par
Marie-Michèle Paquin
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et
Marie-Jeanne Tétreault
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17 Mar 2021

Huit décisions essentielles sur l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat

Par Marie-Michèle Paquin, avocate et Marie-Jeanne Tétreault, étudiante à la Faculté de droit de l’Université de Montréal

« Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention […] d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit » selon l’article 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés[1]. Depuis 1982, cette disposition enchâssée dans la Loi constitutionnelle de 1867 a été examinée de nombreuses fois par la Cour suprême du Canada et les cours d’appel des provinces. Cette garantie juridique étant au centre de la pratique en droit criminel, il importe de brosser un portrait clair sur le sujet.

Mise en garde

Il existe deux volets à l’article 10b) de la Charte. Le premier est un volet informationnel, c’est-à-dire le droit d’être informé de son droit à l’avocat. Le deuxième, dont nous traiterons dans cet article, est le volet mise en application, soit l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat.

Jugements essentiels sur l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat

Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383

L’appelante a été accusée du meurtre de son mari alors qu’elle était dans un état d’ébriété très avancé. Les policiers l’ont informée de son droit à l’assistance d’un avocat, auquel elle a refusé d’avoir recours. Malgré l’état d’ivresse de l’accusée, les policiers ont procédé à son interrogatoire et ont obtenu des déclarations incriminantes.

Dans cette affaire, la Cour suprême statue que pour qu’une renonciation au droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’article 10b) de la Charte soit volontaire, elle doit se fonder sur une appréciation véritable des conséquences liées à cette renonciation[2]. Le simple fait que l’individu ait une compréhension de ce qu’il dit ne suffit pas. En l’espèce, l’interrogatoire de l’accusée aurait dû être retardé jusqu’à ce que son état lui permette de bien exercer son droit[3].

Le lien vers le texte de la décision est ici.

R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233

L’intimé est placé en état d’arrestation et informé de son droit à l’assistance d’un avocat. Alors qu’il indique aux policiers vouloir se prévaloir de son droit, ces derniers continuent de l’interroger et finissent par obtenir une déclaration incriminante. À aucun moment le corps policier n’offre à l’intimé l’opportunité de contacter son avocat par le biais du téléphone du poste de police.

D’abord, la Cour suprême rappelle que le corps policier a l’obligation de faciliter le recours à un avocat, ce qui inclut l’obligation d’offrir à l’accusé de se servir du téléphone du poste de police. Omettre de le faire constitue une violation de l’article 10b) de la Charte[4]. Ensuite, la police a une deuxième obligation. Elle doit cesser d’interroger le détenu tant qu’il ne s’est pas vu offrir une possibilité raisonnable de recourir à l’assistance d’un avocat[5]. La Cour suprême s’exprime ainsi à cet égard :

Le droit à l’assistance d’un avocat a pour objet de permettre à la personne détenue non seulement d’être informée de ses droits et de ses obligations en vertu de la loi mais également, voire qui plus est, d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits.[6]

La Cour poursuit en précisant que pour que le droit à l’assistance d’un avocat s’avère efficace, le détenu doit pouvoir obtenir des conseils avant d’être interrogé ou requis autrement de fournir des éléments de preuve[7].

Le lien vers le texte de la décision est ici.

R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980

L’appelant est placé en état d’arrestation sur les lieux de sa résidence puis informé de son droit à l’assistance d’un avocat. Alors qu’il souhaite contacter son avocat, la police lui indique qu’il devra attendre que la situation soit sous contrôle avant d’exercer son droit. Les policiers souhaitaient notamment mettre la main sur deux armes à feu enregistrées.

La Cour suprême discute des principes qui ont été établis dans l’arrêt Suberu : l’obligation de faciliter l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat peut être suspendue en raison d’une menace à la sécurité de l’agent policier ou du public, d’urgences médicales ou de restrictions législatives dont la légalité est reconnue par les tribunaux[8]. La Cour ajoute que l’exercice de ce droit peut d’autant plus être repoussé lorsque la police est confrontée à une situation potentiellement explosive ou à haut risque[9]. Cependant, une fois que la situation est maitrisée, l’opportunité pour l’accusé de contacter un avocat ne devrait plus être retardée.

Le lien vers le texte de la décision est ici.


R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368

Suite à son arrestation, l’accusé demande à communiquer avec son avocat. Afin de faciliter l’exercice de ce droit, les policiers lui donnent accès à un téléphone et un annuaire téléphonique. Cependant, en raison de l’heure tardive, l’accusé préfère attendre au lendemain avant de passer son coup de fil à l’avocat, et ce malgré l’insistance des policiers qui lui conseillent de tenter de le joindre. Il est alors placé dans une cellule, où il demeure environ une heure, avant d’être amené dans une salle pour y être interrogé. À deux reprises, l’accusé réitère vouloir parler à son avocat avant de discuter avec eux, mais il finit tout de même par donner une déclaration incriminante.

La Cour rappelle que les droits énoncés à la Charte, en particulier le droit à l’assistance d’un avocat, ne sont pas absolus et illimités[10]. Ils doivent être exercés d’une façon qui soit conciliable avec les besoins de la société[11]. Cette limite aux droits d’une personne arrêtée ou détenue est essentielle puisque sans elle, il serait possible de retarder inutilement et impunément une enquête[12]. La Cour statue que la décision de l’accusé de ne même pas tenter de joindre son avocat est fatale et l’empêche de démontrer qu’il a fait preuve de diligence raisonnable dans l’exercice de son droit[13].

Dans cet ordre d’idées, un accusé qui ne fait pas preuve de diligence dans l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat ne peut exiger que les policiers suspendent leur enquête lorsqu’il réitère son intention de parler à un avocat[14]. Il faut toutefois faire très attention de bien distinguer les cas où l’accusé choisit de ne pas communiquer avec un avocat lorsqu’il en a la possibilité, des cas où l’accusé tente de communiquer avec un avocat, mais échoue à le faire[15]. Dans ce dernier cas, l’accusé peut demander un délai jusqu’à l’ouverture des bureaux le lendemain matin, tel que l’a enseigné la Cour suprême dans l’arrêt Ross[16].

Le lien vers le texte de la décision est ici.

R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869

L’appelant, qui a une légère déficience mentale, a été déclaré coupable du meurtre de deux femmes. Au départ, l’appelant avait été arrêté sous une inculpation de trafic des stupéfiants pour avoir été mêlé à la vente d’une petite quantité de marijuana. Les policiers espéraient, en arrêtant l’appelant, obtenir des éléments de preuve contre son frère, Ron Evans, qui était initialement le suspect principal du meurtre des deux femmes. Lors de son arrestation, l’appelant est informé de son droit à l’assistance d’un avocat. Cependant, lorsqu’il est questionné à savoir s’il comprend ses droits, ce dernier répond que non. Les policiers ne lui ont pas donné davantage d’explications et ont plutôt procédé à son interrogatoire, pour finalement obtenir des déclarations incriminantes.

La Cour suprême a conclu dans cette affaire que l’article 10b) de la Charte avait été violé puisque les policiers n’ont rien fait lorsque l’accusé a mentionné qu’il ne comprenait pas l’étendue de son droit. En effet, une personne qui ne saisit pas son droit à l’assistance d’un avocat n’est pas en mesure de l’exercer[17]. La plupart du temps, les policiers n’ont qu’à informer la personne de son droit et celle-ci est en mesure d’en comprendre le sens. Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, il y a des signes concrets que l’accusé ne comprend pas son droit à l’assistance d’un avocat, les policiers ont l’obligation de prendre des mesures concrètes pour faciliter la compréhension[18].

De plus, la Cour ajoute qu’un changement de circonstances justifie généralement une nouvelle consultation d’un avocat. En l’espèce, une violation du droit à l’article 10b) de la Charte est survenue alors que les policiers n’ont pas renouvelé la mise en garde du droit à l’assistance d’un avocat alors que la nature de leur enquête avait changé et que l’accusé était maintenant suspecté des deux meurtres[19]. La Cour suprême s’exprime ainsi :

[L]es policiers ont le devoir d’informer à nouveau l’accusé de son droit à l’assistance d’un avocat quand un changement de circonstances fait que l’accusé est soupçonné d’une infraction différente et plus grave que celle dont il était soupçonné au moment de la première mise en garde. Il en est ainsi parce que la décision de l’accusé d’exercer ou non son droit à l’assistance d’un avocat peut bien dépendre de la gravité de l’inculpation à laquelle il est exposé. Les nouvelles circonstances constituent une situation nouvelle et différente, qui exige de reconsidérer la renonciation première à l’assistance d’un avocat.[20]

Le lien vers le texte de la décision est ici.

 

R. c. McCrimmon, 2010 CSC 36

Après avoir été informé des motifs de son arrestation et de son droit à l’assistance d’un avocat, l’accusé fait part de sa volonté d’exercer ce droit. L’avocat de son choix n’étant pas joignable, la police suggère à l’accusé de communiquer avec l’aide juridique, ce qu’il accepte de faire. Il discute alors avec l’avocat de garde puis confirme être satisfait de sa conversation avec lui. Or, durant son interrogatoire, redemande à parler à un avocat, ce qui est refusé par les policiers.

Tel qu’établi dans l’arrêt Sinclair[21], la police n’est pas tenue d’accorder au détenu plusieurs possibilités de consulter un avocat, à moins qu’un changement de péril survienne au cours de l’interrogatoire[22]. Par ailleurs, l’accusé qui se dit satisfait des conseils reçus et qui accepte volontairement l’offre de la police de contacter un avocat de l’aide juridique ne peut subséquemment s’opposer à l’admission en preuve de sa déclaration sur la base qu’elle n’était pas volontaire[23].

Le lien vers le texte de la décision est ici.




R. c. Taylor, 2014 CSC 50

L’accusé est placé en état d’arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies et amené à l’hôpital pour y recevoir des soins médicaux. Entre le moment où l’accusé manifeste son désir de consulter son avocat et le moment où il lui téléphone, plusieurs heures se sont écoulées. En effet, l’accusé a informé les policiers de son intention de contacter un avocat avant même d’être transporté à l’hôpital. Les policiers avaient l’intention de lui permettre d’exercer son droit une fois rendu à l’hôpital. Or, les policiers ne lui ont pas facilité l’accès à un téléphone au moment prévu, et ce malgré qu’il fût possible de le faire. Ils se sont permis de prendre des échantillons de sang pour fins d’enquête avant que l’accusé n’ait pu exercer son droit.

La Cour suprême indique que bien que les policiers n’aient pas l’obligation d’offrir à l’accusé d’utiliser leur téléphone cellulaire pour contacter un avocat, ils doivent lui donner accès à un téléphone dès que cela est possible, à la première occasion raisonnable, ce qui ne fût pas le cas en l’espèce[24].

Le lien vers le texte de la décision est ici.

 

R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24

L’intimée est arrêtée pour conduite avec les facultés affaiblies. Elle manifeste alors le désir de consulter un avocat et souhaite recourir à son téléphone cellulaire pour ce faire. L’appareil ayant été saisi, les policiers refusent la demande de l’intimée. Dans le cadre de son témoignage, l’un des policiers affirme notamment avoir refusé à l’intimée le recours à son téléphone personnel puisqu’aucune politique interne n’indique que l’individu a le droit de procéder à cet appel directement dans le véhicule de patrouille.

La Cour d’appel conclut que les policiers n’ont pas rempli leur devoir de faciliter l’exercice du droit constitutionnel de l’intimée. Elle souligne que le problème n’est pas d’avoir refusé de laisser l’accusée utiliser son téléphone cellulaire pour appeler son avocat[25]. En effet, c’est plutôt le fait de ne pas avoir pris en considération cette possibilité en raison de l’absence d’une directive leur permettant de le faire qui constitue une violation de l’article 10b) de la Charte[26].

En conclusion, la présence d’un téléphone cellulaire est une circonstance qui doit être prise en considération dans l’obligation des policiers de faciliter l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’article 10b) de la Charte[27]. Les accusés ont le droit de parler avec un avocat, et ce, sans délai, même si des directives policières vont à l’encontre des droits constitutionnels[28]. Ces derniers priment.

Le lien vers le texte de la décision est ici.

[1] Art. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.U.)]

[2] Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383, p. 384.

[3] Idem.

[4] R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233, p. 1234.

[5] Idem.

[6] Idem., p. 1235.

[7] Idem.

[8] R. c. Suberu, 2009 CSC 33.

[9] R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980, par. 36.

[10] R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368, p. 369.

[11] Idem.

[12] Idem., p. 385.

[13] Idem.

[14] Idem., p. 386.

[15] Idem.

[16] R. c. Ross, [1989] 1 RCS 3.

[17] R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869, p. 871.

[18] Idem.

[19] Idem, p. 892.

[20] Idem.

[21] R. c. Sinclair, 2010 CSC 35.

[22] R. c. McCrimmon, 2010 CSC 36, par. 3.

[23] Idem, par. 26.

[24] R. c. Taylor, 2014 CSC 50, par. 27-28.

[25] R. c. Tremblay, 2021 QCCA 24, par. 78.

[26] Idem.

[27] Idem., par. 77.

[28] Idem., par. 51.

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