« L’auberge québécoise » : Quels locataires qualifie-t-on de sous-locateurs ? Quels risques courent-ils ?
Par David Searle, avocat
De plus en plus de ménages québécois se tournent vers le partage d’un même logement locatif pour pallier les effets de la crise du logement. Or, un tel partage soulève plusieurs questions quant à la nature des relations juridiques convenues entre les parties et les obligations qui en découlent.
Des différentes qualifications possibles, les tribunaux arrêtent leur choix principalement parmi les options suivantes : la location par plusieurs locataires[1] ; la sous-location[2] ; la colocation[3] ; et le prêt à usage[4].
Deux jugements récents pour mieux comprendre la sous-location
Ce billet offre une analyse de Poirier c. Levac (2019 QCRDL 16824) et Levac c. Poirier (2022 QCCQ 2916). Ces arrêts proposent en première instance et en appel respectivement des réponses d’actualité aux questions suivantes :
- Dans quelles circonstances devons-nous qualifier de sous-location le partage effectué d’un logement donné ?
- En présence d’une sous-location, dans quels cas des locateurs peuvent-ils aviser leurs locataires de la non-reconduction d’un bail de logement en vertu de l’article 1944 C.c.Q. ?
Avant d’exposer les conclusions de ces jugements, rappelons brièvement les principes du recours au cœur de ce litige.
1944 C.c.Q. : Une exception au droit au maintien dans les lieux
Le droit du logement est fondé sur la prémisse que les locataires jouissent d’un droit au maintien dans les lieux[5]. Un bail se renouvelle donc de plein droit chaque année[6].
Cependant, quelques menues exceptions viennent limiter ce droit. Une d’entre elles est prévue à l’article 1944 C.c.Q., al. 1 :
1944. Le locateur peut, lorsque le locataire a sous-loué le logement pendant plus de 12 mois, éviter la reconduction du bail, s’il avise le locataire et le sous-locataire de son intention d’y mettre fin, dans les mêmes délais que s’il y apportait une modification. […]
À la réception d’un tel avis, il incombe aux locataires (que l’on peut également qualifier de sous-locateurs) de demander au TAL dans un délai d’un mois de statuer sur la validité de l’avis, sans quoi ils sont réputés avoir renoncé à leur droit au maintien dans les lieux[7].
Poirier c. Levac, 2019 QCRDL 16824
Dans cette affaire, le locataire, Poirier, s’oppose à l’avis de non-reconduction de bail reçu de son locateur, Levac. Le locataire habite un logement de type 4 et demi depuis 1998 et paie au moment du litige un loyer mensuel de 635 $. En 2009, il s’établit en Gaspésie et devient même propriétaire d’une résidence dans cette région. C’est d’ailleurs à son domicile gaspésien qu’il reçoit sa correspondance.
Depuis 2009, il revient annuellement entre deux (2) et quatre (4) semaines à Montréal. Il reste à ces moments au logement, à même sa chambre. Il qualifie son logement de pied-à-terre. Pour des raisons budgétaires, il loue à partir de la même date l’autre des deux chambres à des individus qu’il appelle des « chambreurs ».
Pascal Vigneault occupe la deuxième chambre à partir de 2012. Aucune entente écrite n’est signée entre eux et aucun avis de sous-location n’est envoyé au locateur pour l’aviser d’une sous-location. Monsieur Vigneault paie au locataire 440 $ par mois pour le loyer, les services d’Internet, de téléphonie et d’électricité. Le locataire assume le solde du loyer (195 $ par mois) et verse la totalité du loyer dû au locateur. Il est également convenu que monsieur Vigneault peut utiliser les parties communes meublées avec les effets du locataire. Au procès, le locataire qualifie leur entente de colocation.
- Quel lien contractuel lie Pascal Vigneault au locataire ?
Dans un premier temps, le Tribunal administratif du logement (ci-après le « TAL »), constate que l’entente entre les parties comprend les éléments essentiels d’un bail de louage (soit l’habitation d’un espace loué, moyennant le paiement d’un loyer).
Dans un deuxième temps, le TAL qualifie ce bail de sous-location en se fondant sur l’intention des parties[8] :
Il ressort plutôt de la description des faits que le locataire assume une certaine prise en charge de Vigneault, de laquelle découle des obligations pouvant être assimilées à celles d’un locateur.[9]
Il s’appuie sur :
- L’utilisation d’une chambre et des aires communes meublées par le sous-locataire ;
- La chambre du locataire reste à son usage exclusif ; et
- La fourniture des services par le locataire : l’électricité, le téléphone et Internet.
En revanche, l’absence d’avis de sous-location au locateur ou d’entente écrite entre les parties ne permet pas d’exclure la sous-location.
- Invalidité de l’avis de non-reconduction de bail
Pour terminer, le TAL détermine que l’article 1944 C.c.Q. ne trouve pas son application et déclare l’avis de non-reconduction invalide. D’une part, le sous-locataire n’occupe qu’une partie des lieux loués, et le locataire se réserve une chambre. D’autre part, ce dernier « continue d’occuper le logement sur une base régulière, bien que discontinue ». Peu importe que son domicile soit en Gaspésie, « la loi ne comporte aucune restriction au seuil minimal quant au temps d’occupation qu’un locataire doit faire de son logement. »[10]
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
Levac c. Poirier, 2022 QCCQ 2916
Le locateur portera cette décision en appel. La Cour du Québec, sous la plume de l’honorable Enrico Forlini, ne se penche pas sur la qualification de sous-location, qui n’a pas été remise en question. Elle tranche uniquement la question de droit suivante :
Un locataire peut-il bénéficier du droit au maintien dans les lieux et de la reconduction du bail même s’il a sous-loué le logement pendant plus de douze mois, et si oui, dans quelles circonstances ?[11]
La Cour répond par l’affirmative et confirme la décision rendue en première instance. Le droit locatif est axé dans son entièreté sur le droit au maintien dans les lieux. Alors que l’article 1944 C.c.Q. restreint ce droit, il doit être interprété de façon restrictive. Le juge Forlini se fonde entre autres sur :
- Les principes d’interprétation des lois tirés de l’arrêt Vavilov ;[12]
- Les enseignements du professeur Jobin ; [13]
- L’article 41 de la Loi d’interprétation ;[14]
- « [Le] contexte de la crise socio-économique de la pénurie du logement, fait que le Tribunal a connaissance d’office ».[15]
Ainsi, la Cour conclut que même une occupation occasionnelle d’un logement par le locataire fait échec à la non-reconduction du bail. Elle se fonde sur un obiter du juge Rochette dans l’arrêt de 2010 de la Cour d’appel, Vaillancourt c. Dion[16]. Une occupation sur une base régulière, comme occasionnelle, permet au locataire de forcer la reconduction de son bail. En l’espèce, une période d’environ 20 jours par année d’occupation satisfait au critère d’occupation occasionnelle développée par la Cour d’appel.
En terminant, la Cour précise que l’espace occupé par le locataire et le sous-locataire dans le logement ne doit pas influencer l’interprétation que font les tribunaux de l’article 1944 C.c.Q. Il évacue donc ce critère qui avait été utilisé en première instance.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
Commentaire
Le droit du logement souffre de certaines ambiguïtés en ce qui concerne le partage d’un même logement par plusieurs occupants.
Voici quelques conclusions que nous pouvons retenir de ces jugements fort éclairants :
- En présence des éléments suivants, nous risquons d’être en présence d’une sous-location :
- La contribution par les sous-locataires pour le loyer ;
- Le paiement du loyer par le sous-locateur au locateur ;
- La fourniture de services au sous-locataire par le sous-locateur ; et
- L’utilisation par le sous-locataire des meubles du sous-locateur dans les espaces communs du logement.
- A contario, une relation égalitaire caractérisera davantage les rapports entre les occupants en colocation ;
- Des locataires peuvent faire échec à un avis de non-reconduction de bail reçu de leurs locateurs en vertu de 1944 C.c.Q. en prouvant l’occupation occasionnelle ou régulière du logement.[17]
[1] Chaque occupant.e aurait alors un bail de logement à son nom avec le.s locateur.s.
[2] Pour distinguer la sous-location de la colocation, voir : https://blogue.soquij.qc.ca/2020/11/17/recours-entre-occupants-dun-meme-logement/.
[3] Ibid.
[4] Lorsque l’usage est à titre gratuit : 2313 C.c.Q. Ex : Lamarre c. Lamarre, 2017 QCRDL 33889.
[5] 1936 C.c.Q.
[6] 1941 C.c.Q.
[7] 1948 C.c.Q. Un défaut d’agir dans les délais prévus est fatal pour les locataires qui désirent rester dans le logement. Pour le jugement de principe en la matière, voir : Adam c. Saulnier, 2014 QCCQ 1958.
[8] Voir pour un autre exemple : Salera c. Castillo, 2016 QCRDL 19591.
[9] Poirier c. Levac, 2019 QCRDL 16824, par. 42
[10] Ibid, par. 58.
[11] Levac c. Poirier, 2022 QCCQ 2916, par. 23.
[12] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019CSC65, par. 117.
[13] Jobin, Pierre-Gabriel, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996.
[14] Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16, art. 41.
[15] Supra note 11, par. 71.
[16] 2010 QCCA 1499.
[17] En obiter, le Juge Forlini remarque qu’il s’agit essentiellement d’une question de faits. Notons que l’appelant avait contesté que le locataire occupait même occasionnellement le logement par le locataire en appel. Alors que le locateur n’avait pas déposé en preuve une transcription de l’enregistrement en première instance, ce moyen d’appel n’a pas été retenu.
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