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19 Août 2022

SÉLECTION SOQUIJ : Cognard c. Blanchet, 2022 QCCS 26

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

RESPONSABILITÉ : Le défendeur a tenu des propos diffamatoires à l’endroit de sa soeur et de son beau-frère dans des vidéos diffusées sur la plateforme TikTok en affirmant notamment que ce dernier est un fanatique d’Hitler pronazi et qu’il a été accusé de terrorisme, ce qui est faux.

2022EXP-2135 

Intitulé : Cognard c. Blanchet, 2022 QCCS 2641

Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Québec

Décision de : Juge Isabelle Breton

Date : 3 mai 2022

Références : SOQUIJ AZ-51867351, 2022EXP-2135 (17 pages)

Résumé

RESPONSABILITÉ — atteintes d’ordre personnel — diffamation — propos diffamatoires — atteinte à la réputation — site Internet — média social — TikTok — diffusion — enregistrement vidéo — véracité des propos — atteinte à la dignité, à l’honneur et à la réputation — intention de nuire — atteinte illicite et intentionnelle — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.

COMMUNICATIONS — Internet — média social — TikTok — propos diffamatoires — atteinte à la réputation — diffusion — enregistrement vidéo — véracité des propos — atteinte à la dignité, à l’honneur et à la réputation — intention de nuire — atteinte illicite et intentionnelle — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.

DROITS ET LIBERTÉS — droits et libertés fondamentaux — dignité — atteinte à l’honneur et à la réputation — propos diffamatoires — diffusion — enregistrement vidéo — site Internet — média social — TikTok — véracité des propos — intention de nuire — atteinte illicite et intentionnelle — dommage non pécuniaire — dommages punitifs.

DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — atteinte à la dignité, à l’honneur et à la réputation — propos diffamatoires — site Internet — média social — TikTok — durée de la diffusion — étendue de la diffusion.

DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage exemplaire ou dommage punitif — Charte des droits et libertés de la personne — atteinte à la dignité, à l’honneur et à la réputation — propos diffamatoires — diffusion — enregistrement vidéo — site Internet — média social — TikTok — intention de nuire — atteinte illicite et intentionnelle.

INJONCTION — circonstances d’application — injonction permanente — divers — responsabilité — diffamation — situation corrigée avant la mise en demeure — utilité.

Demande en réclamation de dommages moraux (40 000 $) et punitifs (5 000 $) ainsi qu’en injonction permanente. Accueillie en partie (16 000 $).

Le défendeur est le frère de la demanderesse. La famille de cette dernière a de la difficulté à accepter son conjoint, le demandeur. Celui-ci a souvent été victime de remarques dégradantes et empreintes de préjugés à son endroit, principalement en lien avec ses origines française et vietnamienne. Le 14 mars 2020, la demanderesse a envoyé un long message texte aux membres de sa famille dans lequel elle mentionnait qu’elle ne tolérerait plus les menaces à l’endroit du demandeur et elle leur demandait de ne plus communiquer avec elle. La situation s’est alors envenimée au point que la demanderesse a fait appel aux autorités policières, sentant sa sécurité ainsi que celle de son conjoint et de ses enfants menacées. En décembre 2020, les demandeurs ont été informés par leur amie que des vidéos les concernant avaient été mises en ligne sur la plateforme TikTok par le défendeur. Estimant que ce dernier a porté atteinte à leur réputation, les demandeurs ont entrepris le présent recours.

Décision
Dans un recours fondé sur la diffamation, il faut prouver de façon prépondérante non seulement le caractère diffamatoire des propos litigieux, mais également les autres éléments de la responsabilité civile, soit l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité (art. 1457 du Code civil du Québec). La nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective, à savoir si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation de la victime. Afin de déterminer si une faute a été commise au regard des propos publiés, c’est le critère de la personne raisonnable qui trouve application, à savoir si une personne raisonnable aurait tenu les propos litigieux dans le même contexte. La conduite fautive peut être de 2 ordres: elle peut être malveillante ou simplement négligente.

Dans les 3 vidéos publiées le 21 novembre 2020 sur la plateforme TikTok, les affirmations du défendeur voulant que les demandeurs vivent dans une maison «à la limite insalubre», qu’ils y laissent des outils à la portée de leurs jeunes enfants et qu’ils tolèrent un chien dangereux sont de nature à susciter chez un citoyen ordinaire un sentiment défavorable à l’endroit de ces personnes, laissant entendre qu’elles sont des parents négligents et insouciants de la sécurité de leurs enfants. Par ailleurs, affirmer que le demandeur est un fanatique d’Hitler pronazi et qu’il a été accusé de terrorisme de même qu’exprimer publiquement des doutes quant à la légalité des armes qu’il possède, surtout dans un tel contexte, sont des allégations graves qui l’exposent à des sentiments défavorables et au mépris. En outre, le défendeur dépeint le demandeur comme une personne extrémiste et dangereuse et il invite les gens à se méfier des demandeurs. Bien que le défendeur ait tenté de démontrer à l’aide de photographies que les propos diffusés étaient véridiques, il a néanmoins commis une faute. En effet, une personne raisonnable placée dans un contexte semblable n’aurait pas tenu de tels propos sur les médias sociaux, même s’ils avaient été véridiques, ce qui n’est absolument pas le cas en l’espèce. La preuve démontre que le défendeur a tout simplement répandu des faussetés. Non seulement il ne s’est pas préoccupé des répercussions de ses propos diffusés dans les 3 vidéos, mais, en outre, la teneur même de ceux-ci démontre qu’il voulait nuire aux demandeurs. Or, ces derniers ont subi un préjudice moral et psychologique résultant de la diffusion de ces vidéos diffamatoires. Leur vie a été touchée dans tous ses aspects. Ils ont démontré que le préjudice subi était une suite directe et immédiate de la faute commise par le défendeur.

Quant au quantum, le défendeur a tenté d’atténuer la portée de la diffusion en démontrant que les vidéos n’avaient été en ligne que durant 19 jours et en soutenant que les demandeurs ou leur couple d’amis avaient pu visionner les vidéos à 2 ou 3 reprises. Il demeure toutefois que ces vidéos ont été «vues» plus de 5 400 fois chacune. La première des 3 vidéos a été partagée 18 fois et les 2 autres, 14 fois chacune. De plus, la preuve a établi que, outre les 80 abonnés du défendeur, des personnes inconnues de celui-ci ont accès à son profil TikTok et peuvent consulter ses publications. Or, il est de commune renommée que, après qu’une information ou un commentaire est publié sur les médias sociaux, il échappe à la maîtrise de son auteur. Ces vidéos ont donc pu être téléchargées par des personnes qui les ont regardées. À la lumière de la jurisprudence en semblable matière, et compte tenu du grand nombre de visionnements des vidéos publiées et des répercussions importantes qu’elles ont eues sur les demandeurs, ceux-ci ont droit à 7 000 $ chacun en dommages moraux. Puisque le défendeur a porté atteinte de façon illicite et intentionnelle à leur droit à la dignité, à l’honneur et à la réputation, les demandeurs ont aussi droit à 1 000 $ chacun à titre de dommages punitifs (art. 4 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne).

Enfin, une ordonnance d’injonction doit être susceptible d’exécution. En l’espèce, les conclusions recherchées afin que le défendeur cesse et s’abstienne de diffamer les demandeurs sont trop larges. Puisque ce dernier a retiré les vidéos avant même d’avoir reçu une mise en demeure, une ordonnance d’injonction n’est plus nécessaire pour empêcher que ne soit causé aux demandeurs un tort irréparable.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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