Prescription de six mois ou de trois ans pour un recours en troubles de voisinage? La Cour d’appel tranche!
Par Arpiné Danielyan, étudiante à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et Carolyne Valois, avocate
Un doute peut subsister quant au délai de prescription applicable pour un recours contre une ville fondé sur des sources multiples. Dans l’affaire Ville de Brossard c. Belmamoun, 2020 QCCA 1718, la Cour d’appel tranche définitivement en faveur de l’application du délai de prescription de six mois prévu par la Loi sur les cités et villes (« LCV ») plutôt que la prescription de trois ans prévue par le régime de droit commun à l’article 2925 C.c.Q.
Contexte
Le recours est fondé à la fois sur le droit du maintien de la qualité de l’environnement prévu à article 19.1 de Loi sur la qualité de l’environnement (« LQE »), sur le droit à la jouissance paisible prévu à l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne (« CDLP ») et le droit d’obtenir la cessation de l’atteinte et des dommages-intérêts punitifs prévus à l’article 49 CDLP et finalement sur les troubles de voisinage prévu à l’article 976 C.c.Q.
L’affaire a débuté en avril 2017. Les citoyens intentent un recours collectif contre la ville de Brossard (ci-après « ville ») au motif que la construction d’un quartier commercial sur le terrain de l’appelante, la ville, leur cause des troubles de voisinage. Considérant que le recours des intimés repose à la fois sur la LQE, la CDLP et l’article 976 C.c.Q, la Cour supérieure détermine que la prescription de trois ans de l’article 2925 C.c.Q doit s’appliquer au lieu de la prescription de six mois prévus à l’article 586 LCV. La Cour donne ainsi raison aux citoyens. Elle accueille en partie le moyen de défense de la ville fondé sur la prescription extinctive, permet aux citoyens de réclamer des dommages-intérêts pour le préjudice subi à partir du 12 août 2010 et déclare que l’affaire devra être entendue au fond prochainement.
L’affaire a aussi été scindée en deux en première instance pour des raisons procédurales : pour d’abord s’attaquer à la question de la prescription applicable et ensuite pour traiter du reste du dossier. Toutefois, la Cour d’appel ne se penche pas vigoureusement sur les effets de cette scission, elle analyse plutôt la question de la prescription applicable.
Décision
Dans le jugement, daté du 15 décembre 2020, l’enjeu principal est de déterminer le délai de prescription applicable. Plus précisément, la Cour d’appel doit se prononcer sur les deux propositions suivantes de l’appelante :
[16] La thèse de l’appelante sur la prescription extinctive se résume à deux propositions : le juge a erré en droit en traitant des dommages continus selon une fausse théorie et il a commis une erreur mixte de fait et de droit en considérant que les différents régimes de responsabilité invoqués par les intimés incorporaient tous la même prescription de droit commun.
Sur cette première proposition, la Cour d’appel précise qu’une concomitance entre les dommages continus subis et la faute comme condition sine qua non de l’existence de dommages continus indemnisable n’a pas application dans la présente affaire puisque le régime prévu à l’article 976 C.c.Q est un régime de responsabilité sans faute.
Sur la deuxième proposition, s’inscrivant dans la foulée de jugements récents ayant également confirmé l’application du régime particulier de la LCV, les juges tranchent définitivement en faveur de l’application de la prescription de six mois, tout comme cela avait été le cas dans la décision Longueuil (Ville de) c. Carquest Canada ltée [1].
Le délai de prescription de trois ans du C.c.Q est applicable en lieu du délai de prescription de six mois de la LCV dans seulement deux situations : lorsque le recours est de nature contractuelle ou lorsque le recours est fondé sur la présence d’un préjudice corporel. Il s’agit des deux seules exceptions pouvant justifier l’exclusion de la prescription prévue par la LCV.
Ces exceptions ne s’appliquent pas dans la présente affaire, considérant qu’il y a absence de préjudice corporel et que le recours est de nature extracontractuelle. En effet, le recours résulte en partie du droit à la qualité de l’environnement (art. 19.1 de la LQE) ou du droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens (art. 6 et 49 de la CDLP). Le délai de prescription de six mois s’applique également aux recours en troubles de voisinages fondés sur l’article 976 C.c.Q, s’appuyant ici sur l’arrêt Jalbert [2].
Bref, bien que le recours soit fondé sur trois sources différentes, le délai de prescription de six mois du régime particulier de la LCV s’applique en totalité au recours :
[28] Mieux vaut donc s’inscrire franchement dans le sillage de l’arrêt Jalbert, qui ne souffre d’aucune ambiguïté, et confirmer que la prescription de l’article 586 LCV s’applique au recours des intimés, sous tous ses aspects, ce recours n’étant ni de nature contractuelle ni fondée sur un préjudice corporel.
[…]
[30] Il faut donc conclure que la courte prescription de six mois s’applique ici aux trois chefs de réclamation des intimés, en vertu de la LQE, de la CDLP et de l’article 976 du Code civil du Québec, de sorte que les dommages pour lesquels les intimés peuvent réclamer compensation sont ceux postérieurs au 12 février 2013.
[Nos soulignements]
Commentaire
Finalement, ce jugement de la Cour d’appel a dissipé les doutes subsistant quant à la prescription applicable pour les recours contre une ville fondés sur des sources multiples (LQE, CDLP, C.c.Q) en précisant définitivement que c’est bien le régime particulier prévu par la LCV qui s’applique plutôt que le régime de droit commun prévu par le Code civil, attendu que l’on ne se retrouve pas dans les deux cas d’exceptions mentionnés ci-haut.
Le texte intégral de la décision se trouve ici.
[1] Longueuil (Ville de) c. Carquest Canada ltée, [2002] R.J.Q. 2589 (C.A.).
[2] Jalbert c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal), 2019 QCCA 1435.
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