par
Sophie Estienne
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et
Jane Ghoussoub
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02 Mar 2023

La Cour d’appel conclut à l’extubation d’un enfant dans un état neurovégétatif malgré le refus de ses parents

Par Sophie Estienne, avocate et Jane Ghoussoub, étudiante à l'Université de Montréal

Dans une décision récente en droit de la santé, notamment sur la question du consentement aux soins et de l’intérêt de l’enfant, les juges de la plus haute cour du Québec, dans la décision A.P. c. Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, 2023 QCCA 58, sont unanimes :  l’extubation sans possibilité de réintubation d’un jeune enfant âgé de 5 ans, hospitalisé à la suite d’une noyade, est autorisée et ce, malgré le refus catégorique des parents.

Contexte

Le 12 juin 2022, l’enfant (ci-après « X ») des appelants, alors âgé de 5 ans, a été retrouvé noyé dans la piscine familiale, où il a été immergé pendant une période de 15 à 20 minutes. Il est alors en arrêt cardiorespiratoire. Après plusieurs manœuvres de réanimation du corps médical, le rythme cardiaque de X reprend, mais il reste ventilo-assisté à l’aide d’un tube endotrachéal. Il est admis aux soins intensifs pédiatriques de Sainte-Justine. Sur le plan neurologique, il demeure dans un profond coma avec atteinte sévère des réflexes du tronc cérébral.

Le 16 juin 2022, l’hôpital avise les parents que le retrait du tube endotrachéal est recommandé, car X montre des signes qu’il pourrait respirer par lui-même, et le tube n’améliore pas son état neurologique. Le maintien du tube pourrait avoir des conséquences sérieuses et potentiellement fatales pour sa santé. Les parents de X refusent l’extubation : ils ont foi qu’un miracle se produira et craignent que l’extubation entraine la mort de leur enfant.

Dans les jours qui suivent, X contracte des pneumonies et présente des signes de tachycardie, d’hypertension artérielle, de dysautonomie et de diaphorèse.

L’équipe médicale de Sainte-Justine informe à nouveau les parents que la condition de X est optimale pour procéder à son extubation. Elle leur indique qu’il n’est pas dans l’intérêt de X de maintenir l’intubation qui pourrait provoquer des pneumonies et de l’atrophie musculaire. De plus, l’extubation se verra être de plus en plus compliquée. Les parents refusent toujours.

Face à l’impasse entre les parties, Sainte-Justine introduit une demande d’autorisation de soins au Tribunal, soit d’extuber X sans possibilité de réintubation en cas d’échec de l’extubation lié à sa condition neurologique (ci-après le « Plan »).

Décision de la Cour supérieure 

Le Tribunal est tenu de répondre à deux questions :

1. Le refus des parents de consentir au plan de traitement proposé par Sainte-Justine est-il raisonnable et justifié au regard de l’intérêt de l’enfant?

2. Dans la négative, le plan de traitement proposé par Sainte-Justine est-il requis par l’état de santé de l’enfant et correspond-il à son meilleur intérêt? (par. 48 de la décision de la Cour supérieure)

En premier lieu, le Tribunal répond que le refus des parents de consentir au Plan ne peut être considéré comme raisonnable ou justifié (par. 81) . Effectivement, il considère que ces derniers basent leur refus sur leur méfiance envers le corps médical, la crainte du décès de X, ainsi que leurs croyances religieuses (par. 82, 86-90). Leur refus a persisté, et ce, malgré l’opinion de trois experts, dont un sollicité par les parents, qui se sont tous déclarés en faveur de procéder à l’extubation (par. 88).

En deuxième lieu, en considérant l’état de santé de X, le Plan est dans son meilleur intérêt (par. 101). Les experts énoncent que l’intubation n’améliore pas les pronostics neurologiques de X (par. 103). Au contraire, X souffre : il connait plusieurs épisodes de dysautonomie qui sont plus fréquents et intenses en raison de son intubation (par. 104-111). Les deux lacunes du Plan soulevées par les parents sont rejetées par le Tribunal. D’une part, ils évoquent qu’une possibilité de réintubation serait plus bénéfique pour X (par. 113). Les experts et le Tribunal sont en désaccord (par. 114-119). D’autre part, les parents indiquent que le Plan n’a pas de durée précise, ce qui les prive de l’exercice de l’autorité parentale. Le Tribunal ne souscrit pas à cette position : selon la réaction de X face à l’extubation, plusieurs traitements différents sont définis dans le Plan (par. 120-121). Finalement, Sainte-Justine ne prive pas les parents de l’exercice de leurs droits (par. 122). L’hôpital n’agira pas sans une autorisation du Tribunal, qui corrige uniquement une décision erronée des parents.

Les parents de X portent alors la décision en appel.

Décision de la Cour d’appel

Dans ce pourvoi, les parents soumettent cinq questions à la Cour, résumées ainsi :

[…] le refus des parents de consentir au plan de traitement proposé est-il justifié dans l’intérêt de l’enfant? (par. 11 de la décision de la Cour d’appel)

Selon les parents, la survie de l’enfant doit être prioritaire. Un plan qui ne va pas en ce sens vient à l’encontre de l’intérêt de l’enfant (par. 38). Ce n’est cependant pas la survie qu’il faut préconiser, mais bien l’intérêt à vivre de l’enfant : l’article 12 du Code civil du Québec édicte que les soins requis doivent être bénéfiques, et ce, même s’ils entrainent la mort (par. 38). L’état de santé de X est incompatible avec son intubation (par. 39). De plus, le risque de décès est lié à l’état neurologique de l’enfant, et non pas à l’extubation en tant que tel. Aussi, la Cour est d’avis que « le principe de la préservation de la vie à tout prix n’est pas absolu, lorsque les conditions du maintien en vie sont inacceptables » (par. 40). Le Cour d’appel conclut alors que le juge de première instance n’a pas erré en droit en considérant que le refus des parents était injustifié et déraisonnable (par. 44).

Le plan de traitement proposé par Sainte-Justine est aussi remis en cause par les parents. Ils contestent notamment l’autorisation de ne pas réintuber X en cas d’échec, sauf si une chirurgie nécessitant une réintubation temporaire est planifiée (par. 46 et par. 144 de la décision de la Cour supérieure), ainsi que celle qui énonce que le corps médical peut modifier le Plan selon la réaction de X à celui-ci (par. 46 et par. 145 de la décision de la Cour supérieure). Selon les parents, ces autorisations sont trop larges et n’ont pas de portée temporelle précise (par. 47). D’abord, la Cour énonce que le paragraphe 144 s’applique uniquement aux procédures visant l’extubation de X (par. 48). Cette autorisation n’aura plus sa raison d’être si X survit et doit être réintubé, par exemple (par. 48-49). Ensuite, le paragraphe 145 donne le droit à l’hôpital d’administrer des soins à X à la suite de son extubation, pour lui offrir le meilleur traitement possible et ce, dans le cadre bien établi du Plan (apr. 51-52).

Le pourvoi est alors rejeté.

Conclusion

En conclusion, le juge de première instance ainsi que ceux de la Cour d’appel s’entendent pour autoriser l’hôpital Sainte-Justine à procéder à l’extubation de X et de passer outre le refus de ses parents. Ce plan de traitement est dans son meilleur intérêt.

Cette décision est une première au Québec, toutefois elle va dans le même sens que celles rendues par les homonymes canadiens dans des contextes similaires[1].

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] DK v. Gilfoyle, 2021 ONSC 7248; Chalifoux v. Alberta Health Services, 2014 ABQB 624.

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