L’émission d’une ordonnance de protection : une nouvelle arme pour les syndicats de copropriété face au comportement menaçant d’un copropriétaire
Par Sophie Lecomte, avocate
Dans une décision récente, Condominiums 353 Querbes c. Clément, 2022 QCCS 185, la Cour supérieure nous enseigne qu’un syndicat de copropriété (ci-après « Syndicat ») peut posséder un intérêt suffisant afin de rechercher l’émission d’une ordonnance de protection visant des copropriétaires, en vertu de l’article 509 du Code de procédure civile (ci-après « C.p.c. »).
Contexte
Dans le cadre de son recours judiciaire en annulation de prêt à usage d’une partie privative et en expulsion, le Syndicat recherche l’émission d’une ordonnance de protection visant des copropriétaires. Cette ordonnance est demandée en raison du comportement d’un copropriétaire qui a, notamment, intimidé d’autres copropriétaires et instauré un climat de terreur dans l’immeuble.
Décision et analyse
- L’intérêt suffisant du Syndicat afin de rechercher l’émission d’une ordonnance de protection
La première question posée à la Cour supérieure est la suivante :
Un Syndicat possède-t-il un intérêt suffisant pour rechercher l’émission d’une ordonnance de protection visant des copropriétaires, en vertu de l’article 509 C.p.c.?
La Cour supérieure répond par l’affirmative.
Ainsi, un Syndicat peut être autorisé à exercer un tel recours s’il possède le consentement de la victime ou est autorisé à cet effet par le tribunal :
[16] Or, suivant cette disposition, le demandeur, s’il n’est pas lui-même la victime, doit soit posséder le consentement de cette dernière, soit être autorisé à cette fin par le tribunal. En l’espèce, il faut conclure que les personnes ayant témoigné pour faire part des menaces dont elles ont été la cible ont consenti implicitement que le demandeur entreprenne la démarche juridique en l’instance, notamment en mandatant le syndicat aux fins de ce litige, en collaborant avec ce dernier et en témoignant à se demande. Par ailleurs, si l’article 49 C.p.c. permet au tribunal de prononcer une ordonnance de protection d’office, le tribunal peut aussi autoriser d’office une autre personne, ici le syndicat de copropriétaires, à se porter demandeur. J’estime que pour l’une ou l’autre raison, le demandeur possède l’intérêt juridique en l’instance.
(nos soulignements)
- Les critères à remplir afin d’obtenir l’émission d’une ordonnance de protection
- Le Syndicat doit démontrer l’apparence de droit de la menace et le préjudice sérieux ou irréparable
Il s’agit des critères usuels de l’injonction.
La Cour supérieure s’exprime ainsi :
[6] […] l’apparence de droit que la victime soit menacée et le préjudice sérieux ou irréparable, et on ajoute que le préjudice en question ne doit pas être fugace ou passager, mais qu’il doit persister dans le temps.
(nos soulignements)
La Cour supérieure nous rappelle qu’un seul événement grave, tel qu’une agression, justifierait sans doute l’émission d’une ordonnance de protection :
[8] En effet, il est difficile d’imaginer des cas où, en présence d’apparence de droit voulant qu’une personne soit menacée, il ne s’agirait pas aussi d’un préjudice sérieux ou irréparable pour la victime. De toute évidence, ces deux critères se superposent et, de ce fait, le second devient inutile. Enfin, la notion de préjudice qui persiste dans le temps pourrait également être discutée; un seul événement grave, une agression, par exemple, justifierait sans doute l’émission d’une ordonnance de protection.
(nos soulignements)
- Le Syndicat doit satisfaire aux conditions prescrites par l’article 509 C.p.c.
L’article 509 C.p.c. dispose :
509. L’injonction est une ordonnance de la Cour supérieure enjoignant à une personne ou, dans le cas d’une personne morale, d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique, à ses dirigeants ou représentants, de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé.
Une telle injonction peut enjoindre à une personne physique de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé en vue de protéger une autre personne physique dont la vie, la santé ou la sécurité est menacée. Une telle injonction, dite ordonnance de protection, peut être obtenue, notamment dans un contexte de violences, par exemple de violences basées sur une conception de l’honneur. L’ordonnance de protection ne peut être prononcée que pour le temps et aux conditions déterminées par le tribunal, et pour une durée qui ne peut excéder trois ans.
L’ordonnance de protection peut également être demandée par une autre personne ou un organisme si la personne menacée y consent ou, à défaut, sur autorisation du tribunal. […]
Le Syndicat doit satisfaire aux conditions de l’article 509 C.p.c., soit :
– une personne physique;
– dont la vie, la santé ou la sécurité est menacée;
– par une autre personne physique.
La Cour supérieure vient ici préciser la définition de la menace :
[12] En ce qui concerne la menace, celle-ci doit être objective et la crainte qui en résulte, raisonnable. Le tribunal doit être satisfait qu’une personne raisonnable placée dans la même situation s’estimerait menacée.
En l’espèce, il est reproché au copropriétaire concerné d’avoir notamment prononcé les paroles suivantes aux autres copropriétaires : « Ça va être ton tour », « Your days are numbered », « I’m gonna get you back », « I’m watching you », « Ton tour s’en vient », etc.
De façon générale, on reproche les interactions de ce copropriétaire avec les autres copropriétaires, comme étant souvent empreintes d’agressivité et de violence verbale et ayant contraint certains copropriétaires à devoir appeler la police.
La Cour supérieure conclut que les comportements agressifs et intimidants de ce copropriétaire envers les autres copropriétaires et/ou les membres de leurs familles ont été démontrés. Par conséquent, l’ensemble des critères d’émission d’une ordonnance de protection sont satisfaits.
- Les déclarations sous serment ne suffisent pas : la personne victime doit venir témoigner à l’audience
Finalement, la Cour supérieure nous enseigne que le témoignage de la victime à l’audience est nécessaire dans le cadre d’un tel recours.
En effet :
[18] Aussi, les déclarations sous serment de certains copropriétaires qui n’ont pas témoigné à l’audience, bien qu’éloquentes, ne peuvent fonder une ordonnance en leur faveur. En effet, ces déclarations ne peuvent faire preuve de leur contenu, les défendeurs n’y consentant pas et aucune preuve de la nécessité de procéder par déclaration sous serment n’ayant été administrée ni proposée.
Conclusion
Le demande du Syndicat est accueillie. Une ordonnance de protection est prononcée pour une durée n’excédant pas six mois à compter du jugement. Les défendeurs doivent s’abstenir d’agresser verbalement ou physiquement ou encore de faire mine d’agresser, d’effrayer ou de provoquer les copropriétaires. Il leur est aussi ordonné de s’abstenir de prendre des photographies ou de les filmer sans leur consentement.
L’émission d’une ordonnance de protection visant des copropriétaires, en vertu de l’article 509 C.p.c., est une nouvelle arme offerte aux syndicats de copropriété, qui devrait s’avérer, dans certaines circonstances, très utile.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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