Sélection Soquij: Petrishki c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 3679
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
CONSTITUTIONNEL (DROIT) : Le pourvoi en contrôle judiciaire par lequel les greffiers spéciaux de la Cour du Québec et de la Cour supérieure ainsi que les registraires de faillite de la Cour supérieure contestent le régime législatif qui leur est applicable, et faisant notamment en sorte qu’ils sont des fonctionnaires de la branche exécutive alors qu’ils exercent des pouvoirs judiciaires, est accueilli en partie; le tribunal a notamment conclu que ce régime actuel viole leur indépendance judiciaire.
2023EXP-2533
Intitulé : Petrishki c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 3679
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge Azimuddin Hussain
Date : 2 octobre 2023
Références : SOQUIJ AZ-51971449, 2023EXP-2533 (54 pages)
CONSTITUTIONNEL (DROIT) — institution constitutionnelle — greffier spécial — registraire de faillite — fonction judiciaire — pouvoir exécutif — ingérence — fonctionnaire provincial — Loi sur les employés publics — Loi sur la fonction publique — Code du travail — relations du travail — constitutionnalité — article 3 de la Loi sur les tribunaux judiciaires — partie VI.4 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (art. 246.29 à 246.45) — indépendance judiciaire — inamovibilité — sécurité financière — indépendance administrative — validité — article 23 de la Charte des droits et des libertés de la personne — principe non écrit enchâssé dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 — contrôle judiciaire — jugement déclaratoire — déclaration d’inconstitutionnalité — remède approprié — suspension de la déclaration d’invalidité — doctrine de la nécessité — validité des jugements rendus par les greffiers spéciaux et les registraires de faillite.
CONSTITUTIONNEL (DROIT) — divers — article 3 de la Loi sur les tribunaux judiciaires — partie VI.4 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (art. 246.29 à 246.45) — constitutionnalité — régime législatif — omission du législateur d’inclure les greffiers spéciaux et les registraires de faillite — fonction judiciaire — indépendance judiciaire — inamovibilité — sécurité financière — indépendance administrative — article 23 de la Charte des droits et des libertés de la personne — principe non écrit enchâssé dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 — contrôle judiciaire — jugement déclaratoire — déclaration d’inconstitutionnalité — remède approprié — suspension de la déclaration d’invalidité — doctrine de la nécessité — validité des jugements rendus par les greffiers spéciaux et les registraires de faillite.
ADMINISTRATIF (DROIT) — contrôle judiciaire — cas d’application — divers — gouvernement — procureur général du Québec — constitutionnalité — article 3 de la Loi sur les tribunaux judiciaires — partie VI.4 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (art. 246.29 à 246.45) — régime législatif — omission du législateur d’inclure les greffiers spéciaux et les registraires de faillite — article 23 de la Charte des droits et des libertés de la personne — principe non écrit enchâssé dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 — jugement déclaratoire.
DROITS ET LIBERTÉS — droits judiciaires — audition publique et impartiale par un tribunal indépendant — greffier spécial — registraire de faillite — fonction judiciaire — pouvoir exécutif — ingérence — fonctionnaire provincial — Loi sur les employés publics — Loi sur la fonction publique — Code du travail — relations du travail — constitutionnalité — article 3 de la Loi sur les tribunaux judiciaires — partie VI.4 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (art. 246.29 à 246.45) — indépendance judiciaire — inamovibilité — sécurité financière — indépendance administrative — validité — article 23 de la Charte des droits et des libertés de la personne — principe non écrit enchâssé dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 — contrôle judiciaire — jugement déclaratoire — déclaration d’inconstitutionnalité — remède approprié — suspension de la déclaration d’invalidité — doctrine de la nécessité — validité des jugements rendus par les greffiers spéciaux et les registraires de faillite.
Pourvoi en contrôle judiciaire et demande en jugement déclaratoire. Accueilli en partie.
Les demandeurs sont des greffiers spéciaux (GS) de la Cour du Québec et de la Cour supérieure ainsi que des registraires de faillite (RF) de la Cour supérieure. Ils soutiennent que le régime législatif qui leur est applicable est incompatible avec l’indépendance judiciaire, car il fait d’eux des fonctionnaires membres de la branche exécutive alors qu’ils exercent des pouvoirs judiciaires. Plus particulièrement, ils contestent l’omission par le législateur de les inclure à l’article 3 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, lequel vise à exclure les juges nommés par le gouvernement du Québec des lois gouvernant les employés de la branche exécutive de l’État. Ils demandent au tribunal, entre autres choses, de les ajouter au processus effectué par le comité de la rémunération des juges, lequel est prévu à la partie VI.4 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (art. 246.29 à 246.45) et vise à assurer leur sécurité financière.
Décision
Les faits établissant l’ingérence dans le travail judiciaire des demandeurs sont sans précédent dans la jurisprudence portant sur la question de l’indépendance judiciaire. Le tribunal retient notamment de la preuve que les gestionnaires se sentent libres de critiquer les jugements des greffiers spéciaux alors que le législateur prévoit des voies de contestation des jugements qui sont parfaitement accessibles aux justiciables aux termes du Code de procédure civile. Ce comportement problématique résulte de l’absence d’énoncé clair et concis portant sur le rôle judiciaire des greffiers spéciaux et la protection de l’indépendance judiciaire qui encadre leur travail.
Aux yeux d’une personne raisonnable et bien renseignée, les GS et les RF ne bénéficient pas de garanties adéquates en matière d’indépendance judiciaire, en ce qui a trait à leur indépendance décisionnelle et aux caractéristiques de la sécurité financière, de l’inamovibilité et de l’indépendance administrative, et ce, tant dans la dimension institutionnelle qu’individuelle de l’indépendance judiciaire. Les GS et les RF exercent des fonctions judiciaires et, à cet égard, la protection constitutionnelle de l’indépendance judiciaire se rattache à ce travail. Cette protection constitutionnelle est prévue au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, laquelle est de nature quasi constitutionnelle.
Le tribunal considère que le principe de l’indépendance judiciaire s’applique aux fonctions judiciaires exercées par les GS et les RF et déclare constitutionnellement invalide, non pas une disposition législative, mais plutôt l’omission législative de sauvegarder l’indépendance judiciaire de ceux-ci. Cette déclaration se base sur l’article 23 de la charte québécoise, qui protège explicitement ce principe, ainsi que sur le principe non écrit.
L’indépendance décisionnelle des GS et des RF s’avère compromise par le régime législatif de relations du travail, qui permet aux gestionnaires de la branche exécutive de s’immiscer dans le processus décisionnel de ces derniers. La garantie d’inamovibilité est mise à mal par ce régime, qui permet la suspension et le congédiement des greffiers spéciaux et des registraires de faillite sans l’intervention du juge en chef, lequel participe à leur nomination. D’autre part, l’indépendance administrative de la Cour supérieure et de la Cour du Québec est compromise par le fait que la branche exécutive peut s’immiscer dans l’affectation des GS et des RF à des causes.
Puisque l’indépendance judiciaire s’applique aux GS et aux RF dans le contexte de leurs fonctions juridictionnelles, il y a lieu d’imposer une commission de rémunération pour faire des recommandations au gouvernement quant au traitement de ceux-ci. Leurs fonctions juridictionnelles au sein de la Cour du Québec et de la Cour supérieure — cette dernière ayant une existence reconnue à l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 — et l’importance de leur rôle dans le système judiciaire militent en faveur d’un processus de fixation de rémunération que le justiciable raisonnable et bien informé considérerait comme indépendant, efficace et objectif. Par conséquent, le processus qui fixe la rémunération des GS et des RF doit suivre les avis de la Cour suprême du Canada dans Rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard (Renvoi relatif à la); Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard (C.S. Can., 1997-09-18), SOQUIJ AZ-97111091, J.E. 97-1787, [1997] 3 R.C.S. 3, quant aux commissions de rémunération.
En l’espèce, l’application des principes constitutionnels en matière de réparation milite en faveur d’une déclaration générale d’invalidité, et non d’une déclaration d’invalidité comme celle prévue à l’article 3 de la Loi sur les tribunaux judiciaires ou d’une déclaration d’interprétation large («reading in»), et ce, afin d’ajouter les greffiers spéciaux et les registraires de faillite à cet article 3 et à la partie VI.4 de cette loi (art. 246.29 à 246.45). La réparation adéquate est donc de déclarer que cette non-inclusion est contraire à l’article 23 de la charte québécoise.
Le tribunal suspend l’effet de sa déclaration d’invalidité pour une période de 12 mois afin de donner le temps au gouvernement et au législateur: 1) d’examiner les solutions qui s’offrent à eux pour corriger la situation; 2) d’adopter les modifications législatives requises; et 3) de mettre en oeuvre les solutions qui en découlent. Entre-temps, la doctrine de la nécessité assure la stabilité des jugements rendus par les GS et les RF, mais celle-ci ne s’appliquera plus au terme de la période de suspension.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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