par
Gabriel Lavigne
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et
Krystelle Metras
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26 Jan 2022

Quatre décisions essentielles en matière d’enlèvement international d’enfants

Par Gabriel Lavigne, avocat et Krystelle Metras, étudiante à l'Université de Montréal

Dans le présent billet, nous aborderons le cadre législatif applicable lorsqu’il est question des aspects civils de l’enlèvement international d’enfant. Nous traiterons ensuite de quatre décisions essentielles en la matière.

Contexte

La Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants, L.R.Q., c. A-23.01

À la suite d’une augmentation dramatique d’enlèvements internationaux d’enfants par l’un des parents au cours des années 1970, plusieurs États se sont consultés afin de trouver une solution à cette crise[1]. C’est le 25 octobre 1980 que la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants[2] fut unanimement adoptée par 28 États, dont le Canada.

Fédéralisme oblige[3], la Convention fut mise en vigueur en droit interne canadien au moyen de lois provinciales[4]. Au Québec, c’est la loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants[5](la Loi)qui fut adoptée en 1984.

Comme la Convention, la Loi vise à protéger l’enfant de moins de seize ans contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicite[6].

Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite lorsque:

  • Il est fait en provenance d’un pays désigné[7];
  • L’enfant a moins de 16 ans[8];
  • Il a lieu en violation d’un droit de garde, alors que ce droit était exercé de façon effective au moment du déplacement ou du non-retour, ce droit de garde résultant d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative ou d’un accord[9];
  • Il se produit alors qu’une instance visant à déterminer ou à modifier le droit de garde a été introduite et que le déplacement risque d’empêcher l’exécution de la décision qui doit être rendue[10].

Lorsqu’un enfant a été déplacé illicitement au sens de la Loi, la Cour supérieure doit ordonner son retour immédiat dans son pays de résidence habituelle.

Toutefois, il existe certaines exceptions à ce principe. En effet, la Cour peut refuser d’ordonner le retour de l’enfant si:

  • Elle constate que celui-ci s’est intégré dans son nouveau milieu, lorsque plus d’un an s’est écoulé depuis son déplacement ou son non-retour[11];
  • Elle constate que l’enfant s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion[12];
  • Celui qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour[13];
  • Il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique ou, de toute autre manière, ne le place dans une situation intolérable[14];
  • Ce retour est contraire aux droits et libertés de la personne reconnus au Québec[15].

Ces cinq exceptions au principe du retour immédiat de l’enfant doivent être interprétées restrictivement. De plus, le fardeau de la démonstration de l’une d’elles repose sur les épaules du parent à l’origine du déplacement ou du non-retour.

Les jugements énumérés ci-dessous encadrent les principes relatifs aux conditions d’applications de la Loi et à diverses exceptions pouvant être soulevées.

W. (V.) c. S. (D.), [1996] 2 R.C.S. 108 : la notion de droit de garde

Dans cette affaire, le père avait quitté le Michigan avec sa fille à l’insu de la mère de cette dernière, pour venir s’installer au Québec. Le plus haut tribunal canadien devait déterminer s’il y avait eu déplacement illicite en se penchant sur la notion de « droit de garde », prévue à l’article 5 de la Convention et 2 de la Loi. Tel que mentionné plus haut, le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite notamment lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde.

Pour déterminer si la loi était applicable, la Cour suprême a interprété et distingué les notions « droit de garde » et « droit de visite ».

Définition de la notion « droit de garde »

En vertu de la loi, un droit de garde « comprend le droit portant sur les soins de la personne de l’enfant et en particulier celui de décider de son lieu de résidence »[16].

Selon la Cour, c’est à cette définition qu’il faut se référer, indépendamment du droit interne des juridictions auxquelles elle s’applique[17].

En d’autres mots, au sens de la Loi et de la Convention, il faut se demander qui des deux parents avait les droits portant sur les soins de la personne de l’enfant, en particulier celui de décider de son lieu de résidence, et non tenter d’importer les définitions du droit de garde propres au droit interne.

Le détenteur du « droit de garde »

Comment détermine-t-on, alors, qui avait le droit de décider du lieu de résidence de l’enfant? Comme l’explique la Cour:

« [L] a question de savoir qui détient le « droit portant sur les soins de la personne de l’enfant » ou encore « celui de décider de son lieu de résidence » au sens de la Convention est en principe déterminée selon la loi de l’État du lieu de résidence habituelle de l’enfant. »[18]

Ainsi, afin de déterminer qui détient le droit de garde, il faut se référer au droit interne de la juridiction de la résidence habituelle de l’enfant.

Le texte intégral de l’arrêt est disponible ici.

Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16 : la notion de résidence habituelle

Dans cette affaire, une famille de citoyenneté canadienne habitait en Allemagne. Le père avait donné son consentement à la mère afin qu’elle amène leurs deux enfants au Canada pour une période prédéterminée de 16 mois afin que ces derniers puissent compléter leurs études. Toutefois, le père retira son consentement au déplacement de ses enfants et demanda le retour immédiat en Allemagne. Il fallait alors déterminer si l’Allemagne était la résidence habituelle des enfants, puisque le déplacement ou le non-retour des enfants n’est considéré illicite que s’ils sont déplacés hors de leur pays de résidence habituelle. C’est alors dans ce pays que la Cour supérieure ordonnera leur retour. Puisque que la notion de « résidence habituelle » n’est pas définie dans la Loi ou dans la Convention, les tribunaux ont dû en préciser la portée.

La Cour suprême s’est donc penchée sur l’approche à privilégier pour déterminer lieu de résidence habituelle des enfants avant leur déplacement ou leur non-retour.

Le plus haut tribunal du pays a présenté trois approches distinctes employées par les différents tribunaux (aux niveaux national et international) pour évaluer la notion de résidence habituelle :   

  • L’approche fondée sur l’intention des parents: C’est l’approche qui prédominait au Canada (à l’exception du Québec) à l’époque. Selon celle-ci, le lieu de résidence habituelle de l’enfant est déterminé à partir de l’intention des parents habilités à décider du lieu où vit l’enfant[19].
  • L’approche axée sur l’enfant: Celle-ci met l’accent sur la situation et le point de vue de l’enfant au moment où son retour dans le pays d’origine est demandé. Selon cette approche, le lieu de résidence habituelle est déterminé en fonction de l’acclimatation de l’enfant dans le pays, de sorte que l’intention des parents n’importe pas vraiment[20].
  • L’approche hybride: Celle-ci veut qu’au lieu de s’attacher avant tout à l’intention des parents ou à l’intégration de l’enfant, toutes les considérations pertinentes au vu des faits propres à l’affaire sont analysées dans le but de définir la résidence habituelle[21]. Il s’agissait de l’approche préconisée par les tribunaux québécois. Parmi les éléments considérés, notons: « la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour [de l’enfant] sur le territoire [d’un] État membre et la nationalité de l’enfant »[22]. Aucun élément n’est prédominant, le tout étant analysé à la lumière de la situation dans son ensemble. Le lieu de résidence habituelle est une notion factuelle et non juridique, ce qui oblige le tribunal à regarder la situation de l’enfant dans sa totalité[23]. Selon l’avis de la Cour, l’approche hybride se concilie le mieux avec le texte, la structure et l’objet de la Convention de La Haye[24].

C’est cette dernière approche que la majorité a préconisée.

Toujours dans cet arrêt, la Cour suprême a également fait quelques commentaires relatifs à l’exception de l’opposition de l’enfant.

L’exception de l’opposition de l’enfant

Tel que vu précédemment, la Cour ordonne généralement le retour immédiat de l’enfant à la suite de son déplacement illicite. Il y a toutefois des exceptions à cette règle et l’une d’elles est l’opposition de l’enfant lorsque ce dernier a atteint un âge et une maturité suffisants.

Ainsi, le pouvoir discrétionnaire qui permet au juge de refuser d’ordonner le retour de l’enfant dans le lieu de sa résidence habituelle n’apparaît que si la personne qui s’oppose au retour démontre que:

  • L’enfant a atteint un âge et une maturité où il peut être tenu compte de son opinion et;
  • L’enfant s’oppose au retour[25].

Lors de son examen, le tribunal doit prendre en considération 

« […] les motifs pour lesquels l’enfant s’oppose au retour et la vigueur de cette opposition, si ces motifs sont “vraiment les siens” ou sont invoqués sous l’influence du parent ravisseur, s’ils coïncident ou non avec d’autres considérations liées au bien-être de l’enfant, et les considérations générales qui sous-tendent la Convention. »[26]

Enfin, il importe de souligner que, puisque la Convention de La Haye ne prévoit pas d’exigences ou de démarches particulières pour établir l’âge et la maturité voulus et l’opposition, le tribunal saisi doit entièrement user de son pouvoir discrétionnaire afin de déterminer si ces deux éléments sont établis. 

Le texte intégral de l’arrêt est disponible ici.

M.B.G.A. c. R.V.M., J.E. 2004-1276 : l’exception d’intégration

Dans cette affaire, la mère avait quitté le Mexique avec son enfant pour s’installer au Québec et le père demandait le retour immédiat de l’enfant. En défense, la mère prétendait que plus d’un an s’était écoulé depuis le déplacement ou le non-retour de l’enfant et que celui-ci s’était acclimaté à son milieu. La Cour supérieure a estimé que non et a donc ordonné retour immédiat de l’enfant au Mexique. La Cour d’appel a infirmé cette décision.

La défense d’intégration est une autre exception à la règle générale du retour immédiat de l’enfant. La Loi édicte que lorsque plus d’un an s’est écoulé depuis le déplacement illicite de l’enfant, le tribunal ordonne son retour immédiat « à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu. »[27].

Dans cet arrêt, la Cour d’appel du Québec interprète cette exception et ses critères d’application.

La Convention et la Loi ne contiennent aucune définition du concept d’intégration. Il demeure qu’il faut pouvoir démontrer « que l’enfant s’est intégré à la communauté à savoir le milieu, l’école, les amis, etc. » [28]. Le plus haut tribunal de la province a considéré que « […] l’intégration doit comporter une connotation émotive en ce que l’enfant doit se sentir en sécurité; ce milieu est donc stable et offre un caractère de permanence […] [P]lus le temps passé par l’enfant dans ce milieu sera long, plus cela sera déterminant. »[29] Elle a également mentionné l’importance de l’aspect psychologique afin d’assurer la stabilité de l’enfant[30].

Rappelons que le fardeau de démontrer l’application d’une des exceptions repose toujours sur les épaules du parent à l’origine du déplacement illicite.

Le texte intégral de l’arrêt est disponible ici.

Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551: l’exception du risque grave

Dans cette affaire, la mère avait quitté l’Écosse avec son enfant, afin de s’installer définitivement chez ses propres parents, au Manitoba. Le père de l’enfant réclamait le retour immédiat de celui-ci en vertu de la Loi manitobaine qui appliquait la Convention de La Haye[31]. Le déplacement avait été considéré comme étant illicite et le retour immédiat de l’enfant devait être ordonné. La mère, en défense, a cependant invoqué l’exception du risque grave de préjudice psychique pour son enfant, advenant son retour dans son pays de résidence habituelle. La Cour suprême fut d’avis que le risque que la mère invoquait n’atteignait pas le seuil de gravité invoqué dans le libellé de l’article 13 (b) de la Convention[32].

Cette exception est formulée ainsi:

ARTICLE 13

Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit:[…]

a) […]

b) qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

Interprétant restrictivement cette exception au retour immédiat de l’enfant, la Cour a spécifié que le risque invoqué doit présager une situation intolérable, comme le formule l’article. La Cour estime que le préjudice psychique que subirait l’enfant en étant séparé de sa mère pour vivre avec son père n’atteint pas le degré d’intolérabilité requis pour justifier un refus de le retourner en Écosse.

Décidément, une interprétation différente et plus souple de cette exception minerait l’objet de la Convention, qui vise l’intérêt de l’enfant en ordonnant son retour au lieu de sa résidence habituelle.

Le texte intégral de l’arrêt est disponible ici.

Conclusion

Bien que plusieurs autres jugements étayent les notions importantes relatives au droit en matière d’enlèvement international d’enfants, ceux que nous avons cités démontrent bien l’application de la règle générale ainsi que certaines de ses exceptions qui déterminent si un enfant doit être retourné ou non au lieu de sa résidence habituelle.

La jurisprudence des tribunaux supérieurs confirme que les exceptions au retour immédiat de l’enfant sont rares et qu’elles ne peuvent s’appliquer que dans des circonstances exceptionnelles. Autrement, c’est le retour immédiat de l’enfant au pays ou à la province de la résidence habituelle qui doit prévaloir.


[1] Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551, 30 et 31.

[2] Convention sur les aspects civil de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983 no 35, (ci-après « Convention »)

[3] Canada (Attorney General) c. Ontario (Attorney General) (Conventions du travail), [1937] A.C. 326.

[4] Thomson c. Thomson, préc., note 1, 32.

[5] L.R.Q., c. A-23.01 (ci-après « la Loi »)

[6] Id., préambule.

[7] Id., art. 1 al.1.

[8] Id., art. 5.

[9] Id., art. 3 al. 1.

[10] Id., art. 4.

[11] Id., art. 20 al. 2.

[12] Id., art. 22 (1).

[13] Id., art. 21 (1).

[14] Id., art. 21 (2).

[15] Id., art. 22 (2).

[16] Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants, préc., note. 5, art.2.

[17] W. (V.) c. S. (D.), [1996] 2 R.C.S.108, par. 22.

[18] Id., par. 28.

[19] Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, par. 40.

[20] Id., par. 41.

[21] Id., par. 42.

[22] Id., par. 44.

[23] Id., par. 47.

[24] Id., par. 48.

[25] Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, préc., note 19, par. 29.

[26] Id., par. 81.

[27] Convention, art. 12 al.2.

[28] M.B.G.A. c. R.V.M., J.E. 2004-1276, par. 37.

[29] Id.

[30] Id., par. 38.

[31] Loi sur l’exécution des ordonnances de garde, L.R.M. 1987, c. C360.

[32] Qui est repris à l’article 21(2) de la Loi.

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