Loi sur
le bien-être et la sécurité de l’animal
 n’interdisent pas l’euthanasie

La Cour d’appel
détermine ensuite que la Loi sur le
bien-être et la sécurité de l’animal
n’interdit pas, elle non plus, l’euthanasie
de chiens dangereux. L’appelante avançait que la L.b.s.a. prohibait l’abattage d’animaux parce que les articles 5
et 6 de cette loi interdisent aux personnes de nuire à la santé des animaux.
Or, la Cour d’appel est d’avis que cette loi n’interdit pas l’euthanasie :
elle exige seulement, selon l’article 12 de la L.b.s.a., que lorsqu’on décide d’euthanasier un
animal, on le fasse en s’assurant
que la sensibilité de l’animal soit respectée[20]. La
Cour relève d’ailleurs que la L.b.s.a.
prévoit des cas de mise à mort d’animaux : les articles 19 (permis
d’euthanasie), 42 (euthanasie d’un animal confisqué par un inspecteur), 47
(ordonnance d’euthanasie prononcée par un tribunal) et 53 (animaux abandonnés)[21].

Ensuite, la Cour précise
qu’un règlement municipal autorisant l’abattage d’animaux de manière purement
discrétionnaire, constituerait un exercice illégitime du pouvoir de réglementer
et ne respecterait pas les règles de base du droit administratif tel que la
primauté du droit[22].

L’équité procédurale : le droit d’être entendu·e et l’obligation de
l’évaluation comportementale du chien dangereux

Sur la question de
l’équité procédurale, deux problèmes sont soulevés par la Cour. Premièrement, comme
la décision municipale est de nature administrative et porte atteinte aux
droits, privilèges ou intérêts d’une personne, les règles d’équité procédurale
s’appliquent et leur portée s’apprécie au cas par cas[23].

En l’espèce, l’Arrondissement devait minimalement
informer le ou la propriétaire du chien des démarches entreprises et donner
à cette personne l’occasion de lui présenter ses observations avant de rendre l’ordonnance d’euthanasie[24]. Or,
puisque Frineau n’a pas entrepris de démarches pour contrer le sort réservé à son
chien dans les sept mois suivant les faits, la Cour conclut qu’elle a renoncé à
son droit d’être entendue[25].

Deuxièmement, la décision de déclarer le chien dangereux
et d’en ordonner l’euthanasie a été prise sans faire l’évaluation
comportementale préalable de l’animal[26]. Or,
une telle évaluation est obligatoire selon le règlement municipal[27].
L’Arrondissement a donc enfreint les exigences de sa propre réglementation.
Cependant, en raison du manque de diligence de Frineau, la Cour considère que
celle-ci a renoncé à la possibilité de contester la décision de
l’Arrondissement sur la base de l’absence d’évaluation comportementale.

Conclusion

La Cour d’appel
rejette le pourvoi, RHRS
n’ayant pas d’intérêt suffisant et Frineau ayant agi hors délais. Au-delà de cette conclusion, cet arrêt est important pour le droit
animalier puisqu’il confirme la validité des dispositions réglementaires municipales[28] concernant
la mise à mort d’animaux dangereux au regard de l’article 898.1 du C.c.Q.
et de la L.b.s.a.. La Cour conclut
également que l’intimée n’a pas respecté l’équité procédurale ni les termes de
ses propres règlements, en ce qui concerne l’évaluation comportement préalable
de l’animal. En somme, une municipalité peut mettre à mort un animal dangereux
si elle le fait en respectant sa réglementation, en donnant aux propriétaires
de l’animal la chance d’être entendu·es et en respectant la sensibilité de l’animal.

Commentaires

Avec égard,
l’interprétation de l’article 6 L.b.s.a. par la Cour d’appel nous apparaît discutable. Dans ses
motifs, elle soutient que l’article 6 L.b.s.a.
ne vise que la maltraitance causant la mort, ce qui nous apparaît restrictif.
Cet article semble interdire de manière générale la mise à mort d’un animal, et
ce, sans ambiguïté :
« [n]ul ne peut […] faire en sorte qu’un animal soit en détresse [et] un
animal est en détresse [dès lors qu’]il est soumis à un traitement qui causera
sa mort / [a] person may not […] cause an
animal to be in distress[, and] an animal is in distress if […] it is subjected
to conditions that […] will cause the animal death
 »[29].

Que la Cour adopte
une interprétation large ou restrictive, le résultat pour le cas d’animaux
jugés dangereux reste le même en raison de l’article 7 L.b.s.a. qui permet la mise à mort d’animaux par un·e vétérinaire.
Par contre, la portée de l’article
6 L.b.s.a. –soit qu’il interdise
généralement la mise à mort d’animaux ou seulement la maltraitance– peut avoir
une incidence sur les litiges futurs.

Notre opinion est d’ailleurs partagée par
Pier-Olivier Fradette et Charlotte Fortin, « La nouvelle Loi visant
l’amélioration de la situation juridique de l’animal » dans Service de la
formation continue du Barreau du Québec, Développement récents en droit
municipal (2017), Montréal, Yvon Blais, 2017, para 2.2.3.


[1] Le présent jugement utilise le terme
« euthanasie » alors que ce terme réfère habituellement, selon les
dictionnaires consultés, à une mort au bénéfice de l’être mourant, notamment
pour abréger ses souffrances. Or, dans le contexte de l’« euthanasie »
d’un animal dangereux, la mort n’est pas nécessairement à son bénéfice.
[2] Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 2187, para 5.
[3] Ibid.
[4] Road to
Home Rescue Support c. Ville de Montréal
, 2019 QCCS 1042.
[5] Supra,
note 2,.
[6] Nous écartons la question de la permission
d’appeler, supra, note 2, para 9-16.
[7] Code
civil du Québec
, RLRQ c CQ-1991, art.
898.1.
[8] Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, RLRQ c B-3.1.
[9] Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01, art 85.
[10] Supra, note 2, para 22.
[11] Ibid..
[12] Ibid., para 27. Pour les critères de la qualité pour agir dans
l’intérêt public, voir Canada (Procureur
général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society
, 2012
CSC 45
.
[13] Supra,
note 2, para 28.
[14] Ibid., para 40.
[15] Les articles 4, 59, 62 et 63 de la Loi sur les
compétences municipales,
RLRQ c C-47.1 donnent compétence aux
municipalités pour prendre la décision d’euthanasier tout animal jugé dangereux
(para. 50 de l’arrêt résumé). En l’espèce, l’intimée a adopté le Règlement
sur le contrôle des animaux
, 16-060 [règlement
16-060], maintenant abrogé et remplacé par le Règlement sur l’encadrement des
animaux domestiques
, 18-042 [règlement
18-042] qui décrivent la procédure à suivre pour l’euthanasie.
[16] Supra,
note 2, para 54.
[17] Règlement 16-060, supra, note 15; règlement 18-042, supra,
note 15.
[18] Supra, note 2, para 56.
[19] Ibid., para
57-58.
[20] Ibid., para 65.
[21] Ibid., para 65.
[22] Ibid., para 68.
[23] Ibid., para
73-75.
[24] Ibid..
[25] Ibid., para 92.
[26] Ibid., para 76.
[27] Ibid., para 79.
[28] Règlement 16-060, supra, note 15; règlement 18-042, supra,
note 15.
[29] Loi sur
le bien-être et la sécurité de l’animal
, supra, note 8, art. 6.

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