5 décisions essentielles en matière d’immigration
Par Andrey Leshyner, avocat
À titre d’introduction au droit de l’immigration, cet article vise à mettre de l’avant certaines grandes décisions importantes de ce domaine. Celles-ci traitent des principes juridiques applicables à des accusés non-citoyens canadiens, aux demandes de révisions administratives, à la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les demandes de résidence permanente pour motifs humanitaire, ainsi qu’au cadre d’analyse utilisé par la Section d’appel de l’immigration vis-à-vis une mesure de renvoi. Dans l’ensemble de ces décisions, le droit de l’immigration demeure en toile de fond et doit donc être pris en considération même lorsque d’autres domaines juridiques sont en cause.
Peine, sursis, plaidoyer de culpabilité : quel impact sur le droit de l’immigration?
Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50
Cet arrêt de principe analyse les interdictions de territoire pour grande criminalité prévues à l’ article 36 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et en établit la portée. Plus particulièrement, il est possible de retirer les deux principes suivants de cet arrêt :
1- N’est pas considérée comme un « emprisonnement » (c’est-à-dire un emprisonnement ou une peine d’emprisonnement) au sens de l’alinéa L36(1) a), une peine d’emprisonnement avec sursis;
2- La Cour suprême établit que l’analyse de la peine maximale applicable doit se faire au moment de la commission de l’infraction, et non au moment de la condamnation ni au moment où l’agent rend une décision d’interdiction de territoire. L’expression « punissable d’un emprisonnement maximal » employée à l’alinéa L36(1) a) correspond à l’emprisonnement maximal en vigueur au moment où l’infraction a été perpétrée.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
R c Wong, 2018 CSC 25
Lorsque les accusés ne sont pas mis au courant des conséquences juridiquement pertinentes lors d’un plaidoyer de culpabilité (telles que les conséquences sur leur statut d’immigration), il est possible de le retirer, s’ils démontrent l’existence d’un préjudice subjectif. L’accusé doit être informé, par la cour ou par les avocats des conséquences sur son statut d’immigration de son plaidoyer de culpabilité.
[4] Nous convenons avec notre collègue le juge Wagner que, pour qu’un plaidoyer soit éclairé, l’accusé doit avoir connaissance de ses conséquences pénales et de ses conséquences indirectes juridiquement pertinentes. Une conséquence indirecte juridiquement pertinente en est une qui touche des intérêts juridiques suffisamment sérieux de l’accusé. En l’espèce, M. Wong n’était pas au courant des conséquences que sa déclaration de culpabilité et sa peine pouvaient avoir sur le plan de l’immigration. De telles conséquences touchent des intérêts juridiques suffisamment sérieux pour constituer des conséquences juridiquement pertinentes. Par conséquent, le plaidoyer de culpabilité de M. Wong n’était pas éclairé.
[45] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler la déclaration de culpabilité de M. Wong et de renvoyer l’affaire au tribunal de première instance pour la tenue d’un nouveau procès. Je suis convaincu que la perte du statut de résident permanent et le risque d’être renvoyé du Canada sans aucun droit d’appel constituent des conséquences juridiquement pertinentes. M. Wong ne savait pas que son plaidoyer de culpabilité pouvait entraîner ces conséquences sur le plan de l’immigration, lesquelles découlaient directement de sa déclaration de culpabilité et de sa peine. Je suis convaincu de l’existence d’une possibilité raisonnable qu’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de M. Wong aurait procédé différemment si elle avait eu connaissance de ces conséquences. Son plaidoyer de culpabilité est donc à l’origine d’une erreur judiciaire et il doit être écarté.
[68] Par conséquences indirectes, on entend les conséquences qui sont secondaires ou parallèles au processus pénal et qui ont un effet sur le délinquant (voir R. c. Pham, 2013 CSC 15, [2013] 1 R.C.S. 739, par. 11). Notre Cour a déjà décidé que les conséquences indirectes en matière d’immigration peuvent être prises en compte lors de la détermination de la peine (Pham, par. 13).
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
Principe de functus officio: Révision – réexamen d’une décision administrative
Canada (Citoyenneté et Immigration) c Gurumoorthi Kurrukkal, 2010 CAF 23
Le principe functus officio prévoit qu’une fois qu’un décideur a tout fait ce qui était nécessaire pour compléter sa décision, il lui est alors interdit de réexaminer cette décision.
Or, une décision d’un agent d’immigration, que ce soit pour une demande de permis d’études ou de permis de travail, pour ne citer que ces deux exemples, peut être réexaminée. Par conséquent, l’agent peut exercer son pouvoir discrétionnaire de réexaminer sa décision.
Comment conjuguer ce pouvoir discrétionnaire de l’agent avec le principe functus officio? L’arrêt Kurrukkal de la Cour d’appel fédérale répond à cette question :
[24] Le principe du functus officio prévoit qu’une fois qu’un décideur a tout fait ce qui était nécessaire pour compléter sa décision, il lui est alors interdit de réexaminer cette décision, sauf pour corriger des erreurs matérielles ou d’autres fautes mineures. Le fondement visé par la politique qui sous-tend ce principe est la nécessité du caractère définitif des procédures : Chandler c. Alberta Association of Architects, 1989 CanLII 41 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 848, aux pages 861 et 862.
[25] La Cour suprême a aussi indiqué dans l’arrêt Chandler que le principe du functus officio n’est pas limité aux décisions judiciaires, mais qu’il peut également s’appliquer aux décisions des tribunaux administratifs. Il peut cependant être nécessaire d’appliquer le principe d’une manière plus souple et moins formaliste dans le contexte des tribunaux administratifs, lorsque, par exemple, un droit d’appel peut exister uniquement à l’égard de points de droit. En effet, la Cour a statué comme suit : « Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel » : Chandler, à la page 862.
[26] Pour que le principe du functus officio s’applique, il est nécessaire que la décision en cause soit définitive. Dans le contexte du processus décisionnel judiciaire, une décision doit être décrite comme définitive [TRADUCTION] « lorsqu’il ne subsiste rien qui puisse être tranché ou déterminé par la suite par un tribunal, de façon à lui donner effet et à la rendre susceptible d’exécution. Une décision est définitive lorsqu’elle est absolue, complète et certaine ». (George Spencer Bower et A. K. Turner, The Doctrine of Res Judicata, 2e éd., Londres : Butterworths, 1969, à la page 132, cité dans Judicial Review of Administrative Action in Canada.)
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
Intérêt supérieur de l’enfant
Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475
Une demande de résidence permanente pour motif humanitaire peut être faite par un étranger en vertu de l’article 25 de la LIPR. Cet article codifie le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaires a fait l’objet de plusieurs décisions, notamment : Baker c. MCI, [1999] 2 R.C.S. 817, Legault c. MCI, [2001] 3 C.F. 277, MCI c. Hawthorne, [2003] 2 C.F. 555, Owusu c. MCI, [2004] 2 C.F. 635, Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61. Ces décisions nous enseignent que lors d’une décision prise en vertu de l’article 25 (1) LIPR, le décideur doit se demander si la décision placera l’enfant directement touché dans une situation de risque.
Ainsi, dans Hawthorne, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question et a déterminé que « [l]es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés » (para 9).
La Cour s’exprime de la manière suivante :
[4] On détermine l’ «intérêt supérieur de l’enfant » en considérant le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant, soit advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada, soit advenant qu’elle quitte le Canada volontairement si elle souhaite accompagner son parent à l’étranger. Ces bénéfices et difficultés constituent les deux côtés d’une même médaille, celle-ci étant l’intérêt supérieur de l’enfant.
[5] L’agente n’examine pas l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l’examen de l’agente repose sur la prémisse – qu’elle n’a pas à exposer dans ses motifs – qu’elle constatera en bout de ligne, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent. Outre cette prémisse que je qualifierais d’implicite, il faut se rappeler que l’agente est saisie d’un dossier particulier dans lequel un parent, un enfant ou les deux, comme en l’occurrence, allèguent des raisons précises quant à savoir pourquoi le non-renvoi du parent est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il va de soi que l’agente doit examiner attentivement ces raisons précises
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
Appel devant la Section d’appel de l’immigration
Ribic, Marida c. M.E.I. (CAI 84-9623)
Dans certaines circonstances, un résident permanent et des personnes protégées peuvent interjeter un appel d’une mesure de renvoi (mesures d’exclusion, mesures d’interdiction de séjour et mesures d’expulsion du Canada) à la Section d’appel de l’immigration. Le droit d’appel peut également être restreint ou limité par les dispositions de la LIPR. Toutefois, lorsqu’une personne détient un droit d’appel de sa mesure au regard des dispositions de la LIPR, la SAI peut exercer sa compétence discrétionnaire pour prendre des mesures spéciales pour des motifs humanitaires (article 67 (1) de la LIPR).
Dans l’affaire Ribic, la Commission d’appel de l’immigration (maintenant la SAI) avait énoncé les facteurs à prendre en considération dans l’exercice de cette compétence discrétionnaire. Ainsi, si l’appel porte sur une mesure de renvoi, les facteurs suivants s’appliquent :
- La gravité de l’infraction ou des infractions ayant entraîné la mesure de renvoi;
- La possibilité de réadaptation ou, subsidiairement, les circonstances du défaut par l’appelant de satisfaire aux conditions de l’admission;
- La période passée au Canada par l’appelant et son degré d’établissement;
- La présence de membres de la famille de l’appelant au Canada et la séparation de la famille qui résulterait du renvoi;
- Le soutien dont bénéficie l’appelant dans sa famille et dans la collectivité;
- L’importance des épreuves que subirait l’appelant s’il était renvoyé dans son pays de nationalité.
Si l’appel porte sur une demande de la catégorie du regroupement familial, la SAI doit notamment prendre en considération les facteurs suivants :
- L’autorisation d’entrer permettrait-elle au requérant d’être réuni avec ses proches au Canada;
- Le degré et la nature de la relation entre le requérant et l’appelant;
- La mesure dans laquelle le requérant est bien établi à l’étranger;
- Le fait que le requérant a démontré qu’il était capable de s’adapter à la société canadienne;
- Le fait que les parties à la demande soient liées par des obligations d’origine culturelle;
- Le fait de savoir si le requérant est seul dans son pays;
- La possibilité pour le requérant d’avoir accès à des services médicaux, au Canada et à l’étranger (refus pour des motifs d’ordre médical);
- Le fait de savoir si, d’après la preuve présentée, le requérant s’est réadapté ou s’il existe un risque de récidive (refus fondés sur la criminalité).
N’étant pas exhaustifs, l’importance accordée à chacun des facteurs varie en fonction des faits qui sont propres à l’affaire. Les facteurs énoncés dans Ribic ont été réaffirmés par la Cour suprême dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [2002] 1 S.C.R 84 (para. 90). Elle s’exprimait de cette manière ; « les facteurs énoncés dans Ribic [supra] demeurent les facteurs à considérer par la SAI dans un appel […].Dans le cadre d’un tel appel, il incombe à l’individu faisant face au renvoi d’établir les motifs exceptionnels pour lesquels on devrait lui permettre de demeurer au Canada. »
Le texte intégral de la décision CHIEU est disponible ici, puisque la décision Ribic n’est pas répertoriée.
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