par
Zakary Lefebvre
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12 Sep 2022

R. c. Kirkpatrick – Quand le refus de mettre un condom peut être synonyme d’agression sexuelle

Par Zakary Lefebvre, avocat

Le 29 juillet 2022, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Kirkpatrick, 2022 CSC 33, établit qu’une personne peut exiger de son partenaire de porter un condom lors d’une relation sexuelle et que si ce dernier omet de le faire, il pourra être reconnu coupable d’agression sexuelle. Du coup, le port du condom, lorsqu’il est conditionnel à la relation sexuelle, fait intégralement partie de l’activité sexuelle à laquelle la personne a consenti.

Contexte

L’appelant, Ross McKenzie Kirkpatrick, a été accusé de l’agression sexuelle de la plaignante pour des évènements survenus en mars 2017 (par. 4).

La plaignante a affirmé avoir rencontré l’appelant en ligne. Après un échange de messages, ils se sont rencontrés en personne pour déterminer s’ils voulaient avoir des relations sexuelles. Au cours de cette rencontre, la plaignante a clairement fait savoir à M. Kirkpatrick qu’elle ne donnerait son accord à des relations sexuelles que s’ils utilisaient des condoms (par. 5).

Quelques jours plus tard, les parties se sont donné rendez-vous chez l’appelant pour avoir des relations sexuelles. Lors du premier rapport sexuel, l’appelant a mis un condom. Cette relation sexuelle ne fait pas l’objet du présent arrêt (par. 6 à 8). Un peu plus tard dans la soirée, un deuxième rapport sexuel eut lieu. À la fin de celui-ci, la plaignante a réalisé que l’appelant n’avait pas mis de condom (par. 9-10).

À l’issue de la présentation de la preuve de la Couronne, M. Kirkpatrick a demandé le rejet de l’accusation d’agression sexuelle en présentant une requête faisant valoir l’absence de preuve. Selon lui, la Couronne n’avait pas prouvé l’absence de consentement de la plaignante, un élément essentiel de l’actus reus de l’agression sexuelle. Selon lui, en vertu de l’arrêt R. c. Hutchinson, 2014 CSC 19, l’accord de la plaignante aux rapports sexuels était suffisant pour établir le consentement à « l’activité sexuelle » au sens du par. 273.1(1) du Code criminel et il n’y avait aucune preuve que ce consentement avait été vicié par la fraude pour l’application du par. 265(3)c) (par. 15).

La Couronne a soutenu que les rapports sexuels sans le condom exigé n’étaient pas consensuels et, subsidiairement, que le consentement avait été vicié par la fraude (par. 15).

Dans l’arrêt Hutchinson, la Cour suprême du Canada s’était demandée comment le droit devait traiter le consentement dans un cas où un accusé avait intentionnellement saboté le condom qu’il devait utiliser pendant des rapports sexuels. Les juges majoritaires ont statué que le consentement de la plaignante avait été vicié par la fraude comme le prévoit le par. 265(3) (par. 78).

Cour provinciale de la Colombie-Britannique, 2018 BCPC 415 (le juge Solomon)

Le juge du procès a accueilli la requête de l’appelant faisant valoir l’absence de preuve et a rejeté l’accusation d’agression sexuelle. S’appuyant sur l’arrêt Hutchinson, il conclut que la plaignante avait consenti à tous les actes physiques de relations sexuelles auxquels les parties s’étaient livrées, même si aucun condom n’avait été utilisé. De plus, comme l’appelant n’avait rien fait pour tenter de tromper la plaignante et l’amener à croire qu’il avait porté un condom, il n’y avait aucune preuve de malhonnêteté et donc, aucune preuve pour étayer une conclusion de fraude (par. 18).

Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2020 BCCA 136 (les juges Saunders, Groberman et Bennet)

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a accueilli l’appel de la Couronne à l’unanimité, annulé l’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Cependant, les trois juges ont divergé d’opinion sur la disposition du Code criminel qui s’appliquait dans l’examen du consentement (par. 19).

Pour le juge Groberman, la plaignante n’avait pas donné son consentement à avoir une relation sexuelle sans condom et donc, n’avait pas consenti à l’activité sexuelle au sens du par. 273.1(1) (par. 20).

Selon la juge Bennet, la tromperie quant à l’utilisation du condom devait être analysée au regard de la disposition relative à la fraude prévue à l’al. 265(3)c) et statua que le juge du procès eut tort de conclure à l’absence de fraude (par. 21). 

Quant à la juge Saunders, celle-ci était d’accord avec l’interprétation du juge Groberman et à la conclusion de la juge Bennet (par. 22).

Décision

Questions en litige (par. 23-24)

  1. Lorsqu’une plaignante a donné son consentement à des rapports sexuels conditionnels à ce que son partenaire porte un condom, le fait qu’il n’en a pas porté signifie-t-il qu’il n’y a pas d’accord volontaire de la plaignante à l’activité sexuelle au sens du par. 273.1(1) du Code criminel, ou cela doit-il être analysé en application de la disposition relative à la fraude prévue à l’al. 265(3)c) ?
  1. Que faut-il pour établir la fraude et, en l’espèce, y’a-t-il des éléments de preuve de malhonnêteté de la part de l’appelant susceptibles de constituer une fraude viciant le consentement pour l’application de l’al. 265(3)c) du Code criminel ?

Position des parties (par. 36-37)

Selon l’intimée, la plaignante a uniquement consenti à une relation sexuelle à la condition que son partenaire porte un condom. Lorsque son partenaire a fait fit de cette condition, les rapports sexuels n’ont pas été consensuels au sens du par. 273.1 du Code criminel (par. 36).

Selon l’appelant, l’arrêt Hutchinson statue que l’utilisation du condom ne fait jamais partie de l’acte physique et que son utilisation n’est pas pertinente quant à la notion de consentement prévue au par. 273.1. Ainsi, puisque la plaignante a consenti à des rapports sexuels, son consentement ne peut être vicié qu’en application de la notion de fraude prévue au par. 265(3). Par conséquent, la poursuite doit prouver : (1) la malhonnêteté, y compris les mensonges, la tromperie délibérée ainsi que la non-divulgation de faits importants; (2) une privation ou un risque de privation, qui consiste en un risque réel de lésions corporelles graves (R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371, par. 116; R. c. Mabior, 2012 CSC 47, par. 12). À son avis, la Couronne ne peut établir qu’il a trompé la plaignante ou que celle-ci a subi des lésions corporelles graves ou un risque important de telles lésions à la suite de sa tromperie (par. 37).

Analyse – Majorité (par. 25 à 108)

Sous la plume de la juge Martin, la majorité opine que lorsqu’elle est une condition du consentement de la personne plaignante, l’utilisation du condom doit faire partie de l’activité sexuelle visée à l’art. 273.1 du Code criminel. Cette interprétation est conforme à l’objectif du législatif de promouvoir l’autonomie sexuelle et la capacité d’agir, en toute égalité, sur le plan sexuel (par. 25).

Un rapport sexuel sans condom est un acte physique fondamentalement, qualitativement et juridiquement différent d’un rapport sexuel avec un condom puisqu’un rapport sexuel sans condom implique un contact direct des parties génitales (par. 34).

En effet, au paragraphe 55, la majorité écrit :

« […] Reconnaitre que lorsqu’une personne plaignante a donné son accord à un rapport sexuel avec un condom elle ne donnait pas son accord à l’acte physique différent d’avoir un contact direct peau contre peau sans condom est précisément ce que le juge Major a protégé dans l’arrêt Ewanchuk, lorsqu’il a affirmé que “[l]e pouvoir de l’individu de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon est un aspect fondamental de la dignité et de l’autonomie de l’être humain” »

Relativement à l’argument préconisé par l’appelant, la majorité évoque plusieurs motifs pour ne pas suivre le raisonnement de l’appelant aux paragraphes 69 à 73, notamment que :

« […] Faire la preuve d’un risque important de lésions corporelles graves supposerait vraisemblablement une appréciation condescendante de la question de savoir si les préjudices que la plaignante a subis étaient assez importants pour vicier un consentement, qui, dans son esprit, qui n’a jamais été donné. Établir la privation serait susceptible d’être très intrusif pour les personnes plaignantes. En plus d’expliquer les circonstances de leur violation, elles seraient tenues d’établir qu’elles ont subi un risque important de lésions corporelles graves. L’exigence relative à la privation mettrait l’accent sur des renseignements extrêmement personnels, sensibles ou stigmatisants à propos de la plaignante […] » (par. 73)

La majorité distingue également l’arrêt Hutchinson des faits en l’espèce puisqu’il ne s’applique pas lorsque la personne accusée refuse de porter un condom et que le consentement de la personne plaignante est conditionnel à son utilisation (par. 83). Selon la majorité, cet arrêt n’a pas établi de règles obligatoires applicables à toutes les affaires où un condom est en cause (par. 76) et a simplement statué que les affaires portant sur le sabotage d’un condom et la tromperie devraient être analysées en application de la disposition relative à la fraude (par. 82).

Relativement à la deuxième question en litige, la majorité décide qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette question vu leur réponse à la première question (par. 107).

Raisonnement du juge en chef Wagner et des juges Côté, Brown et Rowe (par. 109 à 310)

Dans de très longs motifs concordants, les juges Côté, Brown et Rowe, pour le juge en chef, souscrivent avec la majorité sur l’issue du pourvoi et sont d’avis de rejeter le pourvoi de l’appelant et de confirmer la tenue d’un nouveau procès. Cependant, selon eux, l’arrêt Hutchinson s’applique au présent pourvoi et réitère l’importance du stare decisis.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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