Sommaire de la Cour d’appel : Investissement Boeckh inc. c. Agence du revenu du Québec, 2023 QCCA 633
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
FISCALITÉ : Le juge de première instance était fondé à conclure que les activités de la demanderesse, qui détient un important portefeuille d’actions, sont celles d’un négociant ou d’un courtier en valeurs mobilières au sens de l’article 250.3 a) de la Loi sur les impôts; les profits ou les pertes résultant de la vente des valeurs mobilières par l’appelante devaient donc être traités comme des profits ou des pertes résultant d’une activité d’entreprise et non comme des gains ou des pertes en capital.
2023EXP-1328 ***
Intitulé : Investissement Boeckh inc. c. Agence du revenu du Québec, 2023 QCCA 633
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal
Décision de : Juges Robert M. Mainville, Geneviève Cotnam et Peter Kalichman
Date : 8 mai 2023
Références : SOQUIJ AZ-51936363, 2023EXP-1328 (27 pages)
-Résumé
FISCALITÉ — revenu (impôt sur le) — calcul du revenu — revenu d’entreprise — achat et vente d’actions — société de gestion — aliénation d’une valeur canadienne — choix fiscal — immobilisation réputée — exception — négociant ou courtier en valeurs mobilières — interprétation de «négociant ou courtier en valeurs» (art. 250.3 a) de la Loi sur les impôts) — interprétation de l’article 39 (5) de Loi de l’impôt sur le revenu — bulletin d’interprétation — cotisation fiscale — appréciation de la preuve — appel — norme d’intervention — absence d’erreur manifeste et déterminante.
INTERPRÉTATION DES LOIS — intention du législateur — interprétation téléologique — sens ordinaire des mots — harmonisation des lois fiscales — cohérence des lois — version française — version anglaise — interprétation contextuelle — bulletin d’interprétation — interprétation de «un négociant ou courtier en valeurs mobilières» (art. 250.3 a) de la Loi sur les impôts) — interprétation de l’article 39 (5) de Loi de l’impôt sur le revenu.
Appel d’un jugement de la Cour du Québec ayant rejeté des appels de cotisations. Rejeté.
L’appelante est une société qui détient un portefeuille d’actions important de petites compagnies en démarrage et à petite capitalisation. Dans le cadre de ses activités, elle acquiert et vend de nombreuses valeurs mobilières afin de réaliser des profits et d’accroître son portefeuille. Ayant fait un choix fiscal pour bénéficier des effets de l’article 250.1 de la Loi sur les impôts afin que les valeurs canadiennes qu’elle acquiert soient détenues en tant qu’immobilisations, elle conteste les cotisations délivrées par l’Agence du revenu du Québec (ARQ) pour les années d’imposition 2007 à 2015.
De son côté, invoquant la restriction prévue à l’article 250.3 de la Loi sur les impôts, l’ARQ soutient que l’article 250.1 ne s’applique pas à l’appelante puisqu’elle serait un négociant en valeurs mobilières. Ainsi, selon l’ARQ, les profits ou les pertes résultant de la vente des valeurs mobilières par l’appelante doivent être traités comme des profits ou des pertes résultant d’une activité d’entreprise, et non comme des gains ou des pertes en capital, d’où les cotisations. Cette position a été confirmée par un jugement de la Cour du Québec.
Décision
M. le juge Mainville: Bien que le régime fiscal établi dans la Loi sur les impôts soit autonome et distinct du régime fiscal énoncé dans la Loi de l’impôt sur le revenu, ces 2 régimes agissent en harmonie l’un avec l’autre dans la plupart de leurs dispositions, et ce, afin d’éviter que les contribuables du Québec, assujettis aux 2 régimes fiscaux, ne subissent de difficultés majeures. Cette volonté d’harmonisation des 2 régimes était l’intention du législateur lors de l’adoption des articles 250.1 à 250.3 de la Loi sur les impôts. Les versions anglaises des articles 39 (5) a) de la Loi de l’impôt sur le revenu et 250.3 a) de la Loi sur les impôts sont identiques et emploient la même expression («a trader or dealer in securities»). Bien que, en langue française, ces 2 dispositions fassent référence dans un cas à un «négociant ou courtier en valeurs» et dans l’autre, à un «commerçant ou courtier en valeurs mobilières», il s’agit d’un choix linguistique stylistique plutôt que substantif. En effet, les versions anglaise et française de la loi ont la même valeur juridique et doivent être interprétées d’abord en recherchant le sens qui leur est commun pour ensuite déterminer si celui-ci concorde avec l’intention du législateur. De plus, l’article 250.1 de la Loi sur les impôts prévoit explicitement que sa mise en oeuvre est liée au choix effectué par le contribuable en vertu de l’article 39 (4) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Dans ce contexte législatif, il serait pour le moins curieux d’interpréter, comme le voudrait l’appelante, les exceptions prévues à l’article 250.3 de la Loi sur les impôts de façon différente de celles énoncées à l’article 39 (5) de la Loi de l’impôt sur le revenu. C’est précisément pour pallier la difficulté de cerner, dans le cadre d’une transaction particulière, la distinction entre un revenu d’entreprise et un gain en capital qu’ont été adoptés les articles 39 (4) à 39 (6) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Comme cela a été précisé dans Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Canada (C.A.F., 1993-02-18), SOQUIJ AZ-93112049, [1993] 2 C.F. 179, l’exception prévue à l’article 39 (5) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’applique lorsque les transactions sur les valeurs mobilières présentent un caractère professionnel pour le contribuable ou sont assimilables à l’exploitation par ce dernier d’une entreprise d’achat et de vente de valeurs mobilières et qu’elles ne peuvent donc plus être qualifiées d’opérations de placement ni de simples risques ou affaires à caractère commercial. À ce titre, l’appelante a tort de soutenir que le raisonnement dans Vancouver Art Metal Works Ltd. s’appuie sur une lecture purement littérale de la loi. Sa prétention selon laquelle cette interprétation viderait de sens le choix qu’offre l’article 250.1 de la Loi sur les impôts n’est pas fondée. Enfin, bien que l’arrêt Vancouver Art Metal Works Ltd. ne lie pas le tribunal quant à son interprétation de l’article 250.3 de la Loi sur les impôts, il n’y a pas lieu de s’en écarter puisque cela mènerait à une dichotomie entre l’application des articles 250.1 et 250.3 de la Loi sur les impôts, d’une part, et celle des articles 39 (4) et 39 (5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, d’autre part, ce que le législateur provincial n’a manifestement pas voulu. Ainsi, il faut interpréter les mots «un négociant ou courtier en valeurs» employés à l’article 250.3 de la Loi sur les impôts comme comprenant à tout le moins une personne dont la profession ou l’entreprise consiste à vendre et à acheter des valeurs mobilières. Cette interprétation est compatible avec le sens courant qu’il convient de donner aux mots utilisés dans le libellé de la disposition, en plus d’être cohérente avec l’objet de la loi et l’intention du législateur, qui souhaite privilégier une harmonisation entre les régimes fiscaux québécois et fédéral. D’ailleurs, cette interprétation de la disposition en cause est semblable à celle qui se trouve dans le bulletin d’interprétation de l’ARQ portant sur le choix à l’égard de l’aliénation d’une valeur canadienne. En outre, l’appelante n’a pas réussi à repousser la présomption de cohérence qui existe entre les dispositions des lois fiscales fédérales et provinciales lorsqu’elles ont sensiblement la même forme.
Finalement, l’appelante a échoué à démontrer l’existence d’une erreur manifeste et déterminante par le juge dans son appréciation des éléments de preuve ayant mené à la conclusion qu’elle était un négociant en valeurs mobilières au sens de l’article 250.3 de la Loi sur les impôts. Vu les faits mis en preuve, notamment le fait que l’achat et la vente de valeurs mobilières constituent les principales activités de l’appelante, la fréquence importante des transactions, le roulement constant du portefeuille de valeurs mobilières, la stratégie d’affaires axée sur l’achat et la revente de valeurs mobilières plutôt que sur la détention de celles-ci afin de récolter des dividendes ou d’autres revenus et l’expertise de l’appelante faisant en sorte que les activités d’achat et de vente sont menées d’une façon professionnelle, il paraît évident que cette dernière est un négociant en valeurs mobilières. Enfin, la prétention de l’appelante voulant que les connaissances d’un négociant ne doivent pas être générales, mais plutôt spécifiques, et qu’elles doivent porter sur la société émettrice du titre ne peut être retenue.
Instance précédente : Juge Louis Riverin, C.Q., Chambre civile, Montréal, 500-80-033896-169 et 500-80-035759-175, 2021-12-02, 2021 QCCQ 12340, SOQUIJ AZ-51813004.
Réf. ant : (C.Q., 2021-12-02), 2021 QCCQ 12340, SOQUIJ AZ-51813004, 2022EXP-173.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
Commentaires (0)
L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.