par
Gabriel Lavigne
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et
Roxanne Potvin
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20 Avr 2023

Les échanges entre le syndic et un tiers expert sont-ils confidentiels?

Par Gabriel Lavigne, avocat et Roxanne Potvin, étudiante en droit à l’Université de Sherbrooke

La divulgation de la preuve est une étape fondamentale du processus disciplinaire qui vise à porter à la connaissance du professionnel la preuve en lien avec l’infraction qui lui est reprochée. Le syndic doit transmettre au professionnel toute la preuve qu’il possède, qu’elle lui soit favorable ou non, afin d’assurer à l’intimé son droit à une défense pleine et entière[1]. Dans l’arrêt Tremblay c. Mpantis[2] du 15 mars 2023, la Cour d’appel se prononce sur des objections soulevées par la syndique adjointe de l’Ordre des dentistes du Québec (« Syndique ») en première instance dans un contexte de consultation de tiers sur des expertises rendues. Plus précisément, la Cour est appelée à se positionner sur la place accordée à l’obligation de divulgation de la preuve lorsque des objections en lien avec le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat sont soulevées.

Contexte factuel

Alors que les parties se préparaient à l’audition d’une plainte à l’égard d’un dentiste, la Syndique et son avocate consultent deux tiers spécialistes en implantologie dentaire afin de les éclairer sur les divergences d’opinion entre les experts mandatés par chacune des parties, sans toutefois divulguer cette information à l’intimé[3].  Après avoir appris l’existence de cette consultation auprès de deux tiers, l’intimé demande l’arrêt des procédures en raison du manquement de la Syndique « à son obligation de divulguer l’existence et le contenu d’une expertise obtenue auprès d’un tiers après le dépôt de la plainte »[4].

Contre-interrogée sur ces communications auprès de tiers, la Syndique s’objecte aux différentes questions en raison du privilège relatif au litige et/ou du secret professionnel de l’avocat. Alors que certaines objections sont maintenues, d’autres sont rejetées, et ce sont ces dernières qui font l’objet de l’appel.

Les objections écartées visent entre autres à connaitre l’identité des tiers, la nature de leurs propos, leurs qualifications professionnelles ainsi qu’à produire un document envoyé par un tiers à la Syndique[5].

Historique des procédures

Décisions du Conseil

Le Conseil soutient que malgré que les communications avec les tiers aient eu lieu dans le contexte du litige en cours, elles ne sont pas privilégiées en raison de l’importance de l’obligation de divulgation afin d’assurer à l’intimé son droit à une défense pleine et entière[6]. Même si ces informations additionnelles relèvent de l’opinion, elles se doivent d’être divulguées puisqu’elles sont directement en lien avec des infractions reprochées[7].

Ensuite, le Conseil conclut que bien que les discussions avec les tiers experts soient généralement protégées par le secret professionnel, l’importance de l’obligation de divulgation permet de mettre de côté la confidentialité[8].

Décision de la Cour supérieure

La Syndique se pourvoit en contrôle judiciaire. Le juge Buchholz, après avoir décidé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, adhère à la conclusion du Conseil que l’obligation de la divulgation complète de la preuve prime sur l’application du privilège relatif au litige.

Cependant, il estime que le Conseil n’a pas appliqué le test requis afin de décider si le secret professionnel peut être écarté. En effet, il est possible de lever le secret professionnel si cela est essentiel afin d’établir l’innocence de l’accusé.  Afin d’appliquer cette exception, le test des arrêts McClure[9] et Brown[10] doit être rempli afin de s’assurer qu’il « existe un risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée »[11]. Le Conseil ayant fait fi de ces principes, il s’agit d’une erreur déterminante et le juge renvoie le dossier au Conseil.

Les deux parties obtiennent la permission d’interjeter appel de la décision de la Cour supérieure[12].

Analyse de la Cour d’appel

Selon la Cour d’appel, le juge de la Cour supérieure a commis une erreur en confirmant la décision du Conseil qui avait rejeté les objections fondées sur le privilège relatif au litige.

Le juge a choisi la bonne norme de contrôle, soit celle de la décision correcte. En effet, cette norme est applicable notamment pour les questions qui revêtent d’une importance capitale pour le système de justice, ce qui inclut les limites du secret professionnel de l’avocat et du privilège relatif au litige[13].

La Cour d’appel précise d’entrée de jeu que le régime particulier du droit disciplinaire ne vient pas dénaturer le principe du secret professionnel de l’avocat ni le privilège relatif au litige. Le droit au secret professionnel bénéficie d’une protection quasi-constitutionnelle par le biais de l’art. 9 de la Charte des droits et libertés de la personne alors que le privilège relatif au litige est un droit sujet à des exceptions clairement définies[14].

Secret professionnel de l’avocat

La Cour supérieure a conclu à bon droit que le Conseil a erré en omettant d’effectuer le test des arrêts McClure et Brown. En effet, la levée du secret professionnel ne doit être considérée qu’en dernier recours étant donné le caractère absolu de ce principe[15]. Or, le Conseil a omis d’analyser si l’exception relative à l’innocence de l’accusé trouvait application en l’espèce, ce qui constitue une erreur[16].

Privilège relatif au litige

La Cour d’appel estime que la Cour supérieure a commis deux erreurs révisables en maintenant la décision du Conseil :

Premièrement, le juge a erronément conclu que le privilège relatif au litige devait être écarté en raison de l’exception relative à l’innocence de l’accusé alors que cette exception n’a jamais été soulevée par l’intimé[17].

Deuxièmement, le juge a erré en appliquant l’exception relative à l’abus de procédure ou au comportement répréhensible, en l’absence d’une preuve prima facie d’un tel comportement, contrairement aux enseignements de l’arrêt Blank[18]. Il s’agit d’une erreur déterminante[19].

Conclusion

En bref, toutes les objections initialement rejetées visant le privilège relatif au litige sont maintenues par la Cour d’appel et celle en lien avec le secret professionnel est renvoyée au Conseil pour être analysée suivant les enseignements de la Cour suprême.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] Code des professions, RLRQ, c. C-26, art. 144.

[2] Tremblay c. Mpantis, 2023 QCCA 345.

[3] Ibid, par. 9.

[4] Ibid, par. 12.

[5] Ibid, par. 16.

[6] Ibid, par. 20.

[7] Ibid.

[8] Ibid, par. 21.

[9] R. c. McClure, 2001 CSC 14.

[10] R. c. Brown, 2002 CSC 32.

[11] Tremblay c. Mpantis, 2023 QCCA 345, par. 44.

[12] Ibid, par. 46.

[13] Ibid, par. 48-49.

[14] Ibid, par. 52.

[15] Ibid, par. 55.

[16] Ibid, par. 57.

[17] Ibid, par. 60.

[18] Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39.

[19] Tremblay c. Mpantis, 2023 QCCA 345, par. 61.

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