Un cadre peut-il être l’objet d’une double sanction ?
Par Grégoire Deniger, avocat
Les divers tribunaux en droit du travail l’ont maintes fois répété : une même faute commise par un salarié ne peut faire l’objet de plusieurs mesures disciplinaires. Ce principe est désigné comme étant la prohibition de la double sanction. Dans Coulombe c. Les Aliments Dominion Citrus S.E.C., 2022 QCTAT 5284 (2022-11-25), le Tribunal administratif du travail (ci-après TAT) réitère l’application de ce principe dans le cadre d’une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante (art. 124 de la Loi sur les normes du travail).
Contexte
Dans cette affaire, le demandeur Coulombe est impliqué dans une altercation physique avec un collègue de travail. Le demandeur occupe le poste de directeur des ventes, soit un poste de cadre.
À la suite des événements, l’employeur suspend les deux individus pour fins d’enquête. Dans sa déclaration à l’employeur, le demandeur soutient avoir été provoqué, donc ne pas être fautif (par. 10). Après avoir fait enquête auprès d’autres témoins, l’employeur conclut que le demandeur est « l’agresseur ». Par conséquent, l’employeur le suspend sans solde pour une durée de trois semaines.
Peu avant la fin de sa suspension et son retour au travail, le demandeur est invité à une rencontre pour faire le point avec l’employeur. Lors de cette rencontre, il nie être l’agresseur, mais mentionne que cela ne se reproduira plus. Il aurait également proposé de serrer la main de son collègue pour « rétablir les choses ». Selon le demandeur, il aurait exprimé des regrets, ce que conteste l’employeur (par. 13-14).
À son retour au travail, le demandeur est de nouveau rencontré par l’employeur et maintient sa position quant aux événements. L’employeur le congédie puisqu’il aurait perdu confiance envers le demandeur, ce dernier ne reconnaissant pas ses torts et n’ayant pas cheminé malgré sa suspension. Selon l’employeur, le demandeur a eu un comportement inacceptable et ce dernier pourrait récidiver (par. 17).
Décision
D’entrée de jeu, le TAT rappelle qu’à moins d’une faute grave, un employeur doit adopter une approche progressive dans les mesures disciplinaires pour qu’un salarié à son emploi soit en mesure de « comprendre ses manquements et [d’]avoir la chance de corriger son comportement fautif » (par. 6).
Citant des auteurs reconnus en droit du travail (par. 7), le TAT mentionne que l’imposition d’une double sanction pour une même faute est prohibée puisque cela contrevient à l’obligation d’équité d’un employeur. Cette prohibition de la double sanction « consiste à ne pas punir le même manquement ou comportement fautif par deux mesures disciplinaires distinctes et définitives » (par. 7).
En ce qui a trait aux mesures disciplinaires imposées au demandeur, le TAT souligne qu’en lui ayant imposé une suspension de trois semaines pour l’altercation physique, « l’employeur a fait son lit » (par. 19). L’employeur ne pouvait invoquer le fait que le demandeur n’admettait pas sa faute pour le discipliner de nouveau. En effet, au moment d’imposer la suspension de trois semaines, l’employeur savait déjà que le demandeur n’admettait pas sa faute. Ainsi, le TAT fait ressortir que :
« [23] […] même en tenant pour avérés les manquements reprochés par l’employeur, ils ont tous été sanctionnés par une suspension. Imposer un congédiement pour ces mêmes fautes constitue une double sanction, ce qui rend illégale cette mesure ultime.
[24] Le statut de cadre du plaignant ne change rien quant à cette conclusion. »
L’employeur invoque aussi divers événements pour démontrer que le demandeur serait incorrigible et qu’il y aurait risque de récidive (par. 20). À cet égard, le TAT indique que ces autres événements n’ont pas été sanctionnés par une mesure disciplinaire (par. 21). Le TAT note aussi qu’il s’agissait de la première altercation physique du demandeur en 24 ans de service et que (par. 21) :
« [s]on témoignage convainc également le Tribunal qu’il a compris que la violence n’a pas sa place en milieu de travail, même s’il maintient qu’il n’est pas l’agresseur. Pour le Tribunal, ces deux prétentions ne sont pas contradictoires. »
Finalement, le TAT ordonne la réintégration du demandeur.
En effet, même si l’employeur est une petite entreprise ne comptant qu’une vingtaine d’employés (par. 28), le TAT indique que cette allégation ne constitue pas un obstacle sérieux qui pourrait priver le demandeur de la mesure de réparation que constitue la réintégration « d’autant plus qu’il justifie plus de vingt années de service chez l’employeur et qu’il n’y a pas d’animosité entre les parties » (par. 29).
Commentaire
Nous croyons que cette décision rappelle plusieurs principes phares, essentiels en droit du travail :
- Si un employeur veut éventuellement reprocher des événements à un salarié à son emploi, il doit les sanctionner par une mesure disciplinaire. En l’espèce, aucune preuve d’une mesure disciplinaire n’avait été faite quant aux manquements antérieurs du demandeur (par. 21). Ainsi, son dossier disciplinaire a été considéré comme « quasi-vierge » par le Tribunal ;
- Lorsque le TAT juge qu’un congédiement a été fait sans cause juste et suffisante, la réintégration est la principale mesure de réparation devant être ordonnée sauf si un obstacle réel et sérieux est démontré, en plus de l’impossibilité de cette mesure ;
- Un employeur ne peut imposer deux mesures disciplinaires pour une seule et même faute.
Quant à ce troisième élément, nous comprenons de la décision du TAT que la prohibition de la double sanction s’applique également aux cadres d’une entreprise (par. 24). Le Tribunal s’est bien dirigé en droit puisque le statut de cadre d’un salarié ne saurait justifier un employeur de le sanctionner plusieurs fois pour un même événement, ce qui apparaitrait contraire aux principes de justice naturelle.
Ainsi, une fois l’enquête d’un employeur complétée et après que ce dernier a pondéré les divers facteurs atténuants et aggravants dans le choix d’une mesure disciplinaire, l’employeur « fait son lit » en décidant de la sanction à imposer. En l’absence de faits nouveaux, il ne peut imposer une nouvelle mesure disciplinaire après avoir pris sa décision.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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