SÉLECTION SOQUIJ : Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2022 QCCS 4643
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
RESPONSABILITÉ : La Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique n’a pas de responsabilité légale dans la tragédie ferroviaire survenue au centre-ville de Lac-Mégantic en juillet 2013; cette responsabilité repose essentiellement sur l’ingénieur de locomotives et dernier conducteur du convoi, Harding, ainsi que sur l’entreprise qui l’employait et qui avait la charge de ce convoi au moment de son déraillement, soit la défenderesse Montréal, Maine & Atlantic Canada Company.
2023EXP-121
Intitulé : Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2022 QCCS 4643
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Mégantic (Lac-Mégantic)
Décision de : Juge Martin Bureau
Date : 14 décembre 2022
Références : SOQUIJ AZ-51901057, 2023EXP-121 (216 pages)
–Résumé
RESPONSABILITÉ — responsabilité du fait personnel — compagnie ferroviaire — transporteur initial — produits pétroliers — liquide de schiste — train unitaire — analyse des risques — choix du trajet — recommandation — transporteur de liaison — pratiques opérationnelles dangereuses — expéditeur — erreurs de classification et d’identification — ingénieur de locomotive — immobilisation — convoi de wagons-citernes — voie publique — pente — freins à mains — obligation de sécurité — absence de surveillance — déraillement — tragédie de Lac-Mégantic — employeur — formation des employés — négligence — faute grave — lien de causalité — novus actus interveniens — action collective.
RESPONSABILITÉ — responsabilité du fait des autres — commettant — compagnie ferroviaire — transport ferroviaire — ingénieur de locomotive — produits pétroliers — liquide de schiste — immobilisation — convoi de wagons-citernes — voie publique — pente — freins à main — obligation de sécurité — absence de surveillance — déraillement — tragédie de Lac-Mégantic — négligence — faute grave.
TRANSPORT ET AFFRÈTEMENT — transport ferroviaire — responsabilité — accident ferroviaire — tragédie de Lac-Mégantic — compagnie ferroviaire — transporteur initial — produits pétroliers — liquide de schiste — train unitaire — analyse des risques — choix du trajet — recommandation — transporteur de liaison — pratiques opérationnelles dangereuses — expéditeur — erreurs de classification et d’identification — ingénieur de locomotive — immobilisation — convoi de wagons-citernes — voie publique — pente — freins à main — obligation de sécurité — absence de surveillance — déraillement — employeur — formation des employés — négligence — faute grave — lien de causalité — novus actus interveniens — action collective.
ACTION COLLECTIVE (RECOURS COLLECTIF) — jugement au fond et mesures d’exécution — victime — transport ferroviaire — déraillement — produits pétroliers — tragédie de Lac-Mégantic — liquide de schiste — responsabilité extracontractuelle — compagnie ferroviaire — transporteur initial — train unitaire — analyse des risques — choix du trajet — recommandation — transporteur de liaison — pratiques opérationnelles dangereuses — expéditeur — erreurs de classification et d’identification — ingénieur de locomotive — immobilisation — convoi de wagons-citernes — voie publique — pente — freins à main — obligation de sécurité — absence de surveillance — employeur — formation des employés — négligence — faute grave — lien de causalité — novus actus interveniens.
CONTRATS SPÉCIAUX — société.
Action collective et recours en réclamation de dommages-intérêts. Rejetés.
Le 30 juin 2013, un convoi ferroviaire comprenant 78 wagons-citernes chargés de pétrole brut de classe 3 a quitté les installations de transbordement de Strobel Straroska Transfer. C’est la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) qui assurait, à partir des installations de cette filiale de World Fuel Services (WFS), le transport de ce train unitaire. Le destinataire et acheteur était Irving Oil Compagny. À partir de Farnham, le train était conduit et manoeuvré par 1 seule personne, Harding, un ingénieur de locomotive et employé de la compagnie ferroviaire Montréal, Maine & Atlantic Canada Compagny (MMA). À son arrivée à Nantes, le 5 juillet, vers 22 h 55, ce dernier a immobilisé le train en utilisant le système de freinage automatique. Il a garé le convoi pour la nuit sur la voie principale, qui comportait une pente descendante. Harding a appliqué les freins indépendants et a commencé l’application des freins à main sur l’ensemble des locomotives, le wagon spécial et le wagon-tampon. Ensuite, il a interrompu le fonctionnement des 4 autres locomotives, ne laissant fonctionner que le moteur de celle de tête. Au moment où Harding a procédé à l’application des freins à main, il a relâché le système automatique de freins à air, mais le système de freins indépendants était toutefois en fonction. Environ 1 heure après, le moteur de la locomotive s’est arrêté et, lorsque la pression provenant des freins indépendants s’est trouvée réduite, le convoi a commencé à se déplacer dans la pente. Vers 1 h 15, celui-ci a déraillé près du centre-ville de Lac-Mégantic, laissant ainsi s’écouler près de 6 millions de litres de pétrole brut et occasionnant, par le fait même, un incendie majeur et de multiples explosions. Les demandeurs, dans les 3 dossiers visés par le présent jugement, reprochent à CP de nombreuses fautes et considèrent qu’elle doit être tenue responsable solidairement de l’ensemble des dommages résultant de cet accident.
Décision
Dans le cadre du transport du pétrole brut provenant du Dakota du Nord et destiné à une raffinerie de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, CP agissait à titre de transporteuse initiale ou d’origine et MMA, en tant que transporteuse de liaison ou de connexion. Les demandeurs n’ont pas démontré que CP avait l’obligation de procéder à une analyse particulière des risques avant d’entreprendre le transport du pétrole brut par train unitaire.
D’autre part, ce sont l’expéditrice WFS et la consignataire-acheteuse Irving qui ont eu le dernier mot quant à la détermination du trajet afin d’acheminer les liquides de schiste. Par ailleurs, ce n’est pas CP qui a imposé à ces dernières d’utiliser les services de MMA. De plus, il n’a pas été démontré que CP avait accès ou pouvait avoir accès à des informations troublantes ou inquiétantes concernant les façons de procéder de cette dernière. Au surplus, CP n’avait pas l’obligation de surveiller les activités de MMA ni même d’agir de façon à déceler des failles dans ses pratiques opérationnelles pouvant l’amener à s’efforcer que cette entreprise soit exclue des trajets envisagés pour le transport de matières dangereuses. Il y a donc lieu de conclure que CP n’a pas été négligente dans le cadre de ses discussions et de ses négociations avec WFS ou encore avec Irving pour le choix du trajet entre New Town et Saint-Jean et qu’elle n’a pas non plus, même si son rôle était important, eu une incidence fautive dans la décision finale quant au trajet. CP devait offrir ou suggérer, parmi les trajets possibles pour acheminer le pétrole vers Saint-Jean, celui utilisant les voies ferrées appartenant à MMA, d’autant plus que la preuve révèle que cette entreprise avait déjà à l’époque des liens d’affaires fréquents avec Irving et un accès direct à ses installations à Saint-Jean en recourant à un transporteur local.
Le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses établit au Canada, comme c’est le cas aux États-Unis, que la responsabilité de la classification des matières dangereuses incombe à l’expéditeur. La réglementation canadienne prévoit toutefois que les responsabilités imposées à ce dernier quant à la classification reposent aussi sur l’importateur de marchandises dangereuses. Il est également prévu, dans la législation et la réglementation tant américaines que canadiennes, qu’un transporteur a le droit de se fier à la classification des marchandises certifiées par l’expéditeur ou un transporteur antérieur. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas démontré que CP savait ou devait savoir que la classification donnée par WFS au pétrole brut était inadéquate ni qu’elle avait, en raison de certains indices, des motifs raisonnables de contester cette classification.
D’autre part, tout transporteur ferroviaire qui a des activités d’interconnexion avec un autre transporteur ferroviaire n’a aucunement l’obligation, en raison des règles législatives et réglementaires ou même des pratiques courantes de l’industrie, de se questionner outre mesure sur les pratiques opérationnelles de ce transporteur ni sur ses capacités ou ses compétences, d’autant moins lorsqu’elles sont considérées comme suffisantes par les autorités réglementaires. En l’espèce, la preuve ne permet pas de conclure que CP savait ou avait les moyens de savoir que, à l’époque, MMA était notamment mal organisée; que ses employés étaient mal formés; que ses moyens de contrôle et de vérification concernant l’application des mesures de sécurité par ses employés étaient déficients; que de nombreux incidents étaient survenus au cours des dernières années en lien avec les mesures relatives à l’application des freins à main; et qu’elle ne s’occupait pas adéquatement de ses employés chargés de manoeuvrer seuls certains de ses convois. Or, si des fautes existent quant à la supervision des activités de MMA, elles se trouvent non pas chez CP, mais plutôt chez TC.
La preuve révèle de manière très claire et non équivoque que, si le convoi de wagons-citernes s’est déplacé dans la nuit du 6 juillet 2013, c’est parce que l’ingénieur de locomotive qui avait la responsabilité de l’immobiliser n’a pas fait son travail adéquatement. Ses agissements constituent des fautes graves. À titre d’employeur de Harding, MMA doit assumer la responsabilité des gestes de ce dernier en vertu de l’article 1463 du Code civil du Québec. Par ailleurs, certains éléments dans le comportement de cette dernière constituent des actes fautifs qui ont eu une incidence directe et immédiate dans l’accident. Il s’agit particulièrement de l’absence de mise en place de mesures de sécurité additionnelles et adéquates pour s’assurer que, en cas d’erreur humaine commise par le seul employé en fonction, dans l’exécution des procédures d’immobilisation et de sécurisation du train, celui-ci demeurera tout de même immobile.
Les autres reproches formulés à l’encontre de WFS, Irving, TC et CP, qu’ils soient ou non considérés comme de véritables fautes, ne sont que l’occasion de cette tragédie, c’est-à-dire qu’ils font partie des circonstances non directement causales de l’accident. En outre, tout lien de causalité qui pourrait exister entre l’accident et de telles fautes alléguées est rompu par les agissements grossièrement fautifs de Harding et ceux de MMA. Les recours dirigés contre CP doivent donc être rejetés.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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