Lorsque le devoir de bonne foi s’invite dans un centre de soccer intérieur
Par Carole-Anne Emond, avocate
On le sait, la bonne foi et leurs corollaires, soit le devoir d’information et de collaboration, sont des pierres angulaires du droit contractuel (et précontractuel). La décision Ville de Sherbrooke c. Sherax Immobilier Inc., 2021 QCCS 5018, rappelle aux donneurs d’ouvrage publics qu’ils sont appelés à jouer un rôle actif dans le cadre d’appels d’offres, et plus particulièrement des partenariats de type public-privés. Ils ne peuvent se contenter de fournir des renseignements « à titre indicatif », et doivent orienter leurs décisions vers le succès du partenariat.
Contexte
En octobre 2005, la ville de Sherbrooke lance un appel d’offres pour un contrat de partenariat public-privé (« PPP ») en vue de la conception, la construction et la gestion d’un centre de soccer intérieur. Dans les documents d’appels d’offres, la Ville joint « à titre indicatif » un tableau représentant les besoins en heures estimés de la Ville ainsi que des organismes qu’elle subventionne. À partir de cette estimation, Sherax Immobilier Inc. présente sa soumission à la Ville, qui la retient. Une fois le centre construit, les réservations vont de bon train et sont conformes aux estimations. Ces réservations ne se concrétiseront toutefois pas en location, puisque la Ville n’accordera pas l’aide financière nécessaire aux demandes des organismes. Sherax apprendra par la suite que, bien qu’elle ait fourni des projections fondées sur les besoins des organismes en connaissance de leurs besoins financiers, la Ville n’avait jamais eu l’intention de fournir le financement requis.
Qui plus est, huit mois après avoir adjugé le contrat à la filiale de Sherax, la Ville entreprend des démarches en vue de la construction de trois terrains de soccer extérieurs synthétiques. Ces terrains font directement concurrence au centre de soccer intérieur, notamment puisque l’un d’eux est construit à quelques dizaines de mètres du centre et qu’ils sont rendus disponibles gratuitement aux organismes par la Ville.
Décision
La Cour conclut à la violation par la Ville de son devoir de bonne foi, à la fois en ce qui a trait à son obligation de renseignement et à son devoir de collaboration.
Parce qu’ils partagent des ressemblances en matière d’allocation du risque, la Cour se réfère aux autorités commentant le devoir de bonne foi en matière de contrat à forfait, en précisant que l’obligation de renseignement en présence d’un PPP est même « plus intense en raison du partenariat convenu entre les parties »[1].
S’il est attendu d’un entrepreneur qui accepte un tel contrat qu’il se renseigne sur les risques associés, la Cour conclut que Sherax était en l’espèce « légitimement fondé à croire que la Ville lui transmettait des informations réalistes étant donné notamment la proximité, à la fois affichée et réelle, entre elle et ses organismes reconnus, ainsi que les termes même de l’appel d’offres et le court laps de temps alloué pour y donner suite »[2]. Pour reprendre les motifs de la Cour :
[128] L’utilisation des mots « estimés » et « à titre indicatif » ne pouvait pas permettre à la Ville d’induire son cocontractant en erreur en l’amenant à contracter à des conditions qu’elle seule savait être irréalistes en raison de son intention non dévoilée de ne pas fournir l’aide nécessaire à ses organismes mandataires.[3]
En ce qui a trait à la construction des terrains de soccer synthétiques, un contrat de type PPP comporte « à l’évidence l’obligation implicite […] de ne pas faire compétition à sa cocontractante »[4].
Finalement, la Cour rappelle que le devoir de bonne foi étant d’ordre public, il n’était pas loisible à la Ville de limiter sa responsabilité quant aux risques, dans ce cas-ci, de non-rentabilité.
La Ville sera condamnée à payer près de 2,7 millions de dollars en dommage-intérêts.
Commentaire
Il faut se garder de voir en cette décision l’annulation de l’effet des mentions « quantités estimées » ou « à titre indicatif », qui sont très répandues dans les appels d’offres. Toutefois, le donneur d’ouvrage avisé comprendra qu’il ne doit pas y trouver indûment refuge.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Par. 91 de la décision.
[2] Par. 111 de la décision.
[3] Par. 128 de la décision.
[4] Par. 117 de la décision.
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