et
Krystelle Metras
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11 Avr 2022

Confusion des modalités de la restitution et de la réparation en matière de nullité de contrat : la Cour d’appel rectifie une condamnation in solidum

Par Ouafa Younes, avocate et Krystelle Metras, étudiante à l'Université de Montréal

En nullité de contrat immobilier causé par le dol, est-ce que la notaire commettant une faute professionnelle doit être tenue responsable in solidum avec les vendeurs et le courtier fautifs pour les dommages et la restitution des prestations? Une notaire fait appel d’un jugement la condamnant dans ces termes. Dans son arrêt Rodgers c. Gaudet[1], la Cour d’appel est d’avis que le tribunal de première instance a erré en droit dans son application de la jurisprudence antérieure, et qu’il y a lieu de rectifier le quantum des dommages que la notaire doit aux acheteurs qui l’avaient engagée aux fins de conclusion du contrat.

Contexte

Le 9 novembre 2013, les acheteurs Gaudet et Tremblay visitent une propriété à Chelsea. Pendant leur visite, le courtier immobilier Julio Valenzuela, neveu des vendeurs Paris et Filion, omet de leur spécifier que la maison se trouve dans une zone à risque moyen-élevé de glissement de terrain. De plus, la déclaration des vendeurs dont ils prennent connaissance ne mentionne aucunement des « problèmes reliés au sol tels que glissement, affaissement, mouvement de terrain ou instabilité de sol affectant l’immeuble »[2]. Lors de la visite, ils ne s’aventurent pas dans le boisé arrière, où des traces de glissement de terrain sont apparents.

La journée-même, les acheteurs déposent une offre d’achat conditionnelle à l’examen de la déclaration du vendeur, l’obtention d’un certificat de localisation et une inspection. Celle-ci est acceptée par les vendeurs quelques heures plus tard.

Après l’inspection de la maison le 14 novembre 2013, malgré qu’ils n’aient pas reçu le plan de localisation, les acheteurs signent l’avis de réalisation des conditions prévues dans leur promesse d’achat et retiennent les services de la notaire, Me Rodgers, afin de préparer la transaction et la recevoir.

Une semaine avant la transaction, la notaire reçoit enfin le certificat de localisation. Sur celui-ci, il est indiqué : « [l]e bien-fonds est situé en tout à l’intérieur d’une zone de contrainte à l’occupation humaine selon le règlement portant le numéro 635-05 et qui a été modifié sous le numéro 795‑11 »[3]. Sans vérifier ce que révèle ledit règlement et sans communiquer avec l’arpenteur-géomètre, elle suppose qu’il s’agit de limitations ou conditions à la possibilité d’installer des dépendances sur la propriété et ne fait pas de suivi à ce sujet.

Toutefois, le règlement mentionné au certificat « situe la propriété dans une des « zones de mouvement de masse » à risque moyen/élevé situées sur le territoire de la MRC des Collines-de-l’Outaouais, plus précisément dans une des « zones exposées aux glissements de terrain » de la municipalité de Chelsea »[4].

Sans connaître ce fait important, les acheteurs achètent la maison le 14 mars 2013 pour le prix de 347 000$.

Au moins d’avril 2014, les acheteurs se rendent compte de la situation dans laquelle se trouve leur immeuble. Après deux mises en demeure, le 11 juin 2015, ils déposent contre les vendeurs, le courtier et l’appelante une demande en annulation de la vente et en dommages pour remboursement du prix d’achat, des impenses qu’ils ont assumées pour les rénovations à l’immeuble, ainsi que pour dommages moraux, troubles et inconvénients, le tout totalisant la somme de 425 648,89 $. Ils modifient ensuite les conclusions recherchées afin que les quatre défendeurs soient tenus responsables in solidum au remboursement du prix de vente et au paiement de tous les dommages revendiqués.

Décision en première instance

En première instance, le juge a conclu qu’il y avait eu dol et que les vendeurs et le courtier y avaient contribué en cachant sciemment l’information. Il a également reconnu que la notaire avait commis une faute professionnelle en négligeant de fournir les conseils appropriés à ses clients et qu’elle avait ainsi contribué aux dommages des acheteurs, même si celle-ci n’avait pas pris part au dol.

Le juge, s’appuyant sur l’arrêt Bourque c. Poudrier[5], retient qu’en cas de faute accessoire dans un contexte d’annulation d’une transaction immobilière, « le préjudice causé par la faute du notaire [est] équivalent au prix de la vente que les vendeurs [sont] également tenus de restituer »[6].

Conséquemment, le Tribunal de première instance conclut à la condamnation in solidum des vendeurs, du courtier et de la notaire pour le prix d’achat de 347 500 $, les impenses de 63 909,40 $, les frais de transaction de 8 148,89 $ et les dommages moraux de 9 776 $. Puisque les vendeurs n’ont pas de fonds pour effectuer la restitution, il conçoit que « les acquéreurs vont chercher les dommages in solidum soit auprès du courtier, soit auprès de la notaire »[7].

Les motifs de la Cour d’appel

La notaire soulève neuf moyens d’appel. Dans le cadre du présent billet, nous abordons uniquement les trois moyens retenus par la Cour, dont deux ont permis l’accueil de l’appel en partie.

Tout d’abord, puisqu’elle n’a pas commis de dol à l’égard des acheteurs, l’appelante prétend que le juge de première instance s’est trompé en ne lui permettant pas d’invoquer la défense d’erreur inexcusable. Ensuite, elle plaide que ce même juge a erré dans l’application de l’arrêt Bourque c. Poudrier en la condamnant à une indemnisation par équivalent représentant le plein prix d’acquisition payé par les acheteurs. Finalement, elle soutient que le juge a aussi erré en considérant que les dommages allégués en sus du prix d’acquisition pouvaient être accordés in solidum à son encontre ainsi qu’en statuant que ces mêmes dommages étaient prévisibles selon l’article 1613 C.c.Q.

  1. La défense d’erreur inexcusable ne peut s’appliquer qu’aux parties au contrat

Selon l’appelante, elle pouvait se prévaloir de la défense d’erreur d’inexcusable en l’espèce et, subsidiairement, elle pouvait également invoquer la faute contributoire des acheteurs.

Sur la défense d’erreur inexcusable, la Cour d’appel précise que le premier juge n’a pas erré en droit, mais que son raisonnement aboutissant au rejet de cette défense est erroné. En effet, puisque la notaire n’a pas pris part à l’orchestration du dol, le juge aurait dû analyser autrement afin de déterminer si la notaire pouvait se prévaloir de ce moyen de défense auprès des poursuivants.

Ainsi, la Cour est d’avis que l’appelante ne pouvait pas se prévaloir de ce moyen de défense pour les motifs suivants :

« L’appelante ne pouvait en effet se prévaloir de la défense d’erreur inexcusable visée par l’article 1400 al. 2 C.c.Q. puisque cette disposition concerne les conditions qui s’imposent aux parties lors de la formation de leur contrat. Or, la seule entente contractuelle qui liait l’appelante aux acheteurs découlait du contrat de services professionnels que ces derniers lui avaient confié, d’une part, et la validité de leur consentement à ce contrat n’était aucunement en litige, d’autre part. »[8] (Souligné dans l’original.)

Pour ce qui est de la faute contributoire, la Cour précise que, même s’il est possible pour un codébiteur in solidum d’opposer celle-ci aux créanciers, l’appelante ne pouvait se prévaloir de ce moyen puisque les acheteurs n’en ont commis aucune. La faute professionnelle de ne pas vérifier la signification des mots employés sur l’avis de localisation était la sienne, et il serait incohérent de demander aux individus retenant ses services de contrevérifier l’information qu’elle leur soumet, surtout lorsque la relation contractuelle en est une de confiance, les cocontractants ayant déjà retenu ses services à quatre reprises dans le passé[9].

2. L’évaluation des dommages et de la restitution diffère de ceux calculés dans l’arrêt Bourque c. Poudrier

La notaire soutient que l’application de cet arrêt aux faits en litige fut incorrecte, et que le juge de première instance s’est mépris en la condamnant à une indemnisation par équivalent représentant le plein prix d’acquisition payé par les acheteurs.

La Cour accueille ce moyen d’appel et est d’avis que le juge de première instance a erré en droit en condamnant in solidum l’appelante et les participants au dol et ce, par son application erronée de l’arrêt Bourque c. Poudrier[10] au calcul du quantum des dommages et de la restitution. Les juges précisent :

« L’auteur Fréchette souligne que l’annulation d’un contrat en raison d’un dol et la restitution des prestations qui en découle en principe constituent une sanction du comportement de son auteur. Or, en condamnant l’appelante à des dommages d’un montant équivalant à la restitution du prix d’achat, sans cerner et quantifier d’abord le préjudice causé par sa faute, le juge la sanctionne indûment au même titre que les instigateurs du dol, seule cause de nullité de la transaction. Certes, la responsabilité professionnelle du notaire est entière lorsque ses conditions d’établissement sont satisfaites, soit une faute, un préjudice et un lien de causalité, mais elle ne saurait être en soi, et en toutes circonstances, une forme de quasi-caution ou de protection dont doit bénéficier l’acheteur en cas d’annulation du contrat auquel il est partie en raison du dol de son cocontractant ».[11] (Référence omise. En italique dans l’original.)

La Cour d’appel soulève deux différences entre les deux espèces :

« Le préjudice causé aux acheteurs par la faute du notaire dans cette affaire résultait de l’achat d’un terrain vacant « inutilisable », d’une inutilité totale et « sans valeur réelle », alors que celui en l’espèce, à la différence des faits prouvés dans Bourque, mais comme c’était le cas dans Chartré […], conserve une valeur réelle appréciable. La preuve d’experts administrée par les acheteurs eux-mêmes a en effet établi que la présence de l’Immeuble dans la zone à risque ne lui enlève pas toute utilité potentielle ou toute valeur, mais diminue plutôt cette dernière de 55 000 $ à 70 000 $. De plus, dans Bourque c. Poudrier, le préjudice résultant de l’achat d’un terrain totalement inutile et sans aucune valeur découlait, indistinctement, tant du dol des vendeurs, qui avaient menti en niant l’existence des servitudes, que de la faute de la notaire qui, en raison d’une recherche de titres négligente, n’avait pas informé ses clients de leur existence, de leur nature et de leur nombre. Ainsi, à la différence de notre affaire, dans celle-là les acheteurs auraient pu poursuivre uniquement la notaire pour obtenir le même montant de compensation monétaire que s’ils avaient seulement poursuivi les vendeurs. Ici, les acheteurs n’auraient pu obtenir la condamnation de l’appelante au paiement de dommages équivalant à la restitution du prix de vente s’ils n’avaient poursuivi qu’elle ».[12] (Référence omise.)

La plus haute Cour de la province reproche au premier juge de ne pas avoir analysé ni quantifié le préjudice que la notaire a causé aux acheteurs. En effet, puisque sa faute professionnelle se distingue du dol des vendeurs et du courtier, elle devait réparer son préjudice en dommages et intérêts, alors que seuls les vendeurs et courtier devaient restituer le prix d’achat de la propriété selon les modalités visant à remettre les parties dans l’état où ils se trouvaient avant la conclusion du contrat vicié par le dol.

À la lumière de ces renseignements, la Cour infirme le jugement de première instance en partie, en condamnant l’appelante in solidum avec les vendeurs et le courtier uniquement pour la perte de valeur de 70 000$ de l’immeuble. Le montant restant, soit 277 500$, sera à la seule charge des vendeurs et du courtier, in solidum.

« Ces derniers et la notaire [sont] ainsi tenus à une indemnisation conforme au préjudice qu’ont réellement causé aux acheteurs leur faits et gestes fautifs respectifs, aucune des parties[n’est] ainsi indûment sanctionnée, ou doublement indemnisée, et les acheteurs conservent le bénéfice d’une juste condamnation des défendeurs in solidum ».[13]

3. La condamnation au paiement des impenses imprévisibles revient aux vendeurs tenus au paiement des dommages équivalent à la restitution du prix de vente

Selon Me Rodgers, le premier juge a erré en la condamnant in solidum pour les dommages qui découlent de la restitution du prix d’acquisition et en concluant que ces dommages étaient prévisibles en vertu de l’article 1613 C.c.Q.

D’après le Tribunal d’appel, la logique selon laquelle le vendeur est tenu de rembourser à l’acheteur les impenses nécessaires ou les impenses utiles en cas d’annulation de contrat d’achat « découle du fait qu’il ne saurait s’enrichir en recevant un immeuble amélioré, ou auquel une plus-value a été apportée »[14].

Puisque la Cour a conclu que l’appelante n’est pas tenue au paiement de dommages correspondant à la restitution du prix de vente, « elle ne saurait être condamnée au paiement des impenses utiles de 63 909,40 $ apportées à un immeuble qui ne lui sera pas restitué »[15].

Qui plus est, la Cour d’appel estime que les frais de déménagement, des droits de mutation et des frais d’inspection doivent être remboursés aux acheteurs en lien avec l’annulation du contrat de vente et la restitution de l’immeuble. Selon elle, ces dommages ne sont pas une suite prévisible, immédiate et directe[16] de la faute professionnelle de l’appelante.

La Cour infirme donc la condamnation de l’appelante au paiement de ces frais. Néanmoins, elle maintient la condamnation du remboursement des honoraires de la notaire aux acheteurs.

Finalement, la Cour d’appel donne raison aux moyens d’appel de la notaire, en partie.

Conclusion

La Cour d’appel indique qu’en justifiant sa conclusion au motif que « les vendeurs [insolvables] n’ont pas de fonds pour effectuer la restitution et que les acquéreurs vont chercher les dommages in solidum soit auprès du courtier, soit auprès de la notaire »[17], le premier juge semble avoir interprété la responsabilité in solidum comme une solution en équité (equity). Elle rappelle que « cette juridiction issue de la common law anglaise […] ne [saurait] remplacer la règle de droit [en droit civil] »[18]. Ainsi, il est inadéquat de condamner tous les défendeurs in solidum dans le but que la partie demanderesse puisse recevoir son dû advenant l’insolvabilité d’un ou plusieurs défendeurs.

Le texte intégral de l’arrêt est disponible ici


[1] Rodgers c. Gaudet, 2022 QCCA 232

[2] Id., par. 6

[3] Id., par. 12

[4] Id.

[5] Bourque c. Poudrier, 2013 QCCA 1663

[6] Gaudet c. Paris, 2018 QCCS 5894, par. 168

[7] Id., par. 201

[8] Rodgers c. Gaudet, préc. note 1, par. 52

[9] Id., par. 60

[10] Bourque c. Poudrier, préc., note 4

[11] Rodgers c. Gaudet, préc., note 1, par.71

[12] Id., par. 79

[13] Id. par. 90

[14] Id., par. 106

[15] Id.

[16] 1607 C.c.Q.

[17] Rodgers c. Gaudet, préc., note 1, par.31

[18] Id., par.77

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