Sommaire de la Cour d’appel : Eurobank Ergasias c. Bombardier inc., 2022 QCCA 802
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
EFFETS DE COMMERCE : L’appelante, qui a honoré une lettre de garantie même si elle avait une connaissance suffisante de la fraude du bénéficiaire de la lettre, ne peut exiger l’exécution de la lettre de contre-garantie dont elle était elle-même bénéficiaire.
2022EXP-1633
Intitulé : Eurobank Ergasias c. Bombardier inc., 2022 QCCA 802
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal
Décision de : Juges Robert M. Mainville, Stephen W. Hamilton et Christine Baudouin
Date : 7 juin 2022
Références : SOQUIJ AZ-51858542, 2022EXP-1633 (51 pages)
EFFETS DE COMMERCE — lettre de contre-garantie — force exécutoire — fraude — bénéficiaire — lettre de garantie — demande de paiement — menace de sanctions — non-respect d’ordonnances interdisant d’honorer la lettre de garantie — connaissance de la fraude — politique judiciaire — ordre public — crédibilité du système des lettres de crédit — contournement du processus d’arbitrage — injonction.
INTERNATIONAL (DROIT) — compétence des tribunaux — tribunaux québécois — effets de commerce — lettre de contre-garantie — exécution — action personnelle — défendeur domicilié au Québec — sentence arbitrale — homologation — injonction.
PROCÉDURE CIVILE — appel — nouvelle preuve — traduction certifiée — décision d’un tribunal étranger.
Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande de paiement en vertu d’une lettre de contre-garantie. Accueilli en partie, avec dissidence. Requête pour permission de présenter une nouvelle preuve. Accueillie.
En 1998, l’intimée Bombardier inc. s’est engagée à livrer des appareils CL-415 au ministère grec de la Défense nationale. En outre, elle a promis de recourir, dans la mesure du possible, à des sous-traitants et à des fournisseurs grecs. Dans l’éventualité où elle ne pourrait respecter cet engagement, Bombardier devait payer des dommages-intérêts liquidés, qui étaient garantis au moyen d’une lettre de garantie délivrée par l’appelante, une banque grecque, en faveur du Ministère. Cette dernière était elle-même bénéficiaire d’une lettre de contre-garantie produite par l’intimée Banque Nationale du Canada (BNC). En 2008, Bombardier et le Ministère sont allés en arbitrage afin de régler un différend portant sur l’engagement de Bombardier. En 2012, le Ministère a affirmé qu’il ne chercherait pas à obtenir le paiement en vertu de la lettre de garantie tant que le processus d’arbitrage serait en cours. En 2013, il a entrepris des démarches pour se faire payer, allant jusqu’à menacer l’appelante de sanctions. Cette dernière a alors libéré les fonds quelques jours avant que le tribunal d’arbitrage ne donne raison à Bombardier en concluant à la nullité du contrat comportant son engagement.
En première instance, Bombardier cherchait notamment à obtenir une injonction visant la BNC afin d’empêcher celle-ci de payer toute somme à l’appelante en vertu de la lettre de contre-garantie. Le juge de première instance lui a donné raison.
Décision
M. le juge Mainville, à l’opinion duquel souscrit la juge Baudouin: Puisqu’il est question d’une action personnelle à caractère patrimonial et que la BNC est domiciliée au Québec, la Cour supérieure avait compétence pour entendre le litige en vertu des articles 3134 et 3148 paragraphe 1 du Code civil du Québec (C.C.Q.). De plus, l’article 652 du Code de procédure civile permettait au tribunal d’homologuer la sentence arbitrale. Par contre, la Cour supérieure n’était pas compétente pour ordonner au Ministère de se conformer à la décision finale du tribunal d’arbitrage. Le dispositif du jugement doit donc être modifié en conséquence.
Quant à la force exécutoire de la lettre de contre-garantie, la personne qui délivre une lettre de crédit a l’obligation d’honorer celle-ci sur présentation des documents requis, sauf dans un cas de fraude. En l’espèce, l’appelante avait une connaissance suffisante de la fraude du Ministère avant d’effectuer le paiement. En outre, le fait d’avoir payé sous la menace de sanctions ne l’exonère pas de sa responsabilité, pas plus qu’il ne lui donne le droit d’exiger que la BNC honore la lettre de contre-garantie. De plus, au moment du paiement, l’appelante a fait fi des ordonnances rendues par la Cour supérieure et le tribunal d’arbitrage, lesquelles enjoignaient au Ministère de ne pas réclamer l’exécution de la lettre de garantie. Les ordonnances de la Cour supérieure interdisaient aussi à l’appelante d’honorer celle-ci. Or, la politique judiciaire et l’exception d’ordre public dont il est question aux articles 3081 et 3155 paragraphe 5 C.C.Q. requièrent le respect de ces ordonnances, tout comme la crédibilité même du système des lettres de crédit. En l’espèce, ordonner à la BNC d’honorer la lettre de contre-garantie équivaudrait à cautionner le contournement d’un processus d’arbitrage au moyen d’une fraude et de menaces. Cela viderait de leur sens les diverses ordonnances rendues dans le dossier.
M. le juge Hamilton: Bien qu’il faille conclure à une conduite frauduleuse de la part du Ministère, il n’était pas manifeste, pour l’appelante, que la demande de paiement en vertu de la lettre de garantie était frauduleuse. Elle aurait donc dû avoir droit au paiement en vertu de la lettre de contre-garantie.
Instance précédente : Juge André Wery, C.S., Montréal, 500-11-046106-148, 2018-06-21, 2018 QCCS 2127, SOQUIJ AZ-51505317.
Réf. ant : (C.S., 2018-06-21), 2018 QCCS 2127, SOQUIJ AZ-51505317.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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