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Amélie Lemay
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15 Août 2022

La Cour suprême clarifie la norme d’examen en matière d’abus de procédure dans les procédures administratives

Par Amélie Lemay, avocate

Le 8 juillet 2022, la Cour suprême du Canada a rendu une décision importante en droit administratif concernant les délais déraisonnables. L’arrêt Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, apporte un éclairage sur les principes applicables en matière de demande en arrêt des procédures pour délai déraisonnable dans un contexte de droit administratif.  

Contexte

En 2012, le Barreau de la Saskatchewan entame une enquête de vérification sur M. Abrametz, avocat membre. En 2018, ce dernier a été déclaré coupable de quatre chefs d’accusation de conduite indigne d’un avocat. Dans une décision rendue en janvier 2019, le comité d’audition ordonne la radiation de M. Abrametz. Durant les procédures disciplinaires, l’avocat demande un arrêt des procédures au motif que le temps pris pour mener la procédure à terme constitue un abus de procédure. La demande est rejetée par le comité d’audition en novembre 2018.

M. Abrametz interjette alors appel des décisions devant la Cour d’appel de la Saskatchewan, et ce, tant sur le volet de sa conduite professionnelle que sur l’arrêt des procédures. La Cour d’appel détermine que le retard de plus de 32 mois qu’elle attribue au Barreau constitue un abus de procédure justifiant un arrêt des procédures.

Le Barreau interjette ensuite appel de la décision à la Cour suprême (ci-après la « Cour »).

Décision

La Cour réitère les principes applicables en matière d’abus de procédure en cas de délai excessif dans un contexte administratif, lesquels ont été établis il y a plus de 20 ans dans l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44. La Cour précise également le cadre d’analyse applicable, tout en écartant l’application de l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, en droit administratif.

En effet, la Cour mentionne que l’arrêt Jordan, ne trouve pas application en droit administratif, vu les différences fondamentales entre les procédures criminelles et les procédures administratives (par. 48) :

Cet arrêt porte sur le droit d’être jugé dans un délai raisonnable garanti à l’al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Aucun droit de la sorte garanti par la Charte ne s’applique aux procédures administratives. Par conséquent, il n’existe pas de droit constitutionnel d’être « jugé » dans un délai raisonnable en dehors du contexte de procédures criminelles.

La Cour établit ensuite un cadre d’analyse en déterminant deux situations dans lesquelles un délai peut causer un abus de procédure et ainsi engendrer une réparation pour la partie l’ayant allégué :

  1. L’équité de l’audience est affectée par un délai.

Il s’agit notamment du cas d’une partie qui ne peut répondre adéquatement à la plainte portée contre elle, car ses souvenirs se sont estompés, ou alors ses témoins ne sont plus disponibles (par. 41).

  1. Le délai excessif cause un préjudice important à une partie (par. 42).

Dans ce second cas, la Cour poursuit en ajoutant une analyse à trois volets afin de déterminer si un délai qui ne porte pas atteinte à l’équité de l’audience peut néanmoins constituer un abus de procédure (par. 43).

  • Le délai doit être excessif (par. 50 à 66).
  • Ce délai doit avoir directement causé un préjudice important (par. 67 à 71).

Si ces deux critères sont satisfaits, le tribunal administratif doit alors passer au troisième volet de cette analyse et se demander :

  • Si le délai en cause est manifestement injuste envers une partie ou s’il déconsidère d’une autre manière l’administration de la justice (par. 72).

Si le tribunal administratif juge qu’une partie a subi un abus de procédure, il devra alors se demander quelle est la réparation appropriée, puisque l’arrêt des procédures n’est pas le seul remède contre un abus de procédure causé par un délai déraisonnable (par. 44 et 73). Il est possible qu’une réduction de la sanction soit ordonnée (par. 92 à 98) ou alors que le tribunal administratif exerce son pouvoir discrétionnaire en regard de l’adjudication des dépens (par. 99).

Commentaire

En somme, bien qu’aucun délai maximal n’ait été établi par la Cour suprême, contrairement à ce qui a été décidé en droit criminel dans l’arrêt Jordan, il n’en demeure pas moins que des délais déraisonnables peuvent également être invoqués en droit administratif et entraîner ultimement un arrêt des procédures.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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