La Cour d’appel confirme une décision rejetant une action collective en matière de perte de renseignements personnels
Par Sophie Estienne, avocate
Dans la décision Lamoureux c. OCRCVM, 2022 QCCA 685, la Cour d’appel a confirmé une décision majeure de la Cour supérieure relative à la perte de renseignements personnels. Ce jugement confirme que les craintes et désagréments subis par les membres du groupe en lien avec la perte de leurs renseignements personnels s’apparentent à des inconvénients normaux qui ne sont pas indemnisables.
Contexte
Le 22 février 2013, un inspecteur de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (« OCRCVM ») a oublié son ordinateur portable non crypté dans un train. Cet ordinateur égaré contenait les informations personnelles d’un grand nombre d’investisseurs canadiens. Malgré les efforts de l’OCRCVM, l’ordinateur n’a pas été retrouvé.
À la suite de cet incident, une première action collective est intentée par un investisseur mécontent, M. Paul Sofio, contre l’OCRCVM. Celle-ci a été rejetée dès l’autorisation, en raison de l’absence d’apparence sérieuse de droit, le demandeur n’ayant pas démontré un réel dommage indemnisable[1]. La Cour d’appel a confirmé ce jugement[2]. À la suite de cet échec, M. Danny Lamoureux dépose une nouvelle demande d’autorisation d’action collective contre l’OCRCVM, fondée sur les mêmes faits. M. Lamoureux détaille dans sa demande le stress et les inconvénients que lui et les membres du groupe ont vécus, ainsi que les dommages liés à des utilisations illicites de son identité. Cette demande d’autorisation a été autorisée par la Cour supérieure en 2017.
Décision
La perte fautive de l’ordinateur et l’omission d’avoir crypté cet ordinateur conformément aux politiques internes sont admises par l’OCRCVM. Toutefois, malgré cette admission de faute, c’est au niveau de l’analyse des dommages et de la causalité que l’action collective a été rejetée.
La Cour d’appel confirme la décision de la Cour supérieure, laquelle clarifie et confirme les circonstances pouvant donner ouverture à des dommages en matière de perte de renseignements personnels. Elle vient nous réitérer les principes suivants :
- Pour ce qui est des dommages moraux, les inconvénients normaux de la vie en société ne sont pas indemnisables. La Cour d’appel confirme que les simples craintes et désagréments subis par les membres en lien avec la perte de leurs renseignements personnels (stress, surveillance de leurs comptes, démarches auprès d’agences de crédit, honte) sont des « inconvénients normaux que toute personne vivant en société subit et devrait être tenue d’accepter[3] ». Elle s’appuie notamment sur la décision de la Cour d’appel dans Sofio et sur l’arrêt Mustapha[4] de la Cour suprême.
- Pour ce qui est des dommages-intérêts compensatoires, il incombait à l’appelant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’utilisation illicite et la tentative d’utilisation illicite des renseignements étaient le résultat de la perte de l’ordinateur.
- Pour ce qui est des dommages-intérêts punitifs, l’OCRCVM a eu une conduite diligente. La faute de l’OCRCVM n’était pas intentionnelle et celle-ci a pris les mesures requises, en temps opportun, conformément aux normes applicables en pareilles circonstances, tel que l’a démontré la preuve d’expert.
Conclusion
Cette décision renforce le principe voulant que les inconvénients normaux ne soient pas indemnisables en matière d’action collective et de protection des renseignements personnels.
Ce jugement suggère également que la preuve d’une réponse rapide et diligente, qui respecte les normes applicables en pareilles circonstances à la suite d’une perte de renseignements personnels, représente un élément important dans l’analyse d’une réclamation en dommages‑intérêts punitifs.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2014 QCCS 4061.
[2] Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820.
[3] Lamoureux c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2021 QCCS 1093, par. 7.
[4] Mustapha c. Culligan du Canada ltée, 2008 CSC 27, [2008] 2 R.C.S. 114.
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