par
SOQUIJ
Intelligence juridique
Articles du même auteur
14 Avr 2023

SÉLECTION SOQUIJ : Turp c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 698

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

SOCIAL (DROIT) : Dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, le gouvernement du Québec a pris des décrets grâce à la délégation de pouvoir effectuée en vertu de l’article 119 alinéa 1 de la Loi sur la santé publique; cet article ne constitue pas une délégation inconstitutionnelle du pouvoir législatif de l’Assemblée nationale au gouvernement.

2023EXP-844*** 

Intitulé : Turp c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 698

Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal

Décision de : Juge Daniel Urbas

Date : 10 mars 2023

Références : SOQUIJ AZ-51921826, 2023EXP-844 (31 pages)

-Résumé

SOCIAL (DROIT) — services de santé et services sociaux — santé publique — pandémie — coronavirus — COVID-19 — état d’urgence sanitaire — décret — adoption — Assemblée nationale — pouvoir législatif — délégation de pouvoir — validité constitutionnelle — article 119 alinéa 1 de la Loi sur la santé publique — jugement déclaratoire — compétence — Cour supérieure — séparation des pouvoirs — souveraineté parlementaire — appréciation de la preuve — faits législatifs — preuve extrinsèque — absence de fondement factuel.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — divers — Loi sur la santé publique — article 119 alinéa 1 — validité constitutionnelle — pandémie — coronavirus — COVID-19 — état d’urgence sanitaire — décret — adoption — Assemblée nationale — pouvoir législatif — délégation de pouvoir — jugement déclaratoire — compétence — Cour supérieure — séparation des pouvoirs — souveraineté parlementaire — appréciation de la preuve — faits législatifs — preuve extrinsèque — absence de fondement factuel.

ADMINISTRATIF (DROIT) — contrôle judiciaire — cas d’application — droit social — divers — Loi sur la santé publique — validité constitutionnelle — article 119 alinéa 1 — pandémie — coronavirus — COVID-19 — état d’urgence sanitaire — décret — adoption — Assemblée nationale — pouvoir législatif — délégation de pouvoir — jugement déclaratoire — compétence — Cour supérieure — séparation des pouvoirs — souveraineté parlementaire.

PROCÉDURE CIVILE — frais de justice (dépens) — dérogation à la règle générale — droit nouveau — question importante pour la société démocratique — principe de la proportionnalité.

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — institution constitutionnelle — Assemblée nationale — pandémie — coronavirus — COVID-19 — état d’urgence sanitaire — décret — adoption — pouvoir législatif — délégation de pouvoir — article 119 alinéa 1 de la Loi sur la santé publique — validité constitutionnelle — jugement déclaratoire — compétence — Cour supérieure — séparation des pouvoirs — souveraineté parlementaire.

Pourvoi en contrôle judiciaire visant à faire déclarer l’article 119 alinéa 1 de la Loi sur la santé publique inconstitutionnel, invalide et inopérant. Rejeté.

Dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, le gouvernement québécois a déclaré l’état d’urgence sanitaire et a pris des décrets pour imposer diverses mesures. L’objet du pourvoi du demandeur ne porte pas sur ce que le gouvernement a effectué au moyen de ses divers décrets, mais plutôt sur le fait qu’il a pu l’effectuer grâce à une délégation de pouvoir en vertu de l’article 119 alinéa 1. Il soutient que cet article constitue une délégation inconstitutionnelle du pouvoir législatif de l’Assemblée nationale au gouvernement et qu’il entraîne une privation de démocratie pour le peuple québécois ou une violation du principe démocratique.

Décision
Le pourvoi demande à une composante du système démocratique, soit la Cour supérieure, de se prononcer sur la question de savoir si une autre composante de ce système, soit l’Assemblée nationale, peut déléguer son autorité exclusive à une tierce composante, soit le gouvernement. Il n’appartient pas aux tribunaux de remplacer le pouvoir législatif ou de s’y substituer. Les tribunaux ne doivent pas s’interroger sur la sagesse d’une loi; ils doivent uniquement se prononcer sur sa légalité. L’Assemblée nationale doit pouvoir exercer ses activités législatives en étant libre de toute ingérence de la part des tribunaux.

Une législature a compétence pour adopter elle-même des lois et déléguer à d’autres personnes ou encore à d’autres organismes certains pouvoirs administratifs ou réglementaires. Ce type de délégation se produit assez fréquemment dans l’État administratif, où la législature énonce les grands objectifs et où la majeure partie du travail de la gouvernance se fait par la suite par des décrets que prend l’exécutif.

Le demandeur fait valoir qu’il ne suffit pas que la délégation de pouvoir soit en place depuis des années ou qu’elle ait des précédents. Il invite le tribunal à faire preuve d’audace et à réexaminer le raisonnement ainsi que le résultat dans Gray (In re), (C.S. Can., 1918-07-19), 57 R.C.S. 150. Or, la délégation contenue à l’article 119 alinéa 1 n’est pas la même que celle analysée dans cet arrêt.

Quant au dossier factuel, pour appuyer ou illustrer ses moyens, le demandeur a opposé les approches législatives reflétées par l’Assemblée nationale à d’autres liées au Parlement fédéral. Or, il n’existe aucune preuve pertinente, recevable et probante permettant de remettre en cause les règles ou les normes que l’Assemblée nationale a suivies. Le tribunal n’a pas compétence pour s’ingérer dans la façon dont celle-ci élabore et discute ses projets de loi. D’autres documents illustrent comment les législatures d’autres juridictions à l’extérieur du Canada ont traité le coronavirus lié à la COVID-19 et les maladies infectieuses. Cet échantillonnage limité ne peut éclairer le tribunal dans sa détermination de la constitutionnalité de l’article 119 alinéa 1. L’omission de fournir un échantillonnage de documents équivalents provenant d’autres provinces et territoires du Canada affaiblit les soumissions du demandeur quant à la validité constitutionnelle de l’article en litige. Par ailleurs, le demandeur affirme que, entre le 13 mars 2020 et le 10 mars 2021, l’Assemblée nationale n’a jamais été invitée par le gouvernement à donner son assentiment à la déclaration d’état d’urgence sanitaire, à ses renouvellements ou à l’adoption de mesures résultant d’une délégation de pouvoirs législatifs au gouvernement et à la ministre de la Santé et des Services sociaux. Or, il n’a pas expliqué pourquoi l’Assemblée nationale aurait besoin d’une invitation du gouvernement pour donner son accord à tout exercice de son autorité déléguée. Enfin, le faible nombre de débats à l’Assemblée nationale sur la déclaration d’urgence ou les décrets n’est pas pertinent ni important.

Sur le fond, l’article 119 alinéa 1 n’entraîne pas une abdication de l’Assemblée nationale de son pouvoir législatif. En effet, il est établi depuis longtemps que cette dernière peut déléguer de larges pouvoirs. La délégation est faite dans les limites de la loi. Le pouvoir délégué trouve sa source dans la loi habilitante. Chaque exercice de l’autorité déléguée est limité dans le temps. L’autorité déléguée est soumise à un contrôle a posteriori de l’Assemblée nationale. Ainsi, la délégation en l’espèce, qui en outre est permise par la jurisprudence, reste valide et raisonnable.

Le demandeur invoque une atteinte à la structure fondamentale de la Loi constitutionnelle de 1867. À cet égard, il n’a fait valoir aucune atteinte structurelle qui permettrait de déclarer inconstitutionnel l’article 119 alinéa 1 parce qu’il serait contraire à l’architecture de la constitution. Il n’a mis en lumière aucune règle, écrite et non écrite, ni aucun principe sous-jacent de la constitution qui permettraient de déclarer inconstitutionnel et invalide l’article 119 alinéa 1 parce qu’il serait contraire à cette règle ou à ce principe. Même s’il y était parvenu, la jurisprudence ne soutient pas la déclaration d’invalidité qu’il revendique.

Le demandeur n’a pas eu gain de cause. Cependant, il a soulevé une question importante pour la société démocratique de manière ciblée et raisonnable, et cette question n’avait pas été abordée par les tribunaux auparavant dans le contexte de la résolution d’un litige concernant les mesures sanitaires. Les parties ont respecté le principe de la proportionnalité; elles se sont assurées que leurs démarches, les actes de procédure et les moyens de preuve choisis restent proportionnels à la nature et à la complexité de l’affaire ainsi qu’à la finalité du pourvoi. Dans ces circonstances, aucuns frais de justice ne sont dus.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

Commentaires (0)

L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.

Laisser un commentaire

À lire aussi...