Recours en passation de titre : la Cour prône la bonne foi et la résilience des parties, surtout en temps de pandémie
Par Stéphanie Bernier, avocate
Dans Aveine c. Bates, 2022 QCCS 1997, la Cour supérieure nous rappelle, dans le cadre d’un recours en passation de titre, que les parties sont toujours dans l’obligation de collaborer et d’agir de bonne foi, et ce, même dans le cadre d’une pandémie.
Contexte
Dans cette affaire, Mme Aveine entreprend un recours en passation de titre contre M. Bates, celui-ci refusant de lui vendre une propriété bien que les parties aient signé une promesse d’achat [par. 5]. Cette dernière prévoyait un délai pour la signature de l’acte de vente prévu au 1er mai 2020 [par. 6], délai qui a été prolongé jusqu’au 8 mai 2020 [par. 12] suite à la réception d’un rapport indiquant que la fosse septique devait être remplacée [par. 11].
Le 19 mai 2020, la demanderesse a reçu le rapport pour l’implantation de la fosse septique et a appelé une dizaine de compagnies pour obtenir une soumission pour le remplacement. Le processus fut plus long et ardu qu’à l’habitude dans le contexte de début de la pandémie [par. 16].
Le 4 juin 2020, le défendeur envoie un télégramme à la demanderesse en lui laissant 7 jours ouvrables pour confirmer l’achat de la propriété [par. 18]. Le 15 juin 2020, la notaire avise la courtière de M. Bates que Mme Aveine avait finalement réussi à obtenir une soumission et qu’elle avait un rendez-vous pour modifier son financement avec son institution financière le lendemain [par. 21]. La courtière lui a répondu que son client ne voulait pas donner suite à la transaction car le délai était échu [par. 22].
Peu de temps avant le refus de passer titre, Mme Aveine était retournée visiter la propriété et le locataire qui l’occupait lui a fait visiter. Elle a mentionné à ce dernier qu’elle devait emménager au plus tard le 15 juillet 2020, car elle en était la propriétaire. Elle lui a également souligné que des changements avaient été effectués dans la maison depuis sa dernière visite, et qu’elle « reviendrait contre le défendeur » [par. 27]. Suite à cet évènement, M. Bates a exprimé à son locataire qu’il ne voulait plus vendre la maison à Mme Aveine car celle-ci avait déclaré qu’elle était la propriétaire et qu’elle reviendrait contre lui pour les changements effectués sur la propriété [par. 28]. Suite au refus de passer titre, deux mises en demeure ont été envoyées à M. Bates : la première le 30 juin 2020 [par. 25], et la 2e le 15 juillet 2020 [par. 30].
La demanderesse affirme toujours vouloir acheter la propriété [par. 32], qu’elle a agi de bonne foi et le plus rapidement possible lorsqu’elle a su qu’elle devait remplacer la fosse septique et ce, dans un contexte de début de pandémie, ce qui a ralenti ses démarches [par. 33]. Le défendeur, quant à lui, soutient qu’elle n’a pas agi de bonne foi et que le délai de la promesse d’achat est échu [par. 36].
Décision
La Cour commence par rappeler le principe de l’article 1326 C.c.Q, voulant que l’acceptation d’une promesse d’achat oblige les parties à conclure le contrat et que le défaut du promettant vendeur de passer titre confère au promettant acheteur le droit d’obtenir un jugement qui en tienne lieu [par. 37]. La Cour soulève également que le délai prévu à une promesse d’achat n’est pas de rigueur, à moins que ce ne se soit expressément spécifié, ce qui n’est pas le cas dans cette affaire [par. 38]. En outre, elle affirme que la bonne foi doit gouverner les parties à la transaction [par. 39] et cite l’auteur Vincent Karim :
« 325. « La bonne foi commande une collaboration et une coopération entre les parties lorsque des événements imprévisibles et extérieurs à la volonté des parties viennent modifier l’équilibre d’un contrat rendant les obligations du débiteur plus coûteuses que prévu. (…) »
(…)
339. En effet, l’obligation de bonne foi impose aux deux parties le devoir d’agir avec toute loyauté l’une envers l’autre pour permettre au contrat de produire son plein effet. (…) De même, cette obligation impose aux parties un comportement positif exempt de tout abus. (…) »[1] [par. 39]
La Cour est d’avis que la demanderesse a agi de bonne foi, diligemment et le plus rapidement possible dans un contexte de début de pandémie et que la demanderesse a dû faire des démarches auprès de plusieurs entreprises car certaines étaient fermées ou d’autres étaient ralenties [par. 43]. Elle affirme également que la demanderesse a toujours eu l’intention d’acheter la propriété, que les conditions à la promesse d’achat ont été remplies et que le délai n’a pas causé de préjudice au promettant vendeur car le locataire a continué de payer son loyer pendant ce temps [par. 44].
La Cour soulève également que :
« La preuve révèle que le défendeur était prêt à signer l’acte de vente chez la notaire au mois de juillet 2020 n’eut été du revirement en raison de ce que lui a rapporté le locataire de la maison. La frustration du défendeur ne peut être génératrice de droits. En somme, la seule raison pour laquelle le défendeur ne voulait plus vendre la maison à la demanderesse c’était parce qu’elle avait dit au locataire qu’elle était propriétaire. Ce n’est pas là un motif justifiant le refus de donner suite à la promesse d’achat. » [par. 45].
Pour ces raisons, la Cour accueille la demande en passation de titre de la demanderesse [par. 47].
Conclusion
La Cour tranche en faveur de la demanderesse et nous rappelle l’importance de la collaboration et de la bonne foi des parties lors d’une transaction et ce, dans le cadre d’une pandémie.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Vincent KARIM, Les obligations, 5e éd., vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2020, no 305 et 339.
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