Divergence entre un représentant d’action collective et ses avocats : jusqu’où s’applique le secret professionnel?
Par Antoine Duranleau-Hendrickx, avocat
Lorsqu’un représentant d’une action collective autorisée souhaite renoncer à son statut et invoque une « divergence », la partie défenderesse peut-elle l’interroger pour préciser la nature de cette divergence avocat-client? Dans l’arrêt M.L. c. Guillot, 2022 QCCS 2673, la Juge Nancy Bonsaint, j.c.s., est saisie d’une objection faite sur une question posée hors la présence du tribunal.
Contexte
En 2021, la Cour d’appel autorise l’exercice d’une action en dommages-intérêts pour des sévices physiques, psychologiques ainsi que d’harcèlement sexuel de la part du pasteur baptiste Claude Guillot qui opérait des écoles clandestines au Québec. Le pasteur est d’ailleurs reconnu coupable de voies de fait et de 17 autres chefs d’accusation[1]. La même année, l’un des deux représentants du groupe, J., présente une permission de renoncer à son statut au profit d’un autre membre. La défenderesse est autorisée par le tribunal à interroger le représentant J.
Décision
À la question pourquoi J. souhaite renoncer à son statut, celui-ci répond qu’il a une divergence avec ses avocats sur la façon de mener à bien l’action collective. L’avocat de J. s’objecte à la demande de préciser les détails de cette divergence, invoquant le secret professionnel. Le tribunal est appelé à trancher au préalable cette objection avant de statuer sur la demande de renonciation de J.
Le tribunal commence son analyse en se posant la question si un représentant qui souhaite renoncer à son statut doit communiquer son motif de renonciation. Le tribunal fait la distinction entre la renonciation avant et après autorisation, où elle doit être accordée par le juge selon l’article 589 C.p.c. Le tribunal fait une comparaison avec la situation où un représentant demande la permission de se désister d’une action collective. Dans ce cas, la Cour d’appel dans École communautaire Belz c. Bernard[2], cité par la Juge Bonsaint, établit que le tribunal n’a pas à s’immiscer dans les raisons d’un désistement :
[33] De prime abord, les propos employés par la Cour d’appel dans l’arrêt Belz semblent témoigner d’une relative liberté du demandeur eu égard à sa demande d’autorisation et on pourrait soutenir que cette liberté devrait également être reconnue à un représentant voulant renoncer à son statut.[3]
La Juge Bonsaint rejette néanmoins les prétentions des avocats du demandeur puisque l’action collective a été autorisée :
[38] Comme le rappelle la Cour d’appel dans Belz, « [l]a demande d’autorisation d’exercer une action collective, faut-il le rappeler, n’est qu’une procédure préliminaire, souvent qualifiée d’exercice de vérification et de filtrage, qui ne vise, essentiellement, qu’à écarter les demandes frivoles, insoutenables ou manifestement mal fondées ».
[39] Il en est tout autrement du recours au fond, où le représentant remplit un rôle plus grand, celui-ci ayant l’obligation, prévue à l’article 575(4) C.p.c., d’offrir une représentation adéquate des membres. Il est donc justifié que la demande de substitution soit examinée avec davantage de rigueur par le Tribunal.[4]
La Juge Bonsaint conclut donc que le représentant, sans parler du secret professionnel, doit fournir sa justification lorsqu’il cherche à renoncer à son statut une fois l’action collective autorisée.
La Juge se penche ensuite sur la question du secret professionnel en admettant dès le départ ne pas avoir trouvé de cas semblable dans la jurisprudence[5]. Le défendeur soutient que s’enquérir de la divergence entre le représentant et ses avocats sur la manière de mener à bien l’action collective n’équivaut pas à discuter de stratégie. Ce serait plutôt une matière d’opinion entre le représentant et ses avocats, par exemple sur les dommages que le groupe devrait réclamer[6]. Le tribunal examine les trois critères donnant naissance au secret professionnel, soit :
- Il doit s’agir d’une consultation avec un avocat;
- Cette consultation doit être voulue confidentielle;
- L’opinion de l’avocat est recherchée en raison de sa qualité d’avocat.
Le tribunal considère que les deux premiers critères sont remplis. Le tribunal s’exprime sur le troisième et ultime critère :
[51] Le Tribunal est en désaccord avec la position de l’Association. En effet, lors de l’interrogatoire, alors que J… explique la raison pour laquelle il souhaite renoncer à son statut de représentant du groupe au sein de l’action collective, celui-ci explique plus précisément:
La raison, c’est qu’il y a une divergence entre mes avocats et monsieur L…, l’autre représentant, sur la façon de mener à bien cette action collective, puis c’est une divergence que M… L…, les autres victimes que je représente, n’ont pas à ma connaissance. Fait que ceci étant dit, je préfère me retirer, pour ne pas nuire aux autres membres du groupe puis aussi pour assurer le succès de l’action collective.
[52] Ces propos par le demandeur J… dénotent « une divergence » relevant davantage de la stratégie juridique employée dans le cadre de l’action collective que d’une question touchant aux relations interpersonnelles entre le demandeur et les avocats au recours.
La Juge Bonsaint conclut donc que puisque la divergence a trait à la stratégie de mener à bien le recours, le troisième critère est satisfait et l’objection est accueillie.
Commentaire
La décision de la Juge Bonsaint est vraisemblablement la première à se pencher sur la question de la couverture du secret professionnel lorsqu’un représentant invoque une divergence avec ses avocats lorsqu’il souhaite renoncer à son statut. De son propre aveu, la Juge Bonsaint dit ne pas avoir trouvé de cas similaire dans la jurisprudence.
La décision ne clôt toutefois pas la question, puisqu’elle ne statue pas sur l’application du secret professionnel touchant une divergence relative aux relations interpersonnelles entre représentant et avocats. Par exemple, si un incident avait créé des relations si tendues entre un représentant et ses avocats, la nature dudit incident serait-elle protégée par le secret professionnel? La question reste ouverte et dépendra probablement des circonstances particulières de chaque affaire.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] R. c. Guillot, 2022 QCCQ 5444.
[2] École communautaire Belz c. Bernard, 2021 QCCA 905, par. 21.
[3] M.L. c. Guillot, 2022 QCCS 2673, par. 33.
[4] Ibid, par. 38-39.
[5] Ibid, par. 41.
[6] Ibid, par. 45.
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